Les anges meurent de nos blessures
Festival d’Avignon:
Les Anges meurent de nos blessures, de Yasmina Khadra, adaptation et mise en scène de René Chéneaux
Après Trois Voix pour les sirènes de Bagdad, René Chéneaux adapte au théâtre ce nouveau roman de Yasmina Khadra. Ainsi, se dessine un jeu à trois où Rachid Benbouchta, Catherine Le Hénan et Jean-Baptiste Siaussat fontrevivre l’histoire d’un boxeur, Turambo, dans l’Algérie des années 20.
Yasmina Khadra est le pseudonyme de l’ancien officier algérien Mohammed Moulessehoul, composé des deux prénoms de son épouse pour échapper à la censure militaire; adaptés au cinéma, au théâtre, en B.D. ses romans sont traduits en quarante deux langues.
Il marche ici sur les traces d’Albert Camus ; cela se passe à Oran, comme dans La Peste, roman porteur des accents humanistes significatifs de L’Homme Révolté. Ici, l’espace est confidentiel, mais la scénographie est assez subtile pour n’en laisser rien paraître.
La Récitante représente l’auteur et narrateur Yasmina Khadra, et parfois une amie du sportif. Elle commente aussi, les yeux pétillants, l’action des personnages, comme un journaliste commenterait un match de boxe. Rachid Benboucha est le boxeur et le bel athlète, et le malicieux Jean-Baptiste Saussiat, le coache, complice ou non.
Au centre du plateau, une toile circulaire figure un espace cabaret et festif. Au lointain, un tulle reçoit des images filmées, archives de combats de boxe, et laisse apparaître des scènes en transparence.
L’interaction est juste, entre le récit de la narratrice, parfois actrice pour un personnage féminin, l’action des hommes virils ensuite qui défendent leurs points de vue divergents, et enfin l’image documentaire. Un monde où se conjuguent faits du passé et histoire personnelle.
Les mouvements des combats de boxe sont ici restitués, mimés et intensifiés. Dix tableaux se succèdent, vite menés, et font défiler les rounds d’un match spectaculaire et épique qui donne à voir et à vivre l’ascension, la gloire et la chute du héros qui travaillait pourtant à garder sa lucidité et sa clairvoyance.
En vain. La biographie de l’athlète, devenue spectacle vivant, trouve sur le plateau son accomplissement, loin des interprétations et des jugements à bon marché. La couleur sépia de la fresque privilégie l’esprit des photographies anciennes : nostalgie d’un monde où l’humanité des relations existait, comme la cruauté manipulatrice et abusive des plus forts sur les plus faibles.
Le boxeur se souvient ainsi du jour où son oncle le conduit au cimetière juif dont le gardien est sa «gueule cassée de père». Une prise de conscience. Le fils raconte : «Si le sol s’était dérobé sous mes pieds à cet instant, je n’aurais pas hésité à le laisser m’engloutir. »
Le fils humilié de voir son père n’avoir plus que ce travail minable, et même pas dans un cimetière musulman, pense qu’il n’est plus rien et doit se battre pour devenir quelqu’un, se faire reconnaître et accéder à une dignité personnelle.
Un combat rude et sans cadeaux, dont le récipiendaire potentiel n’est jamais dupe. Les comédiens, facétieux et pleins d’allant, nous font goûter à un monde où la lutte pour la vie est de tous les instants.
Véronique Hotte
Théâtre des Amants, jusqu’au 26 juillet à 12h20, relâche le 20 juillet.