Journées du Matrimoine 2015

Journées du Matrimoine 2015

 

tumblr_static_95ox0zioln8ck008wgwc4w08w_2048_v2Qui saurait citer une seule œuvre d’Elisabeth Jacquet de la Guerre, Lili Boulanger ou Catherine Bernard? Qui se souvient de Madame de Villedieu, d’Hildegarde de Bingen ou d’Aphra Behn?  Qui sait que Madame de Graffignyremporta un vif succès avec sa pièce Cénie, à la Comédie-Française, en 1750 ? Des bataillons entiers d’artistes, écrivaines, musiciennes, peintres… nous ont précédées et ont disparu des anthologies et de l’histoire des arts.
Revaloriser l’héritage artistique et historique des créatrices, tel est l’objectif du projet Matrimoine lancé par HF Île-de-France (association pour l’égalité hommes-femmes dans les arts et la culture, voir Théâtre du Blog, Où sont les femmes, juin 2013).
Pour le présent aussi, beaucoup reste à faire. Ceux qui pensent que la reconnaissance professionnelle des femmes dans le domaine du spectacle vivant s’améliore seront contredits par des chiffres affligeants publiés par l’Observatoire de l’Egalité du Ministère de la Culture et de la Communication.
Au 1er janvier 2015, les
femmes dirigent 21 % des structures de création artistique subventionnées. Selon la SACD, elles signent 28 % des spectacles, pour la saison 2014/15 contre 25 % deux ans plus tôt… et 22% en 2006 !
Il devient donc urgent de donner aux femmes d’aujourd’hui ou d’hier leur place dans le paysage artistique. D’intégrer dans notre héritage global celles que l’Histoire, écrite au masculin, a largement occultées.
C’est à quoi s’emploient les premières Journées du matrimoine, conçues aux dates et en contrepoint des Journées du patrimoine. A la SACD, on pourra ainsi entendre, en lecture une enquête de la journaliste Odette Pannetier. (seule femme membre du premier jury du prix Renaudot en 1926), publiée dans la revue Le Cri de Paris en 1924. A sa question, « Pourquoi y a-t-il si peu de femmes auteurs dramatiques? », on appréciera les réponses cinglantes et cocasses du Tout-Paris théâtral de l’époque. Place du Palais-Royal, à Paris, se tiendra une manifestation d’artivistes : une série d’interventions pour mettre en valeur les créatrices du passé et leurs œuvres.
Une déambulation ludique, agrémentée de performances, est proposée dans le 13
ème arrondissement de Paris, de la Pitié-Salpêtrière au Panthéon, en passant par le Square Marie Curie et la statue de Jeanne d’Arc. Un parcours du même type se déroulera à Toulouse. Leur but : rendre visibles et éclairer sous un nouveau jour les femmes oubliées présentes dans des lieux emblématiques de ces villes.

 

Mireille Davidovici

 

19 septembre
de 12h à 24 h : Midi Minuit du Matrimoine par le collectif Midi-Minuit du Matrimoine. Place du Palais-Royal
20 septembre
10 h 30, 11 h 30, 15 h et 16 h 30 : Le Cri de Paris SACD – Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, au 11 bis rue Ballu, Paris 9ème.Salon vert.
19-20 septembre
14 h Parcours urbain organisé par HF Île-de-France et Osez le Féminisme ! Rendez-vous, 47 boulevard de l’Hôpital (métro Saint-Marcel, devant la statue de Pinel). Parcours en extérieur, à pied, durée approximative de 2 h 15.
16 septembre 2015 : ouverture du site dédié www.matrimoine.fr

 Sur la question, consulter aussi le Dictionnaire universel des créatrices aux Editions des Femmes dont la partie théâtre a été coordonnée par Michel Corvin qui nous a récemment quittés (voir Le Théâtre du Blog)

 Hildegarde de Bingen: extrait de Laudes et vêpres.


