Fille du paradis
Fille du paradis, d’après Putain de Nelly Arcan, adaptation et mise en scène d’Ahmed Madani
Nelly Arcan, auteure québécoise de quatre romans, de nouvelles et d’un livre illustré, s’est donné la mort en 2009, à 36 ans. Putain, son premier roman, verse dans l’auto-fiction, tel un journal intime de confession impudique non destiné à l’édition, mais à son psychanalyste auquel elle est incapable de livrer une parole orale. Un jeu d’associations, de digressions et de répétitions compose cette étrange litanie.
Le propos et le ton sont durs et reflètent la misère, la colère et le sentiment d’horreur de la narratrice qui revient sur son emploi alimentaire d’étudiante : escort de luxe. La jeune femme déconstruit et «dés-érotise» ici le sexe, condamnant la sexualisation et les rapports aliénants de domination entre hommes et femmes, montrant les tares, les perversions, les vices du désir humain.
Elle ne mâche pas ses mots quand elle décrit le comportement féminin, voile de l’embrigadement religieux pour certaines, ou vaine surexposition charnelle pour d’autres : «L’étalage des images où les femmes ne sortent jamais de l’érotisme engendre la précocité sexuelle des adolescentes. Selon moi, c’est une formation à la prostitution. Ce corps qui se donne, qui ne demande qu’à être consommé, ne s’adresse pas seulement aux hommes, il est aussi ce que les femmes achètent le plus… »
Pour leur propre consommation, les hommes achètent de l’orgasme sans compter. Selon Ahmed Madani, particulièrement à l’écoute de la jeunesse de notre temps, Nelly Arcan déchire avec hargne l’image de la belle poupée que l’inconscient collectif impose aux femmes d’incarner depuis l’enfance. Les acheteurs de cette jeune chair offerte sont pourtant des violeurs, pères de jeunes filles qui ne sont jamais les leurs, mais qui auraient pu l’être. Un jeu mortifère, trivial et réaliste qui s’amuse des calculs virtuels de probabilités.
Véronique Sacri, comédienne réunionnaise interprète cette rebelle. Traits fins et réguliers, visage lisse d’esthéticienne dont elle pourrait porter la blouse professionnelle, elle parle d’une voix douce, elle sourit avec insistance, comme éloignée de toute souffrance, ayant dépassé le cap de la douleur, égrainant des aventures hors-normes avec les mots interdits de la bonne conscience.
Ce dont elle se souvient : une fatigue épuisante en fin de journée, après que les hommes aient défilé, puis la sensation folle de liberté quand elle ferme la porte, quitte les lieux et palpe enfin les nombreux billets de banque dans ses mains. Un spectacle qui interpelle les femmes comme les hommes, pris par l’école d’une société essentiellement hédoniste, en quête de satisfactions.
Véronique Hotte
Théâtre GiraSole, jusqu’au 26 juillet à 14h10, relâche le 19.
Le texte est publié aux éditions du Seuil.