Un Obus dans le cœur
FESTIVAL D’AVIGNON:
Un Obus dans le coeur de Wajdi Mouawad, mise en scène de Catherine Cohen
«Comment tout ça a commencé ? » En fond de scène, sur des lames verticales d’un blanc coruscant, des extraits vidéo de type caméra super 8 nous montrent quelques bribes d’une enfance. Wahab, assis sur une chaise, essaie d’ordonner ses souvenirs, de comprendre comment un événement fondateur peut créer un «avant ».
Pour lui, tout semble avoir commencé par un coup de téléphone nocturne (moteur dramaturgique déjà présent dans Littoral, une autre pièce de Wajdi Mouawad), lui annonçant la mort imminente de sa mère.
Le voici donc parti pour l’hôpital dans une épopée citadine. «Tempête. Congélateur. Autobus. Feu rouge. » La traversée de la ville en transports en commun est émaillée de menues rencontres triviales. Dialogues mâtinés d’expressions arabes et québécoises. Neige omniprésente. L’écriture dissèque, au bistouri poétique, les ratés de la relation mère/fils.
Le trajet-réminiscence fait surgir une peur de l’enfance qu’il va falloir surmonter: une femme aux membres de bois, personnage fantastique associé à un épisode fondateur: un attentat terroriste contre un bus dont Wahad a été témoin, quand il était petit, dans son pays natal. Ce traumatisme visuel vécu hante l’œuvre de l’écrivain libano-canadien.
Une scénographie symboliste et convaincante, épurée et efficace, sert parfaitement ce monologue enragé. Avec différentes couleurs de l’angoisse : blanc froid clinique, orange-feu de la guerre, bleu surréaliste de la mort. Deux chaises métalliques, figurant le siège du bus, se muent en lit d’hôpital, puis en faucheuse fantasmagorique. Elles illustrent avec acuité le «métal froid de la réalité»…L’image des deux costumes, pardessus abandonné et corps sans vie, est puissante.
Grégori Baquet nous entraîne dans son sillage vacillant, entre rage au ventre et évitement. Wahad va-t-il renoncer à affronter la mort en face, et le visage d’une mère devenue étrangère ? Il incarne avec force la béance de l’événement : «Ne pas ressentir les sentiments qui (nous) accordent à la réalité. »
S’il porte à merveille le style très imagé et toujours fort de Wajdi Mouawad, il se révèle moins convaincant dans le registre enfantin et dans le maniement d’une langue qui peut se faire verte et véhémente.
Cette évocation de la guerre, celle que mènent les hommes sur terre comme dans leurs cœurs, a ému profondément une salle comble qui a applaudi cette mise en scène sobre et juste.
Stéphanie Ruffier
Théâtre du Balcon, jusqu’au 26 juillet à 12h15.