Archive pour août, 2015

Frangins

Frangins de Jean-Paul Wenzel, mise en scène de Lou et Jean-Paul Wenzel

 3bis«Et si tu écrivais une pièce pour toi et moi ? » ont demandé Jean-Pierre Léonardini, critique de théâtre, et Philippe Dusquesne, comédien, à Jean-Paul Wenzel, mais chacun ignorait la démarche de l’autre. Ainsi est né Frangins, ou les retrouvailles de trois frères au chevet de leur mère à l’agonie. Cela fait «trente sept ans, trois mois et neuf jours» qu’il ne l’a vue, dit Léo que la taule a rendu sensible au temps qui passe, aux jours qu’on coche sur le calendrier.
«Pour les dates je suis imbattable (…) 1963, ma première mobylette, volée » précisera t-il, plus tard.  Jipé et Philippe, le petit dernier, ont fait, eux aussi, leur chemin, pendant ces longues années. L’un poète, s’est reconverti en romancier de polars, l’autre, fierté de sa mère, est un magicien célèbre qui se produit à la télévision.
  Entre les trois, la gène des premiers instants, après une si longue séparation, fait vite place à la complicité d’antan et aux vieilles querelles fratricides. Aussitôt rouvertes, les blessures du passé se referment, car la tendresse est au rendez-vous dans cette fratrie élevée par une mère décalée, abandonnée par un père aventurier.
  Jean Paul Wenzel a taillé des rôles sur mesure. Lui, est un écrivain timide, un peu maladroit,  Jean Pierre Léonardini, un malfrat au cœur tendre, et Philippe Duquesne aux rondeurs mélancoliques, constituent un trio réjouissant, rejoint par Hélène Hudovernik, à la jeunesse insolente de santé, et par Viviane Théophilidès, une pimpante sexagénaire, amour de jeunesse des frangins.
  Sous la plume de l’auteur de Loin d’Hagondange, on retrouve ce réalisme du quotidien, cette tendresse pour les personnages, et un sens de la réplique juste, pas loin des dialogues des films noirs et blancs des années cinquante. Admirablement composée, la pièce est servie par une mise en scène précise, adaptée à ce genre d’écriture.
   Dans sa simplicité, elle privilégie cependant un certain humour porteur de distanciation, et donne surtout aux acteurs toute latitude de déployer une belle connivence, un plaisir de jouer qu’ils font partager au public.
 On passe une agréable soirée en compagnie de ce quintette…

Mireille Davidovici

Théâtre du Lucernaire, rue Notre-Dame des Champs Paris VIème, jusqu’au 11 octobre.
T. : 01 42 22 66 67 ; www.lucernaire.fr
Le texte de la pièce est publié aux Solitaires intempestifs

TRIP(ES) ou mes parents n’ont pas eu les couilles de faire des enfants

IMG_3189Festival d’Aurillac:

TRIP(ES) ou mes parents n’ont pas eu les couilles de faire des enfants, par Alixem, mis en scène d’Alix Montheil

Trop scato et trop décousues, Les Armoires normandes, le spectacle de la compagnie Chiens de Navarre (voir Le Théâtre du Blog) ? Avec Alixem, on passe à la vitesse supérieure, sans embrayage. Méthode rentre-dedans qui fait hurler le moteur. Le petit côté «connivence intellectuelle de gens de culture» est immédiatement écrabouillé dans un rire sardonique.
 Le spectacle sera jugé, au choix: très réjouissant, ou dépassant les bornes du déballage grotesque. Aux côtés des dinosaures canal historique du théâtre de rue convoqués par Jean-Marie Songy, les petits jeunes doivent en effet jouer des coudes pour émerger et sont la caution du festival in, labellisés SACD et Auteurs d’Espaces. Et question investissement de l’espace, leur Trip(es) n’a peur de rien.
Etape 1 : au sortir de la navette, les spectateurs revêtent des gilets fluo. Etape 2: un parcours initiatique guidé par Alix jusqu’à l’aire de jeu: un immense terrain de foot-parking gravillonné qui sera arpenté en long, en rond, en large et en travers. Etape 3 : A table !!! Le banquet est dressé. Il y a à boire et à manger. Et on trinque, à tous les sens du terme.
Au départ, faire table rase : évacuation d’un mime Marcel Marceau en leggings. Puis c’est un clown qui n’en finit pas de mourir et qu’il faut achever à la carabine depuis un véhicule, genre safari. Alix enfonce le clou par une petite sodomie.

