Juliette et Justine, le vice et la vertu
Festival d’Avignon:
Juliette et Justine, le vice et la vertu, lectures de textes de Sade réunis par Raphaël Enthoven
L’auteur de ce montage s’est appuyé sur deux livres du Marquis de Sade (1740-1814), Justine ou les malheurs de la vertu, ainsi que L’Histoire de Juliette ou les prospérités du vice. Le Marquis de Sade passa un tiers de sa vie emprisonné ou interné,, mais son œuvre peu connue jusqu’au XXème siècle, doit beaucoup à Jean-Jacques Pauvert qui osa l’éditer, malgré les menaces de la censure. C’était en 1957,… et il entra dans la Pléiade en 1990 seulement! Le principe de ces lectures en fait une seule, était, selon Raphaël Enthoven, était de donner le jour à deux personnages en un. (…) Le dialogue entre Justine et Juliette est un dilemme moral autour de deux tentations, la vertu n’étant pas moins tentante que le vice. Entre la figure christique inaltérée dont le comportement vertueux est sans cesse puni-Justine-et la fourbe qui se résigne aux supplices qu’on lui inflige-Juliette-il y a l’expression de deux chemins possibles de l’existence humaine ». Et le choix d’Isabelle Huppert pour incarner ces deux jeunes femmes semblait, dit-il, naturel au philosophe. Après tout pourquoi pas!
Mais les dieux seuls savent sûrement pourquoi on a choisi pour cadre de cette lecture créée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en janvier dernier, et pour un seul soir, la prestigieuse Cour d’honneur du Palais des papes. Affublée d’éléments de décor du redoutable Roi Lear, mis en scène par Olivier Py (voir Le Théâtre du Blog).
Ont été juste ajoutés un pupitre de musicien, une lampe de lecture et un fauteuil vaguement XVIIème, où Isabelle Huppert viendra s’asseoir seulement quelques minutes. La vedette, puisque vedette il y a, entre, éclairée par une poursuite, elle est en belle et longue rouge ; la salle est bourrée et le public applaudit! (Il y a, une fois de plus, très peu de jeunes gens). On se croirait dans le théâtre privé… Bon et ensuite! Pas grand chose. Isabelle Huppert commence la lecture mais, très vite, on voit que c’est mission impossible. Et, sauf à de rares moments, le texte et la pensée de Sade passent mal. La faute à quoi: d’abord, au choix de ce lieu sans doute prestigieux mais casse-gueule et en tout cas pas du tout adapté à ce type de lecture. Ensuite encore ce foutu micro HF qui fait disparaître toute nuance. De plus, la direction d’acteurs est aux abonnés absents. Isabelle Huppert qui tient son texte à la main, fait seulement de temps en temps quelques moulinets avec l’autre bras… Bref, rien de très convaincant… A la décharge de la comédienne, l’invité surprise: un assez fort mistral mais à chaque fois qu’elle tournait une page, cela créait un bruit infernal à cause du micro. Et elle devait sans cesse se battre pour ne pas avoir les cheveux dans les yeux…
Mais il ne faut pas être très futé pour savoir que le mistral peut souffler fort pendant le festival. Elle lutte courageusement mais comme elle n’a pas vraiment le texte en bouche, elle butte souvent sur les mots. Ce qui n’est pas admissible, même pour une “lecture”… Si bien que le public décroche très vite et s’ennuie; ces soixante-dix minutes semblent être effectivement une éternité!
Ma voisine, sans aucun état d’âme, visiblement furieuse de s’être fait avoir, commence à envoyer des textos, et elle n’est pas la seule! Les places sont à 38 €! En fait comme elle l’a dit après le spectacle, elle avouait être venue pour Isabelle Huppert, et non pour le divin marquis qu’elle ne connaissait que de nom, comme la plupart des spectateurs… Cherchez l’erreur!
Quand on va au théâtre plus pour une vedette que pour une pièce ou un texte, il y a quelque chose de pourri au royaume avignonnais. Reste à savoir qui a eu cette magnifique idée de faire connaître au public du festival l’œuvre de Sade dans de telles conditions… Tout se passe comme si on avait voulu jouer sur deux tableaux : draguer un nombreux public (quelque 1.800 personnes!) avec une vedette, et montrer une performance d’actrice seule sur le grand plateau de la Cour d’ honneur.
Ce qui est le meilleur moyen pour avoir tout faux et passer à côté d’un véritable théâtre populaire. Comme le remarquent de nombreux spectateurs, le Festival in d’Avignon tend de plus en plus à se boboïser, tandis que le off avec d’excellents acteurs comme, entre autres, Serge Maggiani qui reprend lui sa belle lecture de L’Enfer de Dante, attire de plus en plus le public. C’est aussi une des leçons à tirer de ce festival…
Philippe du Vignal
Lecture donnée dans la Cour d’Honneur pour une unique fois, le 9 juillet.