Finir en beauté

Festival d’Avignon:

Finir en beauté, texte et conception de Mohamed El Khatib

 25_DONADIO_ActOral_J6-Mohamed El Khetib«Ma mère a 78 ans… Elle a les traits tirés, le visage marqué par les années de souffrance et de bonheur, le corps usé par tant d’hospitalité, de devoir d’hospitalité. Accueillir l’autre, quand on vient des montagnes du Rif, ça a du sens. Depuis l’hiver dernier, je suis à son chevet. Alors je lui raconte des histoires. »
À partir d’interviews, courriels,  SMS, extraits d’acte de naissance de l’auteur et de décès de sa mère, et d’autres sources, dites «réelles», concrètes et tangibles, l’auteur, metteur en scène et performeur, reconstruit, seul en scène, le deuil de sa mère.

Une pièce documentaire en deux mouvements : une performance et un «livre», Pièce en un acte de décès. La représentation, le récit de la maladie, et la mort, laisse entendre une «bande originale» composée de cartes postales sonores prises sur le vif : la langue arabe que parle la mère, les balbutiements du médecin ne sachant pas comment lui annoncer sa mort prochaine, les chants religieux lors des obsèques au Maroc, des remarques culpabilisantes de ses sœurs qui reprochent son absence à leur frère coincé dans la nuit à Belle-Ile-en-Mer, lors du décès à l’hôpital orléanais, .
  Un monde où la langue maternelle, l’arabe, et la langue médicale, ressenties comme «étrangères» et lointaines, et tout d’un coup, ne sont plus essentielles. C’est un travail d’introspection et de captation du réel, afin de faire resurgir détails, impressions et souvenirs. Selon cette écriture de l’intime revendiquée, tous les intermédiaires ont été effacés entre l’auteur, sa vie, son écriture et le spectateur.
 Mohamed El Khatib, à travers la question universelle du deuil, a souhaité communier avec le public dans le partage de cette parole fragile et ultime. La représentation se décline à partir de l’ébauche d’un récit, ici et dans le présent du plateau: retours réguliers et ténus à l’écoute de la voix maternelle, conciliabules silencieux avec les sœurs et le père, discussion  avec le médecin, et condoléances d’anciens amis après le décès.
  La fiction documentaire, l’ensemble du «matériau-vie» conçu entre mai 2010 et août 2013, ménage instinctivement la pudeur et  la décence. Mohamed El Khatib raconte d’abord sa vie inscrite en France, à Meung-sur-Loire où il est né… Une histoire de bon élève, issu de l’immigration mais pleinement français qui s’accomplit dans les études, les nouvelles technologies et l’art, soit un monde contemporain que le fils préféré fait sien mais où la mère n’a guère de place.
Mais l’amour absolu du fils pour cette mère s’en trouve d’autant plus agrandi depuis cet éloignement choisi. Il note dans son carnet : «La mort tranche le quotidien alors survient la construction affolée de l’avenir… Pour la première fois depuis quelques jours, idée acceptable de ma mort. »
Et de se rappeler cette phrase de Roland Barthes dans son Journal de deuil : «Beaucoup d’êtres m’aiment encore, mais ma mort ne tuerait aucun d’entre eux. » Plutôt qu’être en deuil, Mohamed El Khatib préfère encore dire qu’il a du chagrin, et écouter un ami lui rappeler que toute mère n’est pas non plus le centre du monde.

Cette performance s’accomplit dans la dignité et le recul du temps.Le public, lui, se reconnaît dans cette expression détaillée et distanciée d’une peine immense, la perte de celle qui portait en elle la mémoire de l’enfance.

 

Véronique Hotte

 

La Manufacture, jusqu’au 25 juillet à 12h10, relâche le 15 juillet.

 

 

 

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