 Premier sommet de mauvais goût (il y a déjà eu quelques pics ici ou là): on propose aux spectateurs munis de smartphones de réaliser des selfies viol. Cela n’empêchera pas une partie du public de s’autoriser tout au long du spectacle à prendre des photos et à filmer abondamment. Sans s’interroger sur notre société de vautours égocentriques et vulgaires, façon «j’y étais». Très bien, cela renforce l’obscénité générale!
   Dommage toutefois de rater la belle invitation à jouir du présent qui nous est ici offerte. Comment décrire l’avalanche d’images et la sollicitation permanente ? Mieux vaut mieux juger sur pièces et sur place ce capharnaüm, champion de la loupe grossissante. Au menu, tant de surprises ! Il suffit de savoir qu’un personnel très hétéroclite est convoqué, avec, en bonne place: Œdipe, Jocaste, Patrick Sébastien, un comédien doué dans l’interprétation du cochon, des femmes/fontaines, un grand-père brut de décoffrage…
Côté esthétique, forcément, c’est aussi un patchwork affreux, sale et méchant : du potache style Alfred Jarry, du kitch à la Deschiens, de non-sens à la Monty Python… d’où émerge un style bien personnel.

Ça tourne en rond, ça pétarade, ça enfume, comme les divers véhicules motorisés qu’Alixem affectionne. Avec des seaux de larmes et de sang. On nage en eaux troubles entre ubris grec, désarroi et franche poilade.
Railler les conventions théâtrales et fouler au pied les héritages, sous toutes leurs formes, sont les objectifs poursuivis sans relâche. Une pépite: ce rideau de velours rouge traditionnel qu’on offre aux plus dubitatifs pour qu’ils puissent prendre une petite bouffée de théâtre.

Ici, mieux vaut abandonner son bagage culturel. Benoît l’annonce d’emblée au terme de son jeu porcin : «J’ai rien à dire. Je fais un truc, après, j’ai pas besoin d’argumenter sur ce que j’ai fait». Mais maniant le paradoxe, plus tard, il participe à une rencontre impromptue avec le public. Une remise des prix est l’occasion d’offrir un tiroir à autocollant :«pourquoi nudité ».
Bref, un joyeux bordel auto-réflexif. Souffrance en étendard. Immersion obligatoire et. phobiques de la participation, s’abstenir. Des trouvailles géniales valent bien quelques hauts-le-cœur. Les propositions se percutent, sans filtre, sans fil, sans filet, comme dans la mécanique du rêve. Coq-à-l’âne permanent !
On nous annonçait un spectacle sur la famille. Il est effectivement dédicacé en grosses lettres noires à Papounet, tandis qu’un panneau plastronne : «Regarde Maman, je me soigne ». Jacques Lacan pourrait refourguer son bon mot sur « les non-dupes errent ». Car l’enquête sur les origines n’est pas réglementaire.

 Après le carnage, il ne restera que la grande famille des êtres humains. Les plus déboussolés rejoignent hâtivement la navette. Les autres restent avec Alixem. Aux hurlements et basses, tombés d’un camion, succèdent Les Loups de Serge Reggiani et J’aime les gens qui doutent d’Anne Sylvestre.
C’est cette dernière catégorie de spectateurs qui prend sans doute le plus de plaisir à goûter cette proposition de trip(es) comme elle vient, selon les forces en présence et l’énergie du jour.
Pour nous, festival d’émotions : rires (jaunes), grands moments de sidération (Ah ! Le couteau, Ah! Les joyeux pénis), quelques lassitudes face à l’outrance, vagues de circonspection et d’ennui devant les exploits automobiles trop répétitifs, envie de danser, masturbation intellectuelle, moments de communion et d’extrême solitude… La vie quoi !

 

Stéphanie Ruffier

 

Spectacle-expérience vu à Aurillac. Le 12 septembre à Ramonville-Saint-Agne.

