Misa Lisin

Festival d’Avignon :

 Misa-Lisin par le Langasan Theatre

IMG_2495En découvrant ce spectacle, le public est confronté à une sensation équivalente, en plus modérée, à ce qu’Antonin Artaud a pu ressentir quand il a découvert les Indiens Tarahumaras au Mexique. C’est plus une performance liée à des rituels ethniques que l’on vient voir ici.
  Le Langasan Theatre a été fondé en 2012, conjointement par des aborigènes austronésiens taïwanais et des Han taïwanais. Tout est symbole dans cette création : la jarre portée par une femme, le riz lancé en l’air, la boue de la terre, matrice de vie.
  Chaque tableau a un sens profond que l’on peut chercher à décrypter, mais il vaut mieux se laisser porter par la poésie et la pureté des gestes de ces artistes qui se livrent, avec une complète authenticité, à des rituels inconnus de nous. Nous découvrons des scènes d’une grande beauté comme celle où de la peinture est projetée sur une danseuse presque nue ou celle des corps rampant dans la boue laissant percevoir des mouvements d’un grand érotisme. Les danseurs se frôlent, se touchent avec une forte sensualité.
C’est pourtant le spirituel et le rapport de l’être humain à sa terre d’origine que l’on retiendra. Au salut, une des artistes dit,  fragile et sincère : «Merci aux montagnes, à la forêt, à la pluie et au vent, Misa-Lisin est né dans la nature, nous suivons toujours les valeurs de la terre, merci à Taïwan notre belle province, merci d’être venus, si vous aimez notre travail, parlez en à votre entourage.»
N’hésitez pas à entreprendre ce voyage authentique et d’une esthétique peu commune dans le off.

 Jean Couturier

 Théâtre de la Condition des Soies, jusqu’au 25 juillet. Http://www.langasan.com 

            

 


Archive pour 14 juillet, 2015

En fer et en os

123504026_B971581443Z.1_20131210112700_000_G061KP77R.1-0Festival d’Avignon:

En Fer et en os, texte et mise en scène de Rachid Bouali

C’est l’histoire pas banale du naïf Wilber qui, parti au marché avec les dernières économies de la famille pour acheter une vache, revient avec une armure du plus bel effet. Cuissardes, haubert, heaume, bouclier… Sa panoplie brille de mille feux. Devant nos yeux ébahis, apparaît un chevalier dont la superbe impressionne tout le village.
Magie du théâtre ! Le plateau est pourtant nu, sans accessoires, ni décor, ni vidéo. A peine quelques nuances de lumière et un tintement de clochette par ci, par là.  Rachid Bouali, seul en scène, maîtrise parfaitement son art.

L’Ecole Lecoq aura sans aucun doute nourri ce comédien particulièrement doué pour faire d’un geste, une épopée. Une foule de personnages truculents naissent de ses jeux de voix et sa langue bien pendue bruisse d’images puissantes et fertilise tout l’espace.
Le chevalier fait son chemin. Sûr de lui, il part à la conquête du monde. Malheureusement, son armure, métaphore de toutes les carapaces, drame du paraître, le rend imperméable aux subtilités de l’extérieur, emprisonne son identité, obscurcit sa vue comme son écoute et crée des péripéties aussi fines que cocasses.
L’écriture, inventive et espiègle, fait de Wilber, un cousin du prince de Motordu. On lui dit « manger », il entend « danger », « attaque » pour « barque ». Complètement parano le chevalier ! Sa femme le rassure, ce n’est que « le chat du voisin ».
Il saute hors du lit : « Des farazins ! Je m’en doutais ! » Et voilà comment le chat qui miaule près du cimetière se change en «horde qui a passé la frontière». Le quiproquo évoque aussi bien les différences de perception au sein du couple, que les intolérances et préjugés qui déforment la vision politique du monde.
La rencontre avec un oiseau philosophe ouvre de belles perspectives de réflexion : «De quelle réalité veux-tu parler ? De la tienne ou de la mienne ?» Elle apprend à relativiser la notion d’ennemi. L’oiseau, impeccablement campé en trois mouvements, propose d’abandonner ce heaume qui enserre nos idées pour s’ouvrir à une généreuse vision panoramique.   

