L’Instant Molière ou Les Femmes à l’école de la vie
Festival du pont du bonhomme:
L’Instant Molière ou Les Femmes à l’école de la vie, adaptation de Bernard Lotti, Laurent Lotti et Jacques Casari, mise en scène Bernard Lotti
Comme toutes les éditions de ce festival, organisé par la compagnie de l’Embarcadère, dirigée par Christophe Maréchal, c’est dans l’amphithéâtre de plein air situé en face du magnifique et mélancolique cimetière à bateaux de Kerhervy-une marine somptueuse de carcasses de navires, gravée une fois pour toutes dans l’imaginaire-que se donne ce spectacle, à moins qu’une pluie passagère n’exige, au dernier moment, un repli stratégique sous chapiteau.
L’enchantement des paysages alentour n’en reste pas moins un révélateur efficace de théâtre populaire, avec cette dernière création de Bernard Lotti, un familier du festival qui traque la quête du pouvoir chez Molière : le roi sur ses sujets, le maître sur ses valets, le père sur ses filles, la bourgeoise sur ses servantes, la parvenue sur ses paires plus jeunes.
Ces «femmes à l’école de la vie», dévalorisées ou mésestimées, passent de tutelle en tutelle. Résonnent ici des scènes significatives des Femmes savantes, des Précieuses ridicules, de l’École des Femmes, et de Dom Juan.
Des commentaires d’auteurs du XVIIème siècle, comme Fénelon sur l’éducation des filles, alimentent le propos. Pour le metteur en scène, les hommes représentent un monde figé et ancien face au désir de vie, d’émancipation et de liberté chez les femmes.
Loin de vouloir imposer sur scène une tribune politique dont les slogans bien connus et ressassés auraient un goût de réchauffé, les femmes s’adressent au public, façon école républicaine de Jules Ferry, en maîtresses d’école au long tablier sombre, dressées debout devant leur grand tableau noir d’antan, une craie à la main.
Evocation désuète, quand l’heure est au numérique, mais qui inscrit les hommes dans un repli passéiste, tels d’éternels petits garçons, jamais grandis, obéissant à leur maîtresse d’école qu’ils voudraient et/ou aimeraient voir enfin soumise…
On croit entendre le bon bourgeois Chrysale des Femmes savantes : «Il n’est pas bien honnête et pour beaucoup de causes, Qu’une femme étudie et sache tant de choses : Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants, Et régler la dépense avec économie, Doit être son étude et sa philosophie. »
Le spectateur sourit aussi devant le ridicule de Philaminte, Armande et Élise, ces savantes qui s’esclaffent et se pâment devant le fameux : «Quoiqu’on die … » du sonnet du bel esprit et vaniteux Trissotin.
Mais les données humaines ne sont pas si tranchées et flirtent avec l’ambiguïté ; le spectacle donne à réfléchir sur tous et toutes, grands et petits d’un même monde. Ainsi, Arnolphe dans L’École des femmes, se plaint de la trahison de l’innocente Agnès, précieuse qui s’ignore et qui, à son tour, reproche avec esprit, à son barbon de père adoptif, de ne pas avoir su se faire aimer instinctivement comme le jeune Horace. Célimène, elle, rétorque à son misanthrope d’Alceste : «Des amants que je fais, me rendez-vous coupable ? Puis-je empêcher les gens de me trouver aimable ? »
Sautant d’une pièce à l’autre, on retrouve le mythique Dom Juan répondant à Sganarelle : «Non, non : la constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. »
Chacun, mis à égalité scénique, est remis à sa place, sans y paraître, das ce théâtre de tréteaux avec penderie colorée en toile de fond, où circulent, de cour à jardin, les acteurs et les techniciens: Yassine Harrada, Jean-François Lapalus, Bernard Lotti, Tristan Rosmorduc, Moanda Daddy Kamono, et les femmes qui ne rencontrent guère l’autre sexe ou si peu :Marieke Breyne, Marilyn Leray, Elizabeth Paugam, Emmanuelle Ramu et Margot Segredo. Ce sont elles qui ont la niaque et enchantent le plateau, grâce à l’évidence de leur argumentation vive, leur capacité à rire et à se moquer des hommes balourds et suffisants, à leur malice et leurs facéties, tant dans le verbe et l’art des réparties, que dans une belle souplesse, une danse et une gestuelle éloquentes.
Et l’on sourit encore à entendre laquais et servantes se faire réprimander crûment par leurs maîtres, nouveaux riches oublieux de leurs origines : « Bouvière, fripon, impudent, scélérat, mécréant… » Un théâtre de marionnettes, une mise en abyme miniaturisée et judicieuse, reprend ces figures farcesques à l’infini. Bref, un moment réjouissant, avec défilé d’insultes et jurons pleins de verdeur.
À noter aussi Libicoco, un solo de clownesse désenchantée et décalée d’Ingrid Coetzer, et Silento, un joli trio poétique de trapèze et musique, ode à la lenteur, avec les danseurs Marco Le Bars et Eve Le Bars-Caillet, aussi violoncelliste, et Etienne Grass à l’accordéon. Un spectacle de rue délicat sur l’art amoureux.
Véronique Hotte
Festival du Pont du Bonhomme à Lanester (56), du 18 au 24 juillet.