 

 

The Baïna trampa fritz fallen

Festival d’Aurillac:

The Baïna trampa fritz fallen, création collective de G. Bistaki

   img_2300+pgArchitecte de génie, magicien de l’espace, le G. Bistaki concocte de splendides créations visuelles. Il y a deux ans au festival d’Aurillac, Cooperatzia, avec des installations de tuiles avaient marqué les esprits, et leur résidence au Parapluie annonçait un nouveau défi avec une matière inattendue.
La représentation débute à la nuit tombée, dans une rue qui borde des barres d’immeubles d’un quartier périphérique d’Aurillac.
Au loin, un camion crache une bande d’olibrius en costume blanc, armés de pelles. Une chorégraphie de lancers de sacs de jute blancs, sur bande-son de folk-country américaine,  promet une heure festive.
  Un des sacs posé sur une brouette mais percé, déverse son contenu, et sème une ligne jaune vif comme de la peinture. Les quatre compères dessinent des entrelacs et des rondes qui rappellent les fameux crop cercles, ces motifs en spirale mystérieusement apparus dans les champs de céréales. Qu’est-ce donc ? Ce n’est qu’au moment de se lever qu’on peut examiner à loisir la matière : des grains de maïs. Magique découverte !
Le spectateur est invité à la pérégrination. A la queue leu-leu, on suit le groupe. Traversée d’un parc, salut des habitants aux fenêtres… On se pose dans une cour d’école. Différentes aires de jeu proposent des univers graphiques variés et évolutifs.

  Poétique  Un travail poétique, où on décline toutes les utilisations possibles du maïs, jonglage avec pelle, jeu burlesque,et  petits ballets de cirque minimaliste avec balais ou seaux. Il y a du mouvement, de jolies images, et des éclairages délicats, mais… la mayonnaise ne prend guère.
Le plus beau, c’est encore l’univers sonore que ces déplacements font jaillir. Crépitement, frottement, égrainage : la musicalité du maïs est surprenante. Un florilège de percussions organiques agrémente le Concerto pour piano de Mozart, un Requiem avec transpalettes, un tableau orientalisant.
   Mais les glissades ne sont ni très drôles ni très spectaculaires. C’est d’un astucieux jonglage de bouches, happant et crachant des grains que naitront le plus de rires et d’étonnement. La fin du spectacle est très réussie avec des sacs-chapeaux. Ces parodies de tricornes, turbans et perruques versaillaises qui se moquent du pouvoir, font montre d’une épatante agilité plastique.
Creusez le sillon le G. Bistaki, il y a encore matière à nous faire rêver et sourire…

Stéphanie Ruffier

 

Et aussi 26 au 28 août au Fourneau à Brest, et les  18 et 19 septembre au Non stop festival (Norvège), et le 25 septembre à Pantin, Hauts-de-Seine.

Le Point de bascule

Festival d’Aurillac (suite et fin):

As the World tipped  (Le Point de bascule) par le  Wired aerial Theatre

  IMG_0023A Sirènes de police et «poursuites» lumineuses balaient le brouillard de la nuit. Sur la place Paul Doumer, les milliers de spectateurs réunis au pied du mât d’une grue sentent que l’heure est grave. Sur le large plateau où flotte le drapeau de l’O.N.U., se rejoue la conférence de Copenhague sur le changement climatique. Des bureaucrates affairés classent des dossiers, et énumèrent des noms exotiques d’animaux en danger.
  Bla-bla de technocrates et vaines allers et venues. Pour tout voir, tendre démesurément le cou est nécessaire. La paperasse vole. C’est la débâcle ! Notre monde se casse la gueule. Alain Timàr pour Pédagogie de l’échec de Pierre Notte (voir Le Théâtre du Blog) nous proposait déjà un personnel administratif accrochés à ses vieux schémas, et luttant désespérément sur un plan de plus en plus incliné.
Les acrobates du Wired aerial Theatre vont encore plus loin dans l’image-catastrophe. Le plateau bascule, de façon de plus en plus en plus sinistre, pour terminer à la verticale. Le monde est suspendu au-dessus du vide. Sidérant ! On ne quitte pas des yeux la poignée de survivants qui s’agrippent au bord supérieur du plateau avec l’énergie du désespoir.
  A cause impérieuse, mise en scène monumentale : le spectacle de danse aérienne qui suit se mêleIMG_0071A habilement à la projection vidéo. Ode à la gravité qui illustre la pesanteur de l’état désastreux de la planète et celui de ses malheureux habitants, malmenés par leurs erreurs politiques. L’image et les médias deviennent une fragile planche de salut où continuent de courir, sauter, trébucher et vaciller les voltigeurs.
 Magnifique lutte de l’homme contre le numérique et les législations aussi verbeuses qu’impuissantes. Les images-choc jouent sur notre voyeurisme morbide, avec séquences de séisme, tempête, fracture et effondrement (certaines animations font toutefois un peu carton-pâte !) et alternent avec de beaux paysages et portraits de visages indiens.   Applaudissements spontanés et enthousiastes. La symbiose entre les assistants, ces artistes de l’ombre, qui font contrepoids sur les sections de pont latérales à ceux qui évoluent à vue, est parfaitement maîtrisée. Dans une belle complicité…
  La fin est didactique : CHANGE se mue en «be change» et «demand change». Les Anglais de Liverpool savent embarquer le public dans leur univers de prestidigitateurs-architectes de l’extrême. Cette voltige est  souvent puissante et hypnotique…

