Forbidden di sporgersi, d’après Algorithme Eponyme

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Festival d’Avignon:

Forbidden di sporgersi, d’après Algorithme Eponyme de Babouillec, mise en scène de Pierre Meunier et Marguerite Bordat

 Du lourd, mais aérien. Un ballet d’encombrants rêvant d’épure. Quand Pierre Meunier, bricoleur d’imaginaires, investit l’espace mental d’Hélène Nicole, dite «Babouillec autiste sans parole», le paradoxe règne en maître.
  Sur le plateau-laboratoire qu’il machine avec trois autres savants fous en blouse grise, sa singularité rencontre celle de la jeune femme en quête de communication. Un gigantesque mobile prend possession de la scène qui devient une chambre d’échos aux multiples percussions et résonances. Pierre Meunier projette dans l’espace des mécanismes de pensée novateurs.
  Cela commence par le tri de châssis  transparents en plexiglas. Barrières au langage. Ils tombent étrangement dans une grâce silencieuse. Puis, ça déménage ! Dans cet entrepôt des possibles, des écheveaux de câbles dessinent des gribouillis nuageux, comme ceux qui indiquent le mécontentement des personnages dans les bandes dessinées.
Une grande mèche en acier devient le moyeu d’un planétarium-mikado, une tentaculaire armoire électrique menace d’exploser, et les cordes d’une guitare électrique sont furieusement frottées à l’acier. Ici, les images, en perpétuelle reconstruction, étirées jusqu’à l’épuisement, lassent parfois et certaines sonorités sont douloureuses. Mais l’on reste ébahi par tant d’énergie créatrice et la puissante métaphore de cet autre mode de perception du monde. Impossible de rester insensible à tel déploiement. L’irritation fait partie prenante de l’expérience plastique et intellectuelle.
  Les êtres et les objets s’agitent, sans autre objectif apparent, semble-t-il, que de créer du mouvement. Danse dégingandée, ce mouvement constitue en soi un prodige, comme dans les installations de Jean Tinguely. Aussi contemplons-nous la matière grise d’un cerveau en ébullition, à la recherche d’une idée, d’un mot, d’une image qui s’impose. La difficulté d’ordonner les pensées, de se faire comprendre, est ressentie physiquement par le spectateur.
  La maladie martèle ses symptômes,  alors qu’un fantasme de fluidité, un désir d’élévation de la parole se font jour. Régulièrement toutefois, les lois de la pesanteur et les ratés techniques viennent casser les rêves. C’est superbe et foutraque. Cristallin et massif comme la joie de Babouillec. Mais terrifiant comme les obstacles qui se dressent entre nous, le monde et les autres.  Et tant pis s’il est dangereux de se pencher, comme nous en prévient le titre du spectacle, dans un étrange brassage d’anglais et d’italien.
« Penser dans le silence, est-ce un acte raisonnable ? » Non.

 Stéphanie Ruffier

Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, du 19 au 24 juillet à 18h. Le texte est publié par Christophe Chomant éditeur.


Archive pour 21 juillet, 2015

Noir de boue et d’obus

Festival d’Avignon :

Noir de boue et d’obus  chorégraphie de Chantal Loïal

  noir_de_boue__d_obus-2Chantal Loïal dirige depuis vingt ans la compagnie guadeloupéenne Dife Kako, qui s’inspire essentiellement des cultures africaines et antillaises. Ici, elle imagine, avec  trois danseurs et une danseuse, la rencontre de soldats enrôlés dans les bataillons d’Outremer.
 On sait que les colonies de l’Empire français ont joué un rôle essentiel dans la première guerre mondiale, ce dont veut témoigner cette pièce. Quelque part sur le front où les soldats s’entraînent sur des airs militaires et au son de discours patriotiques, la fleur au fusil !
Les pas sont rigides, contraints, mais quelques échappés ouvrent des fenêtres sur l’imaginaire des poilus : ici une silhouette esquisse une danse guillerette, symbole de l’insouciance à l’arrière, là surgissent des réminiscences de la terre qu’on a quittée, rythmées par ses chants d’ailleurs.

 Puis reprennent les combats. Les quatre interprètes ne ménagent pas leur peine pour construire des tranchées qui seront leurs tombeaux. Les scènes au sol se multiplient : l’un tombe, blessé, secouru par un autre ; un soldat sombre dans un rire de folie. Les danseurs s’immobilisent pour construire de leurs corps les statues d’un monument aux morts… Tandis qu’on entend des bribes de Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, les soldats rampent devant un film d’animation très réussi, évoquant un magma mouvant de corps noirs…

Cette danse très narrative est soutenue par une bande-son composite, parfois un peu trop présente (peut-être à cause des conditions techniques limitées du lieu).
 La chorégraphe s’attache autant à figurer le contexte historique qu’à explorer les liens de solidarité qui se créent entre les individus embarqués dans cette galère, et à montrer leur humanité dans ce contexte inhumain. La sensualité des danses afro-antillaises contraste avec la rigidité des marchés guerrières.
Un travail rigoureux, généreux, et bien interprété…

 Mireille Davidovici

 Théâtre Golovine jusqu’au 27 juillet ; les 13 et 14 novembre, EPCC des Arts vivants de Guyane; le 24 novembre, Auditorium de Basse-Terre, Guadeloupe : les 27 et 28 novembre, Espace Robert Loyson au Moule de Guadeloupe.

