Femme non rééducable

FESTIVAL D’AVIGNON

Femme non rééducable ( mémorandum théâtral) de Stéphano Massini, mise en scène de Vincent Franchi

 

f67ea7b52869fd5a81a4aafa28563fLa compagnie Souricière, créée  pour défendre un théâtre de textes, s’est lancée avec Marat-Sade  de Peter Weiss en 2009. Présentée en octobre dernier au théâtre de Lenche à Marseille, Femme non-rééducable, a été jouée naguère dans une mise en scène d’Arnaud Meunier, avec Anne Alvaro dans le rôle d’Anna Politkoskaïa .
 Ici, c’est  Maud Narboni, qui interpète magistralement et avec ferveur Anna Politkovskaïa ; Amine Adjina, lui donne la réplique dans tous les autres rôles.
Proche du théâtre-document de par sa structure fragmentaire, la pièce n’en est pas moins une véritable tragédie dans sa composition, son intensité dramatique et la force de son héroïne qui rejoint les grandes figures de la tragédie grecque,  sacrifiées à la raison d’Etat.

  La passion de la vérité qui l’anime fait en effet  penser à Antigone et le sacrifice de soi évoque Alceste. Et nul ne veut entendre la parole de cette nouvelle Cassandre. Comme dans la tragédie, son destin est scellé depuis le début, et nous savons tous qu’Anna Politkovskaïa a été retrouvée morte dans la cage d’escalier de son immeuble le 7 octobre 2006, après avoir été victime d’une tentative d’empoisonnement, et après avoir reçu chaque jour des menaces d’assassinat.
 Comme les héroïnes grecques, elle incarne la force de la résistance, puisqu’elle est la seule à s’opposer à la barbarie d’Etat, en l’occurrence un état-major russe pratiquant assassinats et tortures à grande échelle en Tchétchénie.
Le dispositif scénique: une boîte noire, figurant la mémoire d’Anna qui se souvient des événements qui ont marqué la dernière année de sa vie : témoin de premier ordre, elle décrit  tout ce qu’elle a vu en Tchétchénie.

 Témoignage parfaitement théâtralisé : ainsi l’ensemble de ses souvenirs se distribue en autant de tableaux, dont chacun décrit le pays et les hommes, relate un attentat,  une scène vécue: une tête suspendue à un crochet qui verse le sang goutte à goutte…  l’énumération des objets surnageant après un attentat, ou encore des dialogues emprunts de folie (les aveux naïfs et épouvantables de Sacha). Avec un réalisme sidérant, et des  détails validant l’ensemble du récit. Comme l’épisode du «fagot humain» raconté par Sacha avec une fausse candeur, qui rend bien compte de l’état d’esprit des soldats russes. «On entre dans un village, on prend six personnes, on les lie avec une corde. Puis on fout une grenade dans le tas ; et on fait sauter. Boum! Excusez-moi, vous n’auriez pas une cigarette ? »
Le dialogue d’Anna avec un gradé fournit un échantillon du cynisme ordinaire des officiers russes. Et elle cite le salut des Tchétchènes : «La liberté soit avec toi», exemple de la passion farouche de l’indépendance qui les anime, jusque dans le langage quotidien. Autant de points forts d’un récit qui restitue cette tragédie  avec  quelques tableaux bien choisis.
Une scénographie sobre vient en appui des témoignages : l’image vidéo en inserts dramatise l’expression du visage d’Anna, ou rappelle quelques dates historiques. Elle montre aussi en gros plan le visage de Kadirov, tandis que le récit retrace sa monstrueuse ascension.

Le prologue illustre le titre Femme non rééducable avec  une citation de Sourkov, tirée d’une feuille de route adressée au Bureau Politique en 2006 : «Les ennemis de l’Etat se divisent en deux catégories: ceux que l’on peut ramener à la raison,  et les incorrigibles avec lesquels on ne peut dialoguer. Il est nécessaire que l’Etat s’emploie à éradiquer de son territoire ces sujets non-rééducables».
L’épilogue raconte en quelques lignes l’assassinat d’Anna, sujet «éradiqué», et apporte la touche finale à l’horreur, avec cette réponse d’un responsable politique éminent, à qui on demande ce qu’il pense de la mort d’Anna : «Anna Politkovskaïa ? Jamais entendu parler».
Aucun des commanditaires de ce meurtre n’a été condamné à ce jour, ni même identifié…

Michèle Bigot

Théâtre du Balcon à 14h,  jusqu’au 26 juillet.

 

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