Festival d’Avignon
Richard III de William Shakespeare, traduction de Marius von Mayenburg, mise en scène de Thomas Ostermeier (en allemand, surtitré en français)
La pièce a souvent été jouée en France, dans les mises en scène entre autres de Terry Hands, Georges Lavaudant avec Ariel Garcia-Valdès, Sylvain Maurice… Cette fois, le grand metteur en scène et directeur de la Schaubühne le monte avec ses acteurs allemands. Richard III un être à part excessif en tout et qui et s’étonne lui-même de ses pouvoirs : « Je gage mon duché contre un pauvre denier/ Que je me suis toujours mépris sur ma personne !/ Sur ma vie ! » C’est un menteur des plus cyniques, qui ne s’embarrasse guère du choix des moyens: chantage et meurtres. On le voit draguant aussi sans scrupule aucun, la pauvre Anne dont il a fait tuer il y a quelques mois mari et père. Une Anne littéralement fascinée qui ne lui résistera pas: « Je l’ai eu, je l’ai eu, dit-il, même si je sais que je ne pourrai pas la garder ».
Richard va aussi faire assassiner son frère Clarence, sans attendre le décès imminent d’Edouard IV, son autre frère. Restent ses deux très jeunes neveux le prince Edouard V et le duc d’York. Avant la mort du roi malade Edouard IV, les conflits entre la famille de leur mère, les Lancastre, et celle de leur père, les York, commencent autour des enfants. Edouard disparu, Richard accuse la reine d’avoir provoqué l’exécution de Clarence et fait exécuter les membres de sa famille…
Richard veut la mort de ses neveux… Buckingham refuse de les assassiner et prend la fuite pour éviter de subir sa colère. Mais ils sont exécutés par deux malfrats qui tuent aussi Buckingham. Mais Richard a des ennemis dont Richmond qui va lui livrer bataille: les fantômes des victimes de Richard hantent son sommeil. Richard sera finalement tué et Richmond couronné proclamera l’union des roses d’York et de Lancastre, par son mariage avec Elisabeth, fille d’Edouard IV et symbole de la réconciliation nationale.
Jan Pappelbaum a imaginé une scène ronde au sol de sable, débordant sur la salle, avec comme unique décor : un mur maronnasse, sinistre, où reviennent régulièrement en vidéo, des nuages puis des vols d’oiseaux noirs. Avec d’étroites galeries et un escalier en fer. Comme une sorte de prison. Avec, au centre, une double porte faite d’un vieux tapis. Rien d’autre sur le plateau qu’un cercueil noir, une grande table et un fauteuil en bois amenés sur des rails… Tout ici respire la fin de règne, le désespoir absolu et la mort, celle des autres bien entendu, dont Richard parle sans cesse. .
Cela commence par une fête pour célébrer les victoires anglaises au Palais du roi Edouard. Gros confettis or et argent tirés par des pistolets sur la scène et le public. Hommes et femmes, en smokings et robes noirs, très joyeux et déjà bien imbibés, viennent de la salle avec verres de champagne à la main. Sur une musique techno envahissante, volontairement insupportable, accompagnée en direct par un batteur installé près de la scène mais dans la salle côté cour.
On aperçoit aussi un homme, bossu, assez répugnant avec une barbe mal taillée et un pied très déformé. Richard, handicapé par sa laideur est sans aucun doute exclu de cette fête. Ce qui le décidera à continuer sans scrupule à tuer mais aussi à séduire pour s’emparer à tout prix du trône. Physiquement donc repoussant et fascinant à la fois, pervers et monstrueux, Richard, à la volonté féroce, séduit grâce à la parole amplifiée par un micro suspendu, avec projecteur et caméra qui permettra de saisir, surtout à la fin, de gros plans de son visage.
Il parle beaucoup, sans jamais craindre d’être cynique et misogyne : «Voici ce qui arrive, quand les homme sont gouvernés par des femmes.» Au centre de l’échiquier, et c’est un atout considérable à toutes les époques, ce Richard III, imaginé par un William Shakespeare de vingt-huit ans, est un tueur absolu mais aussi un séducteur fascinant qui ne lâche pas ses futures victimes, tenant sans aucun doute à prendre sa revanche sur le mépris que lui a témoigné sa mère: « Moi, dit-il sans illusions, trop mal estampé et privé de la majesté de l’amour, pour me pavaner devant une nymphe coquette. »
E, comme le dit avec raison Thomas Ostermeier, plus nihiliste que psychopathe… Monstruosité et cynisme absolu du personnage, prêt aux coups les plus bas pour obtenir le pouvoir, politique et sexuel. Et jouissant de faire le mal, même s’il prétend le contraire… Et il n’hésitera pas à demander en mariage au roi Edouard, sa toute jeune fille juste après avoir fait tuer ses deux très jeunes frères qui risquaient de le gêner plus tard. Richard, impitoyable sait que gouverner, c’est prévoir…
Lars Eidinger, acteur fétiche de Thomas Ostermeier, crée une formidable complicité entre le public et le personnage monstrueux imaginé avec génie par Shakespeare qui, dit, Thomas Ostermeier, «est le plus moderne de tous. En mélangeant les niveaux de culture, en accolant des scènes de bataille et des acrobaties, des clowns et des rois, il crée un collage formidable. Cet art du montage me permet d’en faire autant avec les matériaux de la culture actuelle, la chanson, la vidéo, les micros et caméras…. » .
