A mon seul désir
Festival d’Avignon :
À mon seul désir de Gaëlle Bourges
Tissée aux alentours de 1500, La Dame à la licorne, tapisserie en six panneaux dont l’auteur reste inconnu, fut redécouverte par Prosper Mérimée en 1841, et George Sand en parle dans son roman Jeanne… Les cinq premières scènes représentent les cinq sens, mais la sixième : A mon seul désir semble plus ambigüe.
C’est l’histoire et la signification de cette œuvre moyenâgeuse, qu’elle a longuement contemplée au musée de Cluny, à Paris, que nous conte Gaëlle Bourges, en compagnie de trois autres danseuses. En voix off, elle décrypte La Dame à la licorne, tandis que, nues, les quatre interprètes dansent devant un châssis rouge garance tendu à l’avant de la scène, comme échappées du tableau. Elles y piquent des fleurs, tandis que le texte énumère la flore abondante contenue dans la tapisserie.
Puis elles deviennent, grâce des masques, le lion, le perroquet, le singe, la licorne, le chien et le lapin figurant aux côtés de la Dame. « Elles sont en fait comme des animaux, dit la conteuse, il n’y a pas de nudité dans la nature, les animaux ne sont pas nus ». C’est surtout sur ce bestiaire allégorique que le récit s’attarde.
Que signifie la présence de nombreux lapins (trente-cinq au total), animal symbolisant la lubricité, auprès de la vierge du tableau? Au Moyen Âge, on attirait les licornes, animaux magiques, avec de jeunes vierges, et, si la fille mentait, la licorne, croyait-on, l’encornait sans pitié.
Et pourquoi le perroquet, symbole de l’amant dans l’amour courtois, viendrait-il picorer dans sa main, si elle était pure? « Est-ce que la jeune fille n’est vierge que de face, se demande-t-on ? La tapisserie n’a pas d’envers, mais la danseuse ne porte la riche robe en velours bleu que sur le devant, découvrant, quand elle se retourne son aimable postérieur.
Après un petit détour par la scène d’Alice avec le lion et la licorne dans Lewis Caroll, quelques autres scènes sont aussi évoquées par les danseuses. Soudain le voile se déchire, le rideau tombe découvrant l’envers de la tapisserie, laissant apparaître une multitude de lapins, figurants nus et masqués qui prolifèrent, s’ébattent en une danse endiablée, sorte de sabbat de sorcières.
Une joyeuse sarabande qui contraste avec le côté gracieux, précieux, presque hiératique de la pièce. Ce travail tout en finesse aborde la question de la représentation de la femme dans l’art occidental, en décrypte les arcanes et en révèle la face cachée. Gaëlle Bourges explorant, comme à son habitude, la relation entre spectacle vivant et histoire de l’art, nous offre ici un très beau moment de danse et de théâtre.
Mireille Davidovici
Jardins du Lycée Saint-Joseph, jusqu’au 21 juillet. Et le 16 octobre, à l’Echangeur de Picardie ; le 3 mars à l’Espace Pluriel à Pau; le 7 avril, au Théâtre de l’auditorium de Poitiers.