Le Poisson combattant

 Festival d’Avignon :

 Le Poisson combattant  texte et mise en scène de Fabrice Melquiot

robert_bouvierC’est l’histoire d’une séparation. On ne s’aime plus, alors on se quitte. L’homme part, laissant « la petite » à sa femme, n’emmenant que le poisson exotique de type guerrier, qui a sauté hors de son bocal pendant la nuit.
  »C’est l’histoire d’un homme qui, pour enterrer un poisson mort, remonte le cours d’une rivière intérieure dont le flux charrie souvenirs et peurs » , précise Fabrice Melquiot qui  a écrit cette pièce pour Robert Bouvier, c’est dire si le rôle est à la mesure de son interprète. L’acteur, qui dirige une compagnie en Suisse, au physique juvénile, est ce personnage combattant contre lui-même, ses fantasmes, désirs, dégoûts, et surtout angoisses.
Sa dérive le conduit chez sa mère, au pays de son enfance, où il rencontre le petit garçon qu’il était ; puis, plus loin, dans une chambre d’hôtel à Belley, dans l’Ain, en passant par la gare d’Ambérieu en Bugey. Et enfin, en Calabre où il rendra l’animal à la mer.

  Dans cette errance, il change de peau comme de chemise, d’où l’incessant habillage, déshabillage, rhabillage de l’acteur. Cette instabilité permanente, et un jeu nerveux donnent libre cours à la prose proliférante et poétique de Fabrice Melquiot.
Mais, comme la fin nous le révèlera, il s’agit d’un voyage rêvé, d’une péripétie de théâtre située dans une boîte blanche à trois côtés, où le comédien évolue, dans un flot permanent d’images projetées sur les parois blanches.
La mise en scène privilégie les pulsations du texte, une saturation sonore et visuelle, un jeu tendu qui donnent au spectacle un rythme haletant, en contrepoint d’une partition poétique elle-même fortement rythmée. C’est un parti pris risqué mais assumé.
Une belle performance d’auteur et d’acteur…

 Mireille Davidovici

 Théâtre Girasole jusqu’au 26 juillet. Le texte de la pièce sera publié chez L’Arche.

L’Instant Molière ou Les Femmes à l’école de la vie

Festival du pont du bonhomme:

L’Instant Molière ou Les Femmes à l’école de la vie, adaptation de Bernard Lotti, Laurent Lotti et Jacques Casari,  mise en scène Bernard Lotti

  Molière©Jean-Marie OriotComme toutes les éditions de ce festival, organisé par la compagnie de l’Embarcadère, dirigée par Christophe Maréchal, c’est dans l’amphithéâtre de plein air situé en face du magnifique et mélancolique cimetière à bateaux de Kerhervy-une marine somptueuse de carcasses de navires, gravée une fois pour toutes dans l’imaginaire-que se donne  ce spectacle, à moins qu’une pluie passagère n’exige, au dernier moment, un repli stratégique sous chapiteau.   
  L’enchantement des paysages alentour n’en reste pas moins un révélateur efficace de théâtre populaire, avec  cette dernière création de Bernard Lotti, un familier du festival qui  traque la quête du pouvoir chez Molière : le roi sur ses sujets, le maître sur ses valets, le père sur ses filles, la bourgeoise sur ses servantes, la parvenue sur ses paires plus jeunes.
   Ces «femmes à l’école de la vie», dévalorisées ou mésestimées, passent de tutelle en tutelle. Résonnent ici des scènes significatives des Femmes savantes, des Précieuses ridicules, de l’École des Femmes,  et de Dom Juan.
Des commentaires d’auteurs du XVIIème siècle,  comme Fénelon sur l’éducation des filles, alimentent le propos. Pour le metteur en scène, les hommes représentent un monde figé et ancien face au désir de vie, d’émancipation et de liberté chez les femmes.
Loin de vouloir imposer sur scène une tribune politique dont les slogans bien connus et ressassés auraient un goût de réchauffé, les femmes s’adressent au public, façon école républicaine de Jules Ferry, en maîtresses d’école au long tablier sombre, dressées debout devant leur grand tableau noir d’antan, une craie à la main.
Evocation désuète, quand l’heure est au numérique, mais qui inscrit les hommes dans un repli passéiste, tels d’éternels petits garçons, jamais grandis, obéissant à leur maîtresse d’école qu’ils voudraient et/ou aimeraient  voir enfin soumise…
On croit entendre le bon bourgeois Chrysale des Femmes savantes : «Il n’est pas bien honnête et pour beaucoup de causes, Qu’une femme étudie et sache tant de choses : Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants, Et régler la dépense avec économie, Doit être son étude et sa philosophie. »

