Monument O
Festival d’Avignon:
Monument O : Haunted by wars (1913-2013) par Eszter Salamon
Ce Monument zéro, dressé par Eszter Salamon en mémoire des guerres, souvent oubliées ou méconnues, est le premier acte d’une série qui reconsidère l’histoire du vingtième siècle au regard de celle de la danse. La chorégraphe, maintenant associée au Centre national de la danse, à Paris, a proposé à ses six interprètes d’investir des danses guerrières tribales issues de régions marquées par des conflits.
Au cours des cent dernières années, plus de trois cents guerres ont eu lieu hors des pays occidentaux, ce dont il est question ici. En solo, puis en duo, puis à trois, quatre, cinq, les danseurs, le corps couvert de peintures de guerre, les visages grimés, comme masqués, émergent, fantômes en noir et blanc, venus d’un ailleurs, portés par des chants archaïques, des cris et des onomatopées agressifs.
Constituant à la fin, un chœur héroïque. Il y a de beaux moments de danse avec la découverte de gestuelles surprenantes, mais le spectacle s’éternise dans un enchaînement un peu décousu, ponctué par des noirs systématiques.
Une belle image clôt la pièce : les danseurs installent en silence des panneaux noirs et blancs ou figurent des dates de conflits mais aucun nom. Alignés comme les croix d’un cimetière des guerres inconnues. Mais cette image est détruite par l’apparition d’un olibrius dégingandé aux allures de travesti.
Il y a aussi de beaux moment vocaux, comme ce lamento venu des profondeurs de la souffrance, ou ces chants en canon proférés par le chœur. L’intérêt ethnologique de la pièce est indéniable, même si, par moments, elle paraît longue et pesante.
Mireille Davidovici
Une autre vision de ce spectacle:
En fait de monument, l’espace vide, noir, semble absorber et enterrer toutes les atrocités commises durant les guerres séculaires,; on devine dans la pénombre six corps terrassés… Tout autour du plateau, une rangée de petits panneaux obscurs, pudiquement tournés contre les trois murs dissimulent les dates honteuses des conflits provoqués, ou indirectement déclenchés par les puissances occidentales dans les pays autrefois colonisés. C’est sur ce sol nu que des personnages fantasmagoriques viennent danser des entrelacs de vie et de mort.
Eszter Salomon, d’abord formée à la danse traditionnelle hongroise, passée ensuite par la danse classique et contemporaine, s’est imprégnée de la gestuelle de danses tribales pour illustrer l’éternel retour des combats et des morts. Rythmes africains, scansions et mouvements inspirés de Bali, du Tibet, du Moyen-Orient, et du vaudou caribéen … Gestes immémoriaux d’ancrage dans la terre. La chorégraphe les « incorpore » les « cannibalise ». Et La Danse macabre de Saint-Saens s’acoquine ici avec le haka.
Les costumes rayés ou tachetés de noir et blanc-gris fumé font, par persistance rétinienne, naître et disparaître des squelettes. Et les parades collectives produisent de beaux tableaux mêlant sublime et distorsion, tels les grotesques des cathédrales.
Folklore et rites mortuaires pointent le bout de leur masque. Les personnages effrayants portent une humanité attachante, avec des sourires morbides rappelant les calaveritas de azucar, ces petites crânes en sucre mexicains, ou masques mortuaires grimaçants, roulant des yeux, font songer à l’univers funèbre grand guignol de Tim Burton. La mort leur va si bien. Entre effroi et humour.
Mais voilà… passée la surprise des premiers ballets et solos fascinants, le dispositif hypnotique est souvent répétitif, et les petits groupes apparus au lointain viennent exhiber leurs postures effrayantes au proscénium, de façon un peu systématique. Deux tableaux particulièrement emballants : un chœur de cœurs qui respirent et battent à l’unisson.
Rythmique universelle soulevant l’enthousiasme. Et il y a cet immense danseur chapeauté et drapé de blanc, grande aristocrate anglaise, promenant sa nonchalance dégingandée au milieu des dates historiques. Envoyant tout valser avec l’impudence et la rage de la vie.
Mépris du passé ou table rase pour mieux renaître ? Les vivants abandonnent leurs oripeaux morbides et regagnent peu à peu leurs costumes de chair.
Stéphanie Ruffier
Cour du lycée Saint-Joseph jusqu’au 22 juillet et le 15 octobre à l’Arsenal de Metz. Au printemps 2016, Théâtre des Amandiers, Nanterre. Et en septembre 2016, Biennale de la danse à Lyon.