Le Crocodile

Le Crocodile, d’après F. M. Dostoïevski, traduction d’André Markowicz, adaptation de Leo Cohen-Paperman et mise en scène en collaboration avec Lazare Herson-Macarel,

spectacle_13800D’un ton burlesque, quelque peu ébahi, le narrateur Semione Semionitch (Lazare Herson-Macarel) commence  ainsi le récit pétersbourgeois du Crocodile: « C’est le 13 janvier de l’année 1865, sur le coup de midi et demie, qu’Elena Ivanovna (l’épouse d’Ivan Matveïtch, mon savant ami et je puis dire : mon copain en même temps que mon petit cousin) éprouva le désir soudain de voir le crocodile que l’on montrait dans le Passage. »
  En ami de la maison, Semione Semionitch participe à cette sortie du couple où la première rencontre avec le monstre étrange laisse d’abord les visiteurs froids. Puis, s’élève un cri strident, quand le narrateur contemple, malgré lui, une scène d’effroi bestial et d’horreur carnassière :«Je vis, ô Dieu ! Je vis, dit l’infortuné Ivan Matvéïtch, qui, saisi par le milieu du corps dans les terribles mâchoires du crocodile et soulevé, agitait horizontalement dans l’espace des jambes désespérées. Il disparut en un instant. »
Le propriétaire et manager allemand de l’animal exotique (Clovis Fouin) ne permet pas qu’on touche à sa bête vorace car le public qui afflue paiera une entrée à vingt kopeks pour voir ce spectacle inouï, une manne providentielle, une aubaine.

 Et plus étrange encore, la réaction de la victime engloutie, Ivan Matveïtch (Émilien Diard Detoeuf), qui exige qu’on considère les choses d’un point de vue économique strict.
 L’épouse du prisonnier (Morgane Nairaud) que le narrateur courtise ne comprend guère cet aspect de la réalité. Et l’amoureux de discourir sur les résultats bienfaisants de l’accumulation des capitaux étrangers dans la patrie, cela d’autant qu’il a lu le matin même des articles sur ce sujet dans Les Nouvelles de Petersbourg.
Le récit est annonciateur d’une littérature moderne qui sonne l’avènement de ce qu’on a pu appeler historiquement «le reniement achevé de l’homme ». Parabole à la fois fantastique et comique sur la considération des problèmes socio-économiques qui évacuent d’emblée la question de la survie ou de la sauvegarde existentielle. Pour le metteur en scène, en cette période de naissance du libéral-capitalisme, le crocodile est à la fois propriété privée et source de revenus : donc inviolable.

 Mais comment libérer le prisonnier ?  Désire-t-il sortir vraiment de sa prison, ou préfère-t-il penser, parler et être écouté? Une métaphore des servitudes volontaires auxquelles se soumettent les individus. Le spectacle, adapté par le metteur en scène et Lazare Herson-Macarel qui joue aussi dans la pièce (Il avait monté l’an dernier avec bonheur Falstafe de Valère Novarina dans le In), est conçu pour cinq acteurs qui vendent leur âme au diable, le temps d’une satire politique, un vaudeville cauchemardesque, un drame de l’absurde.
  Mais la troupe ne fait pas dans la dentelle, mêlant et emmêlant les genres, cabaret, monstres de foire, cirque, tableau naïf de conte enfantin ou cauchemar, facéties à bon marché de comédiens à bout de souffle qui usent d’une belle énergie mais utilisée à mauvais escient, ce qui entraîne le spectacle dans la vacuité…

Véronique Hotte

La Caserne des pompiers, jusqu’au 22 juillet à 15h, relâche le 17.

 

 


Archive pour 18 juillet, 2015

Sur la page Wikipedia de Michel Drucker, il est écrit que ce dernier est né un douze septembre à Vire

Festival d’Avignon :

Sur la page Wikipedia de Michel Drucker,  il est écrit que ce dernier est né un douze septembre à Vire, texte et mise en scène d’Anthony Poupard.