 Stéphanie Ruffier

Le Chas du violon

Festival d’Aurillac:

Le Chas du violon, avec Agathe Olivier et Coline Rigot, musique de Benoit Ganoote

 

Une mère et sa fille, élégantes  viennent du public et s’approchent de l’Étoile, architecture complexe de fils de fer flottants et bras d’acier tendus. Elles décident de l’escalader. Malgré quelques essais infructueux, jouant de leur habilité elles s’échappent, s’y agrippent et grimpent sur la structure étoilée, après s’être débarrassées de quelques accessoires de la bourgeoisie, la fille de son sautoir de perles, la mère de son sac à main, après bien des gesticulation. Mais elle conserve ses talons hauts pour marcher sur le fil !
 La fille prend alors son violon,  et, en équilibre sur le fil, et accompagne les évolutions de sa mère. Sur les cordes sensibles du violon, en pas chassés et écarts glissés, les complices dansent avec tendresse et facétie.
Ce duo tendre et sensible bouleverse en particulier tous ceux qui se souviennent de la douloureuse histoire des Colporteurs: la perte de l’usage de ses jambes d’Antoine Rigot,  à la suite d’un plongeon dans la mer qui l’empêchera à jamais de danser comme avant sur le fil.

 Mais heureusement, les Colporteurs savent toujours nous émouvoir par leur poétique maîtrise funambulesque.

Edith Rappoport

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Édith  RAPPOPORT

Color of time

Color of time Aurillac

Festival d’Aurillac :

Color of time, Artonik, mise en scène d’Alain Beauchet et Caroline Selig

 

Nous les croisons à chaque coin de rue, ces passants béats, fardés de rouge, rose, bleu, orange et vert vif. Cheveux bariolés, peau polychrome, chaussures mouchetées de taches écarlates. Rares sont les parties du corps et les vêtements épargnés. Tous ont vécu la même expérience, le spectacle participatif qui  tient du rituel, et qui puise son inspiration dans la fameuse fête traditionnelle hindoue, la holi.
Sur un plateau, trois musiciens officient, et une dizaine de danseurs orchestrent un grand brassage de corps et d’énergies. Parmi le public, des bénévoles formés en amont (le site de la compagnie et des panneaux en ville recrutent hardiment) relaient les consignes, participent à la chorégraphie.

  Leurs sacs à dos regorgent de petits sachets de pigments qui répandent la couleur à grosses brassées. Sur une musique hindi aux sonorités planantes qui fraient avec la transe-techno, la foule vibre.
  Soif d’idéal ? Voilà un rassemblement où peut s’épanouir une joie primaire, organique, vibrante. Cet avatar de rave-partie pacifiste, pour tous, en pleine rue, répond à un vrai besoin de défoulement, de mouvement et de contact physique. De loin, il crée par fulgurances chromatiques des gerbes et des nuages fascinants au-dessus d’une masse grouillante et sautillante.
Mais c’est dans l’œil du cyclone que l’expérience prend tout son sens. On y célèbre une joie compacte et colorée d’être ensemble. Les Parisiens Léa, Antoine, Lorenzo, François, Anton et Maud ont répondu à l’invitation de leur copine cantalienne, et racontent : « Quand tout le monde saute et danse, on boit pigment, on rejette pigment, on vit pigment. »