  Spectacle conseillé à partir de huit ans, mais les plus jeunes restent suspendus à l’univers de mots déployé sur le plateau. Que de nuances… Les parents, qu’ils soient lecteurs assidus de Boris Cyrulnik ou simples amateurs de belles histoires, goûteront toutes les subtilités d’une fable délicatement engagée.

Stéphanie Ruffier

 Maison du théâtre pour enfants, tous les jours sauf les dimanches 12 et 19 juillet, à 14h15.

Les Idiots

Festival d’Avignon:
Les Idiots d’après Lars Von Trier, mise en scène de Kirill Serebrennikov, en russe surtitré en français

 

 
IMG_2341En 1998, Lars Von Trier parlait ainsi de son film : «L’idée est de faire semblant d’être idiot, de trouver son idiot intérieur de l’accepter comme une part de soi-même.»
Fondé sur sur un travail d’improvisation avec une communauté d’acteurs dans une mise en danger permanente, ce film, sélectionné au festival de Cannes avait confirmé le caractère provocateur du cinéaste.
Ce n’est donc pas un hasard si Kirill Serebrennikov, l’enfant sauvage de la scène russe actuelle, adapte ce film au théâtre. Il a fondé en 2012 le Gogol-Center à Moscou, dont les créations sont sous l’étroite surveillance du Ministère de la culture russe, alors qu’il rencontre ici une importante reconnaissance médiatique.
«Le théâtre, dit-il,  a été inventé pour éviter la révolution dans la rue. C’est une sorte de soupape de sûreté. » Que va- t- il advenir du théâtre et de la société, ici comme ailleurs, si cette soupape est détruite. La Russie semble vouloir contrôler certaines créations artistiques et la France, ce grand pays d’hypocrisie, n’est pas plus claire dans ses objectifs vis-à-vis des théâtres, puisque c’est sous des prétextes de bonne gestion économique que le Ministère de la Culture laisse fermer progressivement les siens!

Le metteur en scène, avec intelligence et humour, semble vouloir s’autocensurer puisqu’ avant le début du spectacle, il affiche sur deux écrans, son vœu de chasteté: «Je jure de respecter un corps de règles suivant le dogme 95 pour le cinéma.»
Citons, parmi ces règles, celles qu’il va appliquer à sa création scénique : «Tout équipement technique qui crée l’illusion sur le plateau est interdit» ou :«L’esclavage artistique n’est pas autorisé.» La pièce s’ouvre sur un simulacre de procès exhibant un drapeau russe sur chaque écran. Ces écrans vont permettre la projection de photos et de vidéos prises pendant la représentation, ainsi qu’une réplique de ces images sur le site Facebook. «Être idiot c’est si bon, c’est comme une grasse matinée en hivers», les comédiens, exceptionnels d’engagement personnel, vont durant deux heures quarante, nous montrer les «idiots intérieurs» qu’ils se sont inventés. Cependant quelques longueurs auraient pu être évitées. Ce spectacle qui s’en prend à la Russie actuelle reste malgré tout très russe par la qualité du travail scénographique et par la présence incroyable de ces acteurs. Aucune allusion aux mythes russes ne nous est épargnée: le lac de Cygnes symbole de l’excellence artistique russe, ou la maquette du Kremlin qui s’embrase brièvement d’une ceinture de feu!. Le spectacle est avant tout une éloge de la différence, quelle qu’elle soit, ce qui explique qu’au final des acteurs trisomiques du Theatre Open-Hearted viennent saluer. Le message est clair, peut-être un peu trop souligné. L’énergie de jeu et les propos iconoclastes de ce soir, nous rappellent le travail théâtral de Krzysztof Warlikowski présenté dans ce même lieu il y a plusieurs années. Espérons que cette création agira de la même façon dans notre mémoire collective de spectateur.

