La Tigresse
Festival d’Avignon:
La Tigresse de Gianina Carbunariu, mise en scène de François Bergoin
La tigresse évoque souvent une femme jalouse et agressive, ou bien sensuelle; elle devient ici un personnage à la peau tigrée, nommé Mihaela. Un animal-personnage de théâtre tout a fait surprenant et attachant. Mais le public, à aucun moment, ne verra Mihaela, sur scène. Et pour cause ! La tigresse imaginée par cette jeune auteure roumaine, s’est échappée du zoo et se ballade dans la ville. Danger, méfiance et attirance !
Elle est celle qui dérange, son ombre est partout. Une tigresse vit dans la jungle ou cloîtrée dans un zoo, mais n’a rien à faire dans une ville. Encore moins dans une cité calme, jolie, et qui tient à sa bonne réputation et accueille de nombreux touristes.
Mais loin d’être perdue, avec son regard puissant et observateur, Mihaela invite le spectateur, à la rejoindre, pour l’accompagner dans son escapade, pleine de révélations sur l’état de nos sociétés occidentales et sur la présence de l’étranger. Pendant soixante-quinze minutes, nous vivons au rythme de cette ville, prise d’assaut par la tigresse. Cette échappée belle de Mihaela ameute la presse, les médias et suscite beaucoup d’excitation. Vingt-et-un personnages s’emparent de la scène: chauffeur de taxi, moineau, corbeau, pigeon, directrice de banque, médecin urgentiste, touristes japonais, retraité…
Cet événement qui frappe la ville, va délier les langues, révéler les angoisses collectives et de multiples fantasmes. Tous ces personnages hauts en couleur sont interprétés à merveille par Marie-Luce Bonfanti, Catherine Graziani et Candice Moracchini.
La mise en scène de François Bergoin, possède une grande qualité dramaturgique et artistique, et tout se construit sous nos yeux en direct :«On ne cachera donc rien de la préparation des neuf installations mécaniques des décors,
aux modifications d’apparence des personnages,
de la direction d’acteurs à la post-synchronisation.»
En effet, de par cette volonté esthétique, nous vivons en direct, et avec humour ou révolte, le cœur battant, cette promenade fatale de Mihaela. Cela donne à l’écriture de cette pièce, toute son énergie, sa tension dramatique. Et dès le début, on nous annonce la couleur: il s’agit d’un théâtre documentaire! C’est du moins, ce que nous déclarent dans le premier tableau, qui ne manque pas d’humour et d’ironie, et les actrices, en neuf tableaux, interprètent vingt-neuf personnages!
La scénographie est très habile, avec entre autres, un recours à l’image en résonance parfaite avec les contextes dramatiques successifs. Le son de la scie musicale, le dispositif mécanique, l’estrade lumineuse rappelant certains décors d’émission de télévision, la peau de tigre… créent un univers de pacotille.
Le vrai s’entremêle alors avec le faux. Le public regarde cette comédie humaine joyeuse et féroce, et se demande si Mihaela la Tigresse n’aurait pas trouvé le chemin pour échapper à ce monde où mensonges, peurs et manipulations trop souvent au rendez-vous, finissent par gagner !
A la fin, nous sommes comme abandonnés, et perplexes: Mihaela, une héroïne tragique contemporaine est-elle encore en vie ? Allez-y, vous ne serez pas déçu de la réponse !
Elisabeth Naud
Théâtre L’Entrepôt, Avignon, jusqu’au 26 juillet. T: 04 90 88 47 71.
Le texte de la pièce est édité aux éditions Actes Sud Papiers.