  Ils se réjouissent de l’expérience collective qui donne la sensation de  faire groupe. Venus en connaissance de cause, ils avaient acheté au préalable des tee-shirts bon marché. Ils imaginaient un joli moment, la surprise a été de taille: «plus de couleurs, plus de convivialité et de partage ».
«On était le spectacle» assurent ces jeunes étudiants. Faire jaillir du gulul, cette poudre de maïs coloré, et se mouvoir collectivement constitue une manière de revendication politique bon enfant : une manifestation de joie, une façon de changer son environnement immédiat et d’affirmer qu’on est capable de vivre ensemble, de se toucher, de rire.
La vision de cette marée de visages cousins, sereins et souriants, provoque aussi des accès de fraternité et une méditation bienheureuse.

 

Stéphanie Ruffier

 http://www.artonik.org/The-Color-of-Time,61

Le spectacle sera aussi joué à Metz le 30 août, à Cergy le 13 septembre, puis à l’étranger.

Looking for Paradise

Festival d’Aurillac:

Looking for Paradise écriture et mise en scène de Nicolas Chapoulier et des Trois Points de suspension

06-Les-Trois-Points-de-Suspension_Looking-for-ParadisecClement.MartinMystérieuse quête en plusieurs épisodes à travers les rues d’Aurillac… A la billetterie, on nous conseille d’aller jusqu’à un rond-point, munis d’une carte avec un numéro de téléphone; en l’appelant, la route à suivre nous sera indiquée. On suit un dédale de chemins jusqu’à un stand en contrebas, où on nous distribue des guirlandes de fleurs et où on nous invite à suivre un guide muni d’un renard bavard qui nous mène à travers les rues jusqu’à la place des Carmes.
Après plusieurs stations devant trois danseurs en sacs poubelle et un dernier arrêt devant de gros canards Disney qu’on nous présente: Alfred qui incarne nos désirs, Boris les croyances et l’infini des possibles : «Désirs et croyances sont les deux mamelles de l’inconscient !».

  Nous nous retrouvons Place des Carmes devant trois «Tahitiens» à cornes,  torses nus, chaussés d’ adidas, qui procèdent à un regroupement des spectateurs: les croyants à droite (25%), les non-croyants à gauche (75 %). Mais peu à peu, les groupes se rééquilibrent, tout le monde passe du côté des « gagnants », l’orateur constate que «ça fait un peu de temps qu’on se balade sur le chemin du doute ! ».
Une grande voiture blanche embarque des acteurs, un gros œuf explose, à l’intérieur un pianiste nous  joue un morceau.

Et, dernière station, nous entrons au Palais des Congrès pour une séance d’hypnose. Sur les fauteuils, il y a des masques qu’on nous invite à mettre puis on nous distribue des écouteurs, et on nous parle d’activer la glande pinéale… Sur fond de musiques des tropiques, nous pouvons enfin plonger dans un sommeil réparateur. À la sortie, on nous distribue un élégant livret Manifeste Looking for Paradise, suivi du Protocole 33.
Ce reflet hétéroclite de notre société en déroute évoquée dans nombre de spectacles de cet Aurillac 2015, mobilise un public important, tout en évitant les engorgements dans les rues bondées de monde. Sur le thème d’un jeu « sur des grandes questions métaphysiques pour offrir une ode à la joie, Looking for Paradise, dit Nicolas Chapoulier, libère les flots de nos inconscients collectifs et propose d’y surfer ensemble afin de transformer pour toujours cette quête absurde qu’est la vie en une croisière merveilleuse »
Peut-être… mais, côté émotion artistique, ce spectacle nous a vraiment laissé sur notre faim!

Edith Rappoport

www.troispointsdesuspension.fr

Michel Corvin

Adieu Michel Corvin

   377-mcorvin_photo083Michel Corvin nous a quitté brutalement hier. Il allait avoir 86 ans. Spécialiste du théâtre du XXème siècle, il avait enseigné à l’université de la Sorbonne nouvelle mais aussi à l’Ecole d’Acteurs de Cannes.
Il avait écrit entre autres Le théâtre nouveau en France, PUF, 1963,  Le théâtre nouveau à l’étranger, PUF, 1964 et écrit une thèse sur le laboratoire Art et action dont une version abrégée avait paru à L’Age d’Homme en 1974. Mais on lui doit aussi l’édition en Pléiade de Jean Genet, dont il était le spécialiste.

