Sujets à vif: Programme A. Connais-toi toi même et Broyage
FESTIVAL D’AVIGNON Sujets à vif: Programme A:
Connais-toi toi même par Dominique Boivin/Claire Diterzi
Broyage de Latifa Laâbissi.
Une halte légère comme une bulle de savon ? De petites formes qui piquent les sens ? C’est dans le cadre bucolique du jardin de la Vierge au lycée Saint-Joseph que nous échappons aux spectacles fleuves. Avec Sujets à vif , créations soutenues par la SACD, qui proposent de saisir l’air du temps.
Que nous dit-il cet air du temps? « Artiste ! Défends-toi ». Il est vrai que les rues d’Avignon semblent moins fréquentées qu’à l’ordinaire. La programmation A avec Connais-toi toi-même, offre d’abord le tour de chant de deux sirènes en salopette courte bleue. Claire Diterzi cache sa magnifique chevelure rousse sous une longue perruque blonde. Son camarade sirène, Dominique Boivin également !
Le duo est frais comme les poissons sur les étals du marché. Une scénographie jouant sur le liquide, avec chorégraphie de type télé-crochet, rubans de GRS bleu curaçao et méduses au pied, s’amuse des efforts que les gens du spectacle doivent désormais déployer pour être populaires. La « carto-crise des festivals » est évoquée. « A la pêche aux moules moules moules, je ne peux plus chanter Maman », déplorent les deux chimères sous le pont d’Avignon.
Les sirènes hurlantes sont de la partie pour insister sur l’urgence. Comme chez Nathalie Garraud, on réinterprète Le Radeau de la Méduse. Mais il s’agit ici de fustiger la baisse des subventions publiques affectées à la Culture et ces «maires qui incitent plutôt à rester devant la télé. »
La finesse n’est pas toujours du voyage. Moules rime avec boules. Eh oui ! En temps de crise, les artistes craignent le naufrage. Le public s’amuse. Une interprétation de Sous le vent de Céline Dion ouvre des perspectives sur une malicieuse note positive. « Si tu crois que j’ai peur, c’est faux. Et si tu crois que c’est fini, jamais. C’est juste une pause, un répit… » Le duo sort la grand-voile et les gros sabots. Rafraîchissant !
Broyage de Latifa Laâbissi, n’est pas du même tonneau. Jessica Batut monte de dos sur le plateau, et elle le restera durant quasiment toute la performance. La vision de son sweat-shirt à capuche gris avec arbre doré créé une tension. Sur une chorégraphie qui rappelle les approches d’un boxeur sur le ring ou la parade d’apparat pratiquée par les guerriers et les animaux, elle appelle au combat : « Partons. Gagnons l’autre rive. »
Les métaphores marines se font ici épiques. Croisade. Car c’est le «nous» du collectif qui est sans cesse brandi. L’adversaire est défié, agoni sous les mots. Des séries d’impératifs incisifs et de futurs prophétiques créent une véritable incantation. Les pouvoirs de la langue éclatent. Avec une diction et un rythme, proches du slam, impeccables.
Au sol, la comédienne assure : « Nous gagnerons », quand, de la rue, parviennent le son de fifres et tambours d’une parade du off. Instants magiques que le hasard distille dans le festival. Ce texte ne désenfle pas et martèle : « Nous fabriquons du bonheur ! » Des sonorités choc fendent l’air. Quelques images s’amollissent parfois: « Nous avons de la pâte, nous pâtissons ». Et puis le dos que nous offre la combattante finit par lasser. Le public applaudit longuement la performance et la force de ce texte-manifeste.
Ces deux spectacles se font magnifiquement signe. L’un agite la main : « Ohé ! Du navire », l’autre mobilise les troupes plutôt que d’appeler au secours. L’art est en danger. Parodie rieuse contre uppercut : deux esthétiques, deux attitudes face à l’adversité.
Stéphanie Ruffier
Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph, à 11h jusqu’au 11 juillet. Le programme B à 18h.