Don Juan revient de la guerre
Don Juan revient de la guerre, de Ödön von Horváth, traduction d’Hélène Maurier et René Zahnd (L’Arche Éditeur), mise en scène de Guy-Pierre Couleau
Ödön von Horváth, écrivain hongrois de langue allemande, écrit Don Juan revient de guerre en 1937, installant son héros dans l’après-première guerre mondiale, de 1919 à 1923, en Allemagne, lors de changements significatifs politiques, économiques et sociaux, avec un bousculement effervescent des valeurs traditionnelles menant vers une émancipation irréversible des mœurs.
De retour de la Grande Guerre, le soldat Don Juan revient dans un pays humilié par la dette, livré au marché noir, aux petites combines, où les femmes mènent la danse à leur tour, faute d’hommes sur lesquels compter : ils ont été décimés. Atteint par la grippe espagnole, le héros déchu n’a qu’une idée en tête, retrouver celle qu’il a abandonnée avant son départ, une figure de pureté qui lui manque.
Mais sa fiancée est décédée en 1916, il l’apprendra avant de mourir à son tour sous la neige et sur la pierre tombale de l’inconsolée, à la fin triste de la pièce. Le séducteur ne rejoindra ni n’aimera donc à nouveau l’amante perdue puis disparue, d’autant qu’il a fait entretemps l’expérience de nombreuses rencontres amoureuses. Témoin et chroniqueur de ces années folles, le dramaturge met en scène une manière mortifère de bal de vampires, trente-cinq femmes autour d’un mâle.
C’est un petit peuple du quotidien : artistes, lesbiennes, servantes, religieuses, filles et mères bourgeoises, révolutionnaires, des battantes en quête de l’âme sœur. Ces rebelles subversives luttent pour trouver place et dignité dans un monde qui les ignore. Peut-être les bouleversements historiques changeront-ils la donne.
Mais rien n’est moins sûr… même s’il y a nécessité de résister, sans relâche ni réserve. La dimension populaire de ce théâtre est faite pour plaire au metteur en scène Guy-Pierre Couleau, directeur de la Comédie de l’Est, Centre dramatique régional d’Alsace, qui, avec un théâtre de tréteaux installé sous chapiteau, pose un monde en mutation, errant vers un inconnu encore insoupçonné et terrible.
Nils Öhlund est un beau Don Juan énigmatique, séducteur viril, complexe, attiré par la mort. Carolina Pecheny et Jessica Vedel, elles, multiplient apparences et vêtures, endossent vaillamment toutes ces silhouettes virevoltantes et évanescentes, ne ménageant jamais leurs efforts.
L’auteur s’interroge sur l’attirance des femmes pour Don Juan, leur raison exacte : »Ce n’est pas seulement la sexualité masculine, dont il est sans conteste le représentant le plus fort, mais c’est l’engagement métaphysique de cette sexualité. »
Deux ou trois chaises, un tréteau de bois, un foulard, une note pittoresque suffisent à créer une ambiance rude et rugueuse de temps difficiles en marche vers la malédiction. Pour Guy-Pierre Couleau, l’errance du séducteur traverse les ruines fatales d’une époque passée, celle d’une utopie de tolérance sociale et démocratique qui plonge désormais dans la réaction obscurantiste.
Le constat résonne au timbre de notre contemporanéité. Et ce spectacle réussi s’impose comme une danse de mort à la fois allègre et rêche.
Véronique Hotte
Théâtre des Halles, jusqu’au 26 juillet à 20h, relâche le 21.