Il avait aussi coordonné un remarquable instrument de travail, Le Dictionnaire encyclopédique du théâtre , Bordas, 1991 qui fut plusieurs fois réédité,  avec quelque 2.100 articles transversaux, qui se donnait pour ambition de fournir une information historique, esthétique sur les praticiens du théâtre: auteurs, metteurs en scène, théoriciens, décorateurs, scénographes, architectes. Mission bien remplie ! Et une Anthologie critique des auteurs dramatiques européens (1945-2000), (Éditions théâtrales, 2007) et un Dictionnaire encyclopédique du théâtre à travers le monde, Bordas, 2008.
   Rien du théâtre actuel ne lui échappait, et on le voyait très souvent au premières, à la fois dans les grands théâtres mais aussi dans des salles plus confidentielles, voire marginales. Il aura formé de nombreux enseignants et chercheurs.
Avec lui s’en va un grand spécialiste de l’histoire et de la pratique du théâtre, à l’humour souvent cinglant qui n’avait pas peur de dire ce qu’il pensait,  mais reconnu et admiré de tous… Adieu Michel, nous n’oublierons pas tout ce que tu as apporté au théâtre contemporain.

Philippe du Vignal

Un hommage lui sera rendu aura lieu ce mardi 25 août à 11h, au Funérarium du Père-Lachaise à Paris.

Bretonnes de Charles Fréger

Bretonnes de Charles Fréger, nouvelle de Marie Darrieussecq, commentaire d’ Yann Guesdon, illustrations de Fred Margueron

 

bretonnes-1_large_rwdÀ l’origine, écrit Yann Guesdon qui médite avec passion sur l’histoire et le devenir des coiffes bretonnes, en épilogue à l’ouvrage Bretonnes de Charles Fréger, la coiffe sert d’une part, à protéger la tête du vent, de la pluie ou du soleil, mais aussi à cacher volontairement la chevelure pour ne pas attirer la convoitise des hommes et respecter ainsi l’ordre moral imposé par la religion.
L’étude souffre de l’absence de documents anciens qui ne permet pas de remonter avant le XVIIème siècle. Du XVIIème au XVIIIème siècle en revanche, les mentions se font plus précises, les descriptions auxquelles s’essaient les greffiers, connaisseurs en matière de diversité vestimentaire, sont éloquentes, que l’on soit en Haute ou en Basse Bretagne, qu’il s’agisse de coiffe, béguin, cornette, jobeline, capot à la mode de telle paroisse, ainsi la dénomination, «femme portant la coiffe à la mode de la paroisse de Beuzec-Cap Sizun».
Quant au XIXème siècle, c’est l’âge d’or de la coiffe bretonne, ce que révèle un recueil de planches dédiées aux différentes guises de Bretagne vers 1840 par un artiste ingénieux François-Hippolyte Lalaisse.
Et Yann Guesdon constate avec amusement : «Les coiffes sont alors dans toute leur splendeur et magnifient le visage féminin, alors qu’il est toujours interdit de montrer la chevelure ! »
Depuis 2000, Charles Fréger œuvre à travers le monde sur des séries de portraits de groupes engagés dans une démarche d’appartenance à un collectif : écoliers, sportifs, légionnaires, majorettes et… cercles celtiques de Bretagne.Ces jeunes gens pour la plupart appartiennent à des organisations qui impliquent le port d’une tenue vestimentaire codifiée : apprentis sumo, gardes royaux et républicains de l’Europe, élèves de l’Opéra de Pékin, patineuses et danseuses synchronisées finlandaises… Tous reliés à l’histoire culturelle, ethnologique et anthropologique des sociétés où ces jeunes évoluent.

