N° 51 Mu Naine Vihastas, ma femme m’a fait une scène

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Festival d’Avignon:

N°51 Mu Naine Vihastas, ma femme m’a fait une scène et a effacé toutes nos photos de vacances par le Teater n° 99 de Tallin, mise en scène d’Ene-Lis Semper et Tiit Ojasoo

Pour ces metteurs en scène, l’image a acquis un formidable pouvoir dans notre société moderne : elle est partout,  au détriment de l’écrit qui aurait tendance à disparaître. Ils  nous parlent d’un homme qui vient de perdre toutes les images du bonheur familial qu’il a vécu sur une île paradisiaque avec sa famille.
 Il est dans une chambre d’hôtel. Dans le silence, son jeu, extraordinaire de précision, révèle une personnalité pathologique obsessionnelle. Chacun de ses gestes est signifiant et, tel Buster Keaton, il nous entraîne dans sa folie compulsive. Après un long noir brutal, la chambre se trouve soudain occupée par un groupe de  trois femmes et quatre hommes ; des jeunes gens et deux autres qui pourraient être leurs parents.
 Avec leur concours,  il va chercher à récréer des émotions perdues, à partir d’images de ce qu’il a mémorisées. Il leur  dit seulement:  » Ma femme a flingué toutes nos photos, est-ce que vous pouvez m’aider à refaire ces photos ici, c’est moi qui paye».
  Il tente ainsi de retrouver les postures et les moments tragiques ou cocasses de ces fragments de vie.  «Je les veux exactement comme elles étaient», référence indirecte aux images mièvres de Facebook ou d’Instagram! 
Des dizaines de clichés noir et blanc sont pris sur  scène par lui ou les autres personnages et projetés sur un écran à gauche de la chambre. A mesure que l’homme se reconstruit une mémoire, la pièce bascule dans une folie de plus en plus surréaliste. D’autant que ces gens, surgis de nulle part, vont apporter chacun leur touche personnelle à la recréation des images. Et pendant les quelques minutes où il s’absente de la chambre, ils vont se prendre au jeu et transformer la pièce en boîte de nuit décadente.
   On pense alors aux images de Snapchat.  A son retour, il tente de reprendre en main le fil de sa mémoire visuelle, mais le groupe va créer, à partir des accessoires quotidiens de cette chambre d’hôtel, les images mythiques qui ont envahi notre réalité moderne.
Après le départ du groupe, l’homme reste en présence de la femme qui jouait le rôle de son épouse lors des prises de vues. Il évoque sa noyade et celle de sa fille, réalité fantasmée ou réelle, nul ne le saura vraiment, et la pièce bascule de la farce burlesque  au drame. «Ce voyage, dit-il, a été une erreur, tout a été une erreur».
   Le public vit une heure quarante de théâtre pur et jubilatoire, où chaque personnage est vrai et vraisemblable, dans un  jeu  intense et juste.  C’est sans doute uniquement pour cela que l’on se rend encore aujourd’hui dans les théâtres. A notre façon, nous faisons  acte de résistance à cette civilisation de l’image. Aujourd’hui, si l’on perd ses images, l’on perd sa vie!
  Remercions cette troupe estonienne que nous avions croisée en novembre 2011 au théâtre de l’Odéon de nous avoir rappelé cette réalité.  « La société primitive avait ses masques, dit Jean Baudrillard, la société bourgeoise ses miroirs, et nous avons nos images»

Jean Couturier
 
Spectacle joué au Gymnase du lycée Aubanel du 6 au 9 juillet.

 

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