Cela dit, on ne voit pas bien ce que peuvent apporter ces arrivées de nuages en vidéo mais le metteur en scène allemand, même si son théâtre en a les moyens, n’en abuse pas. Richard, après des séries d’affrontements avec la famille royale et des filouteries exemplaires, sera enfin roi. Mais seul, désespérément seul, il n’aura plus rien à perdre, que cette royauté si durement acquise, c’est à dire un autre lui-même: son meilleur ennemi…
Thomas Ostermeier a réduit la voilure du texte de 40%, ce qui nuit sans doute parfois à la compréhension de cette intrigue déjà compliquée. Mais si on se perd alors un peu dans cette funeste histoire royale, il a réussi à en privilégier le sens général et au besoin fait naître l’émotion, avec la complicité de ses acteurs et d’un public très attentif. Comme entres autres, lors cette rencontre insolite entre Richard et Anne, près du cercueil de son mari.
A chaque fois, Thomas Ostermeier nous surprend avec ce qui est devenu comme sa marque de fabrique et qui a vite séduit le public français: une solide dramaturgie préalable, comme ici celle de Florian Borchmeier, avec à la clé, le remodelage d’un texte ancien mais où n’est jamais trahi le sens profond, une très pertinente direction d’acteurs -tous remarquables y compris dans les petits rôles, et en particulier évidemment, Lars Edinger, acteur à la présence exceptionnelle. Quelle violence! Et pourtant ici, aucune profération, aucune criaillerie ridicule comme souvent en France.
Et toujours avec une très subtile idée scénographique, jamais tape à l’œil, jamais gadget, qui vient en solide appui du texte. Le lieu imaginé pour ce Richard III, à la fois impressionnant, réaliste si l’on veut, mais peu daté… Et qui permet aussi et surtout de faire jouer en gros plan les acteurs de façon quasi obscène au sens étymologique du mot.
Comme dans cette mise à mort dans la prison par deux malfrats avec du sang qui coule sur ce cadavre blanc ou à la fin quand Richard allongé sur la table, juste couvert d’une couverture de fourrure, qui dit épuisé, conscient de sa mort imminente mais prêt encore à tout pour vivre, conscient aussi de la vanité absolue du pouvoir et lançant d’une voix lasse; le fameux: «Mon royaume pour un cheval» ! Ou encore terrible image finale: Richard pendu au bout d’une corde, tournicotant comme un insecte. Là, l’émotion passe vraiment… Ce Richard III n’est peut-être pas le meilleur travail de Thomas Ostermeier, (on se souvient encore de sa fabuleuse mise en scène de Maison de poupée) mais si tous les spectacles du festival avaient cette même force!
Sans doute son théâtre n’est-il pas un théâtre d’images mais quand cela peut aider le texte, il n’hésite pas à en créer de parfaitement fabuleuses, de celles que l’on n’oublie pas trente ans après. Une mise en scène d’une rare intelligence et il faut aussi souligner un mode de narration quelque peu distancié, au contraire du jeu qui ne l’est pas du tout. Même s’il arrive que Richard dise quelques mots aux spectateurs du premier rang.
Thomas Ostermeier n’hésite pas, aussi par exemple, à faire enlever un moment ses prothèses à Richard. Comme pour nous dire qu’il est aussi un être normal avec les frustrations, les échecs jamais évacués quelques dizaines d’années après, et que nous sommes aussi de petits Richard III, capables de commettre à l’occasion des choses pas très nettes. C’est avec Wycinka de Kristian Lupa dont vous parlera Véronique Hotte, l’un des spectacles-phares de ce festival; on sort bizarrement comme tout regaillardi par ce long (2h30) moment de théâtre. Loin, très loin donc du très approximatif Roi Lear mis en scène par Olivier Py (voir Le Théâtre du Blog), et cela fait du bien. On aimerait, même si avec Thomas Ostermeier, les billets s’arrachent, que le festival d’Avignon invite aussi les autres metteurs en scène de la Schaubühne…
Ce Richard III a fait l’objet d’une très méritée et longue ovation du public. Inutile de vous précipiter, il ne reste plus aucune place… Tentez quand même le coup au dernier moment, et s’il passe près de chez vous, réservez tout de suite: vous ne le regretterez pas. Mais, et c‘est bien triste il n’y avait presque aucun jeune spectateur (les places sont à plus de 30 €! C’est le grand handicap de ce festival et malgré les effets d’annonce, rien ne bouge). Mais nous leur recommandons chaleureusement d’aller voir ce Richard III quand il passera en tournée; cela nous étonnerait qu’ils n’y trouvent pas leur compte.
Philippe du Vignal
Opéra du grand Avignon, jusqu’au 18 juillet, relâche le 10 et le 15, et ensuite en tournée. Diffusion sur Arte le 13 juillet. T : 04 90 14 14 14 festival-avignon.com