 Le spectateur sourit aussi devant le ridicule de Philaminte, Armande et Élise, ces savantes qui s’esclaffent et se pâment devant le fameux : «Quoiqu’on die » du sonnet du bel esprit et vaniteux Trissotin.
   Mais les données humaines ne sont pas si tranchées et flirtent avec l’ambiguïté ; le spectacle donne à réfléchir sur tous et toutes, grands et petits d’un même monde. Ainsi, Arnolphe dans L’École des femmes, se plaint de la trahison de l’innocente Agnès,  précieuse qui s’ignore et qui, à son tour, reproche avec esprit, à son barbon de père adoptif, de ne pas avoir su se faire aimer instinctivement comme le jeune Horace. Célimène, elle, rétorque  à son misanthrope d’Alceste : «Des amants que je fais, me rendez-vous coupable ? Puis-je empêcher les gens de me trouver aimable ? »
Sautant d’une pièce à l’autre, on retrouve le mythique Dom Juan répondant à Sganarelle : «Non, non : la constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. »
Chacun, mis à égalité scénique, est remis à sa place, sans y paraître, das ce théâtre de tréteaux avec penderie colorée en toile de fond, où circulent, de cour à jardin, les acteurs et les techniciens: Yassine Harrada, Jean-François Lapalus, Bernard Lotti, Tristan Rosmorduc, Moanda Daddy Kamono, et les femmes qui ne rencontrent guère l’autre sexe  ou si peu :Marieke Breyne, Marilyn Leray, Elizabeth Paugam, Emmanuelle Ramu et Margot Segredo. Ce sont elles qui ont la niaque et enchantent le plateau, grâce à l’évidence de leur argumentation vive, leur capacité à rire et  à se moquer des hommes balourds et suffisants, à leur malice et leurs facéties, tant dans le verbe et l’art des réparties, que dans une belle souplesse, une danse et une gestuelle éloquentes.

  Et l’on sourit encore à entendre laquais et servantes se faire réprimander crûment par leurs maîtres, nouveaux riches oublieux de leurs origines : « Bouvière, fripon, impudent, scélérat, mécréant… » Un théâtre de marionnettes, une mise en abyme miniaturisée et judicieuse, reprend ces figures farcesques à l’infini. Bref, un moment réjouissant, avec défilé d’insultes et jurons pleins de verdeur.

  À noter aussi  Libicoco, un solo de clownesse désenchantée et décalée d’Ingrid Coetzer, et Silento, un joli trio poétique de trapèze et musique, ode à la lenteur, avec les danseurs Marco Le Bars et Eve Le Bars-Caillet, aussi violoncelliste, et Etienne Grass à l’accordéon. Un spectacle de rue délicat sur l’art amoureux.

 Véronique Hotte

 Festival du Pont du Bonhomme  à Lanester (56), du 18 au 24 juillet.

A petites Pierres

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Festival d’Avignon : À petites Pierres  de Gustave Akakpo, mise en scène d’Ewelyne Guillaume

 

  Nous avons la chance de pouvoir rencontrer des artistes venus des territoires d’Outremer, notamment à la Chapelle du Verbe incarné, où nous avons pu voir le travail d’Ewelyne Guillaume, directrice artistique de la Scène conventionnée Kokolampoe, installée dans l’ancien bagne de Saint-Laurent du Maroni, dont les créations ancrées dans la culture caraïbe, sont menées avec des artistes de la région.
En Guyane, existent des villages hors des circuits officiels, fondés par des esclaves fugitifs dits marrons, qui ont longtemps vécu en autarcie, sans avoir accès à l’école, à la culture et à la langue françaises. Les acteurs d‘A Petites Pierres viennent  d’un de ces villages, ce qui explique l’étrangeté de leur jeu et de leur diction, et la beauté de leurs chants tribaux comme sortis des profondeurs de l’Afrique.

  Formés au théâtre à l’école de Kokolampoe qui travaille en lien avec l’ENSATT, ils sont devenus professionnels, et certains vivent leur vie d’acteurs et chanteurs en dehors de la compagnie guyanaise. Ils ont choisi de monter cette farce de Gustave Akakpo, qui traite avec légèreté, de la pourtant tragique condition des femmes, de l’excision qui les guette et de la lapidation qui les menace.
 Selon eux, la pièce écrite dans le français parlé du Togo, est proche des langues bushinangue (celle des marrons) de Guyane, et ils sont très à leur aise dans les tournures africaines,  proverbes et expressions imagées qui participe au burlesque de l’écriture.
L’argument est simple : une jeune villageoise se laisse séduire par « un qui vient de métropole ». C’est un crime! Et elle sera lapidée. S’ensuivent bien des péripéties. L’intrigue enchaîne des situations à la Molière et des quiproquos à la Marivaux, avec une truculence couleur locale.
Dans la bouche de ces comédiens, la pièce prend toute sa saveur et, grâce à la rigueur et la précision de la mise en scène, le spectacle reste sobre, sans complaisance, tout en respectant le naturel et les personnalités de la troupe.
À suivre, une tournée se prépare.

 

Mireille Davidovici

 

Chapelle du Verbe Incarnė jusqu’au 26 juillet

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