Ça va,ça va le monde !
Festival d’Avignon In
Ça va,ça va le monde ! Enregistrements publics proposés par R.F.I. , mise en lecture par Catherine Boscowitz
R.F.I. , radio internationale, diffuse des actualités de par le monde, en français et en douze autres langues. Elle s’intéresse aussi la création dans les pays francophones. Parce que le théâtre peut s’entendre à la radio, elle organise depuis trois ans, à l’instar de France Culture, des lectures au Festival d’Avignon; elle a lancé, l’an dernier, un Prix Théâtre destiné aux auteurs d’Afrique, des îles de l’Océan Indien, des Caraïbes, et du Proche et Moyen-Orient.
Prix qui est l’héritier, après des années d’interruption, du Concours de Théâtre Interafricain, dont Sony Labou Tansi fut plusieurs fois lauréat. Un hommage au « Diogène de Brazzaville », disparu il y a vingt ans, inaugure ce cycle de lectures, avec l’une de ses pièces phares.
Je, soussigné cardiaque de Sony Labou Tansi,
» La salive c’est le milliard du simple », dit Mallot, le héros de Je, soussigné cardiaque.
L’homme, du fond de sa prison, d’où il attend son exécution, revit les épisodes qui l’ont conduit dans les geôles du Lebango, un état totalitaire représenté par Perono, néo-colonialiste infect, rapace et raciste qui règne en maître sur l’administration noire du pays, rongé par la corruption.
Mallot, parce qu’il ne sait pas obéir, ni tenir sa langue, fera les frais de sa rébellion. C’est que, dans ce pays » Nous nous sommes trompés d’indépendance, puissamment trompés ». » Jésus, Marx, Mao, toutes les fois que descend un prophète, les hommes le détournent », clame-t-il. Pourtant » je ne me suis pas trompé de lutte. Que tu me fais souffrir, ô pays. Pays ou seulement putainerie. Tu falsifies le rythme de mes reins(…) Tu compliques mes petits tours de viande. Tu fatigues ma fougue de respirer. Ô pays, que tu m’es douloureux! »
Lucide et désespéré, le personnage, porte-parole de Sony Labou Tansi, éreinte la fausse démocratie et met en scène la lutte de Mallot pour sa dignité, dans une horrible solitude: « Je suis seul. Seul dans cet océan de merde, de lâcheté. Seul pour seul. Noyé. Perdu. Fini. Raturé. Mâché. » « Je suis cette absence, mon absence. » (…) » Mais je suis éblouissant au fond de mon vide! Imprenable! Jusqu’au bout imprenable ! »
La langue de l’auteur est un éblouissement permanent. Nous avons grand plaisir à la retrouver, portée avec justesse et sans emphase par les acteurs, dans ce jardin du gymnase du lycée Saint-Joseph qui, à minuit, devient le bar des invités du festival in.
Espérons que les auditeurs de RFI goûteront l’intensité de ce poème dramatique sur les ondes.
Diffusion le 26 juillet à 12 h 10 et 22 h 10 sur R.F.I. La pièce est publiée aux éditions Hatier
Chemin de fer de Julien Mabiala Bissila, lecture par l’auteur
Avec cette pièce, Julien Mabiala Bissila est le premier lauréat du Prix Théâtre R.F.I. Auteur, metteur en scène et comédien, il se partage entre la France, qui l’accueille souvent en résidence, et son Congo natal, où il a créé sa compagnie. Prenant en charge la lecture de sa pièce, il nous entraîne, dans sa prose hallucinée et hallucinante au cœur de la guerre.
Les trois mouvements, les trois » souffles » du récit se déroulent d’abord aux urgences d’un hôpital de Brazzaville, où » une colline de cadavres s’empile à l’entrée »; puis, dans un train qui fuit les massacres, sorte de vaisseau fantôme « sur un chemin de chair, sans retrouver son chemin de fer » ; enfin, dans un hôtel pour une partie de jambes en l’air, interrompue par les bombardements.
Au milieu de ce tohubohu, le protagoniste ne perd pas son humour. » Toute guerre est une guerre autour d’une coupe de champagne entre Total et ses concurrents », persifle-t-il. Ou encore, il épingle « ces grosses voitures de la marque: pétrole contre nourriture » …
La poésie n’est pas de reste et côtoie allègrement la trivialité dans cette langue fleurie, pleine de fureur, mais de tendresse aussi. L’auteur arrive à faire rire de tant d’horreurs, il exprime aussi une rage de vivre, une énergie communicative : » Que c’est beau d’être en vie! » sont les derniers mots de cette saga à travers le cauchemar de la guerre, un texte époustouflant de vigueur et de cocasserie. Formidable conteur,
Julien Mabiala Bissila nous a offert une belle performance, soutenue par Gilles Campaux à la batterie et Stéphane Ben au violoncelle. Comme Sony Labou Tansi, dont il se reconnaît l’influence, le jeune Congolais possède l’art de faire sonner la langue française, de détourner les mots, tout en écrivant des pièces profondément ancrés dans la réalité de son pays.
Diffusion le 2 août à 12 h 10 et 22h 10;
Le texte est à paraître chez Lansman
Mireille Davidovici
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