Jean Couturier
Joué à la cour du lycée Saint-Joseph du 6 au 11 juillet

Sous la glace

FESTIVAL D’AVIGNON

Sous la glace de Falk Richter , traduction de l’allemand d’Anne Monfort,  mise en scène de Vincent Dussart

 

 sous-la-glace_WEB-037La compagnie de l’Arcade, créée en 1993 et implantée en Picardie depuis 2001, défend un théâtre humaniste, un théâtre de texte,  penché sur la contradiction de l’être dans sa quête significative d’une identité et d’une relation au monde qui soit juste, en sondant par exemple, les images du couple, de la famille et du travail.
Vincent Dussart s’attaque donc comme naturellement, à un texte de Falk Richter, grand dramaturge et metteur en scène allemand rivé au réel, attentif à la contemporanéité occidentale, traquant sans complaisance ses paradoxes, ses égoïsmes, une humanité dévalorisée et perdue.
Sous la glace (2004) est un des volets du projet plus ample Das System ; la pièce expose, avec une belle rage, l’érosion existentielle provoquée par la vanité et l’absurdité des expériences professionnelles de trois consultants d’une société d’audit. Xavier Czapla, Patrice Gallet et Stéphane Szestak, costume cravate et chemise blanche, jouent ces esclaves actuels et consentants, soumis à l’exigence de résultats toujours croissants, pliant sous l’interdiction implicite car jugée dangereuse du moindre retour à soi : intimité, intériorité, vie privée.
Cela commence par une mise en lumière du plus âgé des trois, encadré, à égale distance, par ses deux collègues plus jeunes, placés à l’arrière, et dont la mission consistera pour l’heure à prendre sa place et à se débarrasser sans état d’âme de ce cador obsolète, gisant nu, sur le plateau.  Lui aussi, été jeune, et pour conserver son job, il n’a pas hésité à éjecter de l’entreprise des cadres plus âgés, appréhendés comme moins battants, moins compétitifs et moins concurrentiels, et donc dangereux pour le sacro-saint avenir menaçant.

 La roue du temps n’en tourne pas moins de plus en plus vite, et c’est au tour du tueur, jeune loup vieilli, d’être montré du doigt comme looser,  dépassé, devenu historiquement un homme fini, bon pour la remise puis la casse.
Ce héros déchu se nomme d’ailleurs Jean Personne, Mister Nobody, puisqu’il n’est pas, ne vit pas, n’est rien, uniquement dévolu à satisfaire ce qu’on attend de lui – ses parents jadis, ses supérieurs plus tard – afin de plaire toujours à l’autre, n’ayant pu faire le deuil de l’enfance pour se construire une vraie autonomie, bref, n’ayant pas grandi.
Et puisqu’accéder à «être au monde» et  à une existence pleine s’avère être plutôt un échec, il va bien falloir réussir sa propre conquête dans l’univers de l’«avoir». 
Ce qui revient, selon Falk Richter, à voir essorer le concept de Ressources Humaines comme un vieux torchon : s’animent alors des figures abstraites qui ne pensent qu’à l’acquisition de « biens » , mal-nommés : «Plus de revenus, plus de travail, plus de sexe,, plus de plans de communication, plus de belles voitures, plus de performances, plus d’évaluation, plus de rencontres interpersonnelles, plus de bouffe, plus, plus… » Plus d’argent, mais pourquoi ?
L’humanité a déserté la coquille de l’être, terrorisé par la menace du licenciement. Sur la scène, la dénonciation politique, économique et sociale est portée,  avec rigueur et clarté, avec panache et désinvolture.
Sous la glace est l’exposition d’un show – sonore, musical et visuel –, épisode spectaculaire de stridences et d’éclats, de jeux violents de lumières et de pluies sonores, à travers des appels informatisés et des notes de guitare, terrorisant le moi.
Les acteurs, telles les figures manipulées puis déshumanisées qu’ils dénoncent, s’investissent dans un jeu scénique éblouissant– large déclamation vocale, danse gestuelle et synchrone, à la fois fébrile et tenue, cascade de chutes chorégraphiées. Le souffle puissant de l’acharnement emplit le néant dévastateur de leur personnage : les tueurs sont tués sous le coup de leur propre énergie aveugle.

 Véronique Hotte

 Théâtre des Lucioles, jusqu’au 26 juillet à 17h 25.

 Le texte de la pièce est publié chez L’Arche Éditeur.

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