Les Idiots
Festival d’Avignon:
Les Idiots d’après Lars Von Trier, mise en scène de Kirill Serebrennikov, en russe surtitré en français
En 1998, Lars Von Trier parlait ainsi de son film : «L’idée est de faire semblant d’être idiot, de trouver son idiot intérieur de l’accepter comme une part de soi-même.»
Fondé sur sur un travail d’improvisation avec une communauté d’acteurs dans une mise en danger permanente, ce film, sélectionné au festival de Cannes avait confirmé le caractère provocateur du cinéaste.
Ce n’est donc pas un hasard si Kirill Serebrennikov, l’enfant sauvage de la scène russe actuelle, adapte ce film au théâtre. Il a fondé en 2012 le Gogol-Center à Moscou, dont les créations sont sous l’étroite surveillance du Ministère de la culture russe, alors qu’il rencontre ici une importante reconnaissance médiatique.
«Le théâtre, dit-il, a été inventé pour éviter la révolution dans la rue. C’est une sorte de soupape de sûreté. » Que va- t- il advenir du théâtre et de la société, ici comme ailleurs, si cette soupape est détruite. La Russie semble vouloir contrôler certaines créations artistiques et la France, ce grand pays d’hypocrisie, n’est pas plus claire dans ses objectifs vis-à-vis des théâtres, puisque c’est sous des prétextes de bonne gestion économique que le Ministère de la Culture laisse fermer progressivement les siens!
Le metteur en scène, avec intelligence et humour, semble vouloir s’autocensurer puisqu’ avant le début du spectacle, il affiche sur deux écrans, son vœu de chasteté: «Je jure de respecter un corps de règles suivant le dogme 95 pour le cinéma.»
Citons, parmi ces règles, celles qu’il va appliquer à sa création scénique : «Tout équipement technique qui crée l’illusion sur le plateau est interdit» ou :«L’esclavage artistique n’est pas autorisé.» La pièce s’ouvre sur un simulacre de procès exhibant un drapeau russe sur chaque écran. Ces écrans vont permettre la projection de photos et de vidéos prises pendant la représentation, ainsi qu’une réplique de ces images sur le site Facebook. «Être idiot c’est si bon, c’est comme une grasse matinée en hivers», les comédiens, exceptionnels d’engagement personnel, vont durant deux heures quarante, nous montrer les «idiots intérieurs» qu’ils se sont inventés. Cependant quelques longueurs auraient pu être évitées. Ce spectacle qui s’en prend à la Russie actuelle reste malgré tout très russe par la qualité du travail scénographique et par la présence incroyable de ces acteurs. Aucune allusion aux mythes russes ne nous est épargnée: le lac de Cygnes symbole de l’excellence artistique russe, ou la maquette du Kremlin qui s’embrase brièvement d’une ceinture de feu!. Le spectacle est avant tout une éloge de la différence, quelle qu’elle soit, ce qui explique qu’au final des acteurs trisomiques du Theatre Open-Hearted viennent saluer. Le message est clair, peut-être un peu trop souligné. L’énergie de jeu et les propos iconoclastes de ce soir, nous rappellent le travail théâtral de Krzysztof Warlikowski présenté dans ce même lieu il y a plusieurs années. Espérons que cette création agira de la même façon dans notre mémoire collective de spectateur.
Jean Couturier
Joué à la cour du lycée Saint-Joseph du 6 au 11 juillet