  68_20141003tjv-1024x681Silence! On entre en religion. Le respect des rituels est indispensable à la réussite de “la petite réunion d’un soir » qu’Anthony Poupard et le public vont  « bâtir ensemble ». Le ton est donné avec familiarité, solennité et humour tout à la fois : nous pénétrons dans le royaume du théâtre populaire/élitaire pour tous.
  Frisson dans le noir. Avec interdiction de renifler, toussoter, manger. Cela commence avec la grandiloquence des partis-pris assumés : noir total, boue, fumigènes, lumière rougeoyante, sexe à l’air.  Le théâtre est chose sérieuse pour ceux qui s’y adonnent avec un discipline monastique, comme ce comédien associé au CDR de Vire qui a dû avaler un paquet de couleuvres pour exercer son métier dignement.
Humilité et pauvreté sont toutefois peints avec une auto-dérision mordante. Anthony  Poupard n’est pas du genre à poser ses fesses dans le canapé rouge de Michel Drucker le dimanche, même si aux yeux de son grand-père, ce serait une forme de consécration. Dans ce solo,  il affronte les éléments et ce qu’on appelle le «non-public» : ici, des ruraux peu enclins à céder leur salle des fêtes pour une mise en scène de théâtre contemporain. On suit donc les tribulations de ce courageux pèlerin de l’art, courant à la recherche de reconnaissance.
Le résultat ? Un solo aussi décalé et chargé que son titre. S’y succèdent des interprétations investies de Thésée (oui, « la nudité c’est costume ! »),  des scènes d’intimité avec Papou un peu téléphonées, et d’hilarantes confrontations avec ceux qui soutiennent, avec plus ou moins d’enthousiasme, l’exigeant projet.
Le dispositif scénographique, fondé sur la relation entre le personnage du comédien et ses deux techniciens à vue sur le plateau, est bien rôdé.  Changements de lieux et  vivier de portraits au vitriol s’enchaînent avec une efficacité galvanisante. Jean-Noël, le « dir prod prog » de la Capitale, et Mme Sévranisté, l’élue qui va chercher ses ouailles au porte-à-porte, sont particulièrement savoureux.

  Ceux qui fréquentent assidument les milieux culturels reconnaîtront forcément qui un collaborateur snob, qui, un collégien récalcitrant, qui, un politique soupçonneux mais pragmatique.
Il y a quelques facilités dans cette proposition iconoclaste. La sobriété n’est pas au menu. Mais Anthony Poupard mouille sa chemise avec sincérité. Quel public vise-t-il? Les gens de la culture aptes à rire de leur consanguinité ou les béotiens qui préfèrent aller au spectacle pour se détendre et se méfient comme de la peste des exigences des intellos?

  Les deux sans doute, pour les réconcilier dans le partage de leurs ridicules, craintes et espoirs. Aussi, l’équipe du spectacle entretient-elle un climat de convivialité, offrant gâteaux et calvados-tonic aux uns et aux autres. Comment ne pas saluer le militantisme de l’artiste qui remet sans cesse son ouvrage sur le métier ?

Stéphanie Ruffier

 La Manufacture, jusqu’au 25 juillet, 22h.

 

 

Du Bruit sur la langue

Du Bruit sur la langue par la compagnie de l’Œil brun

   Du bruit sur la langue-Alain BujakArpenteurs du réel, collecteurs de parole, Karim Hammiche et Leïla Anis ont mêlé un peu de leur propre parcours, aux récits de vie que les habitants de la région drouaise leur ont confiés. Cette prise directe avec le réel, signature de la compagnie, fait toute la puissance d’une écriture qui ausculte les choix difficiles d’une fratrie.
Solal et sa sœur Chams sentent leur avenir bouillonner dans leurs veines, se bousculer sur leur langue. Des études à Sciences Po-Paris, une carrière dans la danse : de quelle orientation professionnelle, peut rêver une jeune provinciale issue d’un milieu populaire dans les années  80 ?

En 1984, la liste RPR-FN l’emporte sur celle du P.S. aux élections municipales. La ville absorbe péniblement les secousses économiques des chocs pétroliers. Les jeunes cherchent leurs mots. Comment s’autoriser à prendre la parole, et à trouver sa place sur un plateau ou dans une manif pour les droits des Beurs? Les questions sur la démocratisation culturelle, la place de la femme et du fils d’immigré dans la société résonnent encore.
   Dans une mise en scène minimaliste où charpenterie, cuisine et lieu de création théâtrale peuvent se déployer, la lecture sobre et vigoureuse  qui nous est proposée à l’espace 40 de la Manufacture, trouve un nouveau lieu à sa mesure. Les voix des sept personnages incarnés par trois comédiens sont portées avec justesse autour d’une table en stratifié, cernée de miroirs.
  La remontée dans les années 80 prend place dans ce kaléidoscope de visages, reflets de l’entremêlement de la fiction et du réel, de soi et des autres, échos de trajectoires. L’émotion est palpable et ce théâtre documentaire fait ici œuvre de mémoire. Pas d’angélisme, l’imaginaire cède souvent la place aux nécessaires compromissions avec l’ordinaire.
On apprécie cette approche réaliste et sensible des petits destins qui osent prendre les chemins de traverse de l’art. La parole forte, finement portée, atteint sa cible.

 Stéphanie Ruffier

Lecture à l’Espace 40 de la Manufacture, 40 rue Thiers, les 18 et 19 juillet, à 16, 18 et 19 heures.

 

 

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