Le photographe déploie aujourd’hui sur le territoire breton une nouvelle série photographique : Bretonnes, portraits de femmes vêtues de leurs costumes traditionnels qui  fait suite à d’autres photos réalisées, entre 2002 et 2013 comme (Hereros, Winner face, Short school haka, Empire, Opera, Painted Elephants) que l’on peut voir en même temps, que trente-cinq portraits de Bretonnes au Centre d’art et de recherche GwinZegal à Guingamp.
 Charles Fréger questionne ici les représentations dans la société contemporaine marquée par l’individualisation et la mondialisation des comportements. Pour Bretonnes, il a rencontré la plupart des membres des Cercles celtiques de Bretagne, afin de retrouver la très grande diversité des coiffes et costumes, et la complexité de ces identités attachées à un territoire.obtenir un rendu assez doux,  comme avec du pastel, entre le fond et la coiffe : de vivantes jeunes filles en fleur.L’inventaire des coiffes bretonnes laisse apparaître des demoiselles d’aujourd’hui, avec des coiffes de travail ou de cérémonie, en coton amidonné et dentelle, posant devant une chapelle ou une lande en bord de mer venteux.  Le personnage est accompagné à l’arrière par d’autres figures féminines, tenues à distance dans une brume cotonneuse. C’est une sorte de mise en scène de théâtre, depuis le détail de la dentelle jusqu’à la silhouette de la jeune femme dans son cadre marin ou rustique. Charles Fréger poursuit le tradition de l’imagerie de la Bretonne, et s’inspire de l’importante production de cartes postales de l’entre-deux-guerres, influencée encore par la peinture des Nabis, de Gauguin, Mathurin Méheut, Émile Bernard, Paul Sérusier, Eugène Boudin.

Dans cet opus admirable de 153 photographies en couleurs, le photographe a arpenté le territoire de la Bretagne historique. Il a utilisé un filtre donnant une texture particulière aux images. L’artiste se focalise sur le costume pour obtenir un rendu assez doux,  comme avec du pastel, entre le fond et la coiffe : de vivantes jeunes filles en fleur.

L’inventaire des coiffes bretonnes laisse apparaître des demoiselles d’aujourd’hui, avec des coiffes de travail ou de cérémonie, en coton amidonné et dentelle, posant devant une chapelle ou une lande en bord de mer venteux.  Le personnage est accompagné à l’arrière par d’autres figures féminines, tenues à distance dans une brume cotonneuse. C’est une sorte de mise en scène de théâtre, depuis le détail de la dentelle jusqu’à la silhouette de la jeune femme dans son cadre marin ou rustique. Charles Fréger poursuit le tradition de l’imagerie de la Bretonne, et s’inspire de l’importante production de cartes postales de l’entre-deux-guerres, influencée encore par la peinture des Nabis, de Gauguin, Mathurin Méheut, Émile Bernard, Paul Sérusier, Eugène Boudin.

Le photographe précise : «Je cherche des groupes de pairs, des individus qui ont fait la démarche de porter un uniforme, de grossir, de se muscler… des gens qui veulent entrer dans leur image, portés par un désir d’être.»
Un souhait collectif universel : «On croit, dit-il, que l’individu prime aujourd’hui. En fait, c’est juste qu’on affiche moins son appartenance à un groupe.»
  Charles Fréger dédie son magnifique ouvrage «aux femmes de tête », et dans sa jolie nouvelle en forme de prologue, Marie Darrieussecq met en exergue Ernest Renan (Souvenirs d’enfance et de jeunesse) : «La femme belle et vertueuse est le mirage qui peuple de lacs et d’allées de saules notre grand désert moral. »
  En circulant d’une exposition à l’autre, de Rennes à Saint-Brieuc, de Pont-l’Abbé à Guingamp, et/ou en feuilletant Bretonnes, on assiste au dévoilement de la singularité du costume en Bretagne, à son histoire, à ses savoir-faire dans la réalisation des dentelles et des broderies et à  sa représentation identitaire.
  C’est aussi une étape dans le parcours d’un artiste contemporain…

 

Véronique Hotte

 http://www.charlesfreger.com/portfolio/bretonnes/

 

L’ouvrage relié est publié aux éditions Actes-Sud. Format : 22,5 x 19cm, 264 pages, 153 photographies en couleurs, ouvrage relié.

 35 euros.
Centre d’art et de recherche GwinZegal à Guingamp : du 6 juin au 27 septembre.
Musée Bigouden de Pont-l’Abbé du 6 juin à 31 octobre.
Musée de Bretagne – Les Champs Libres à Rennes du 6 juin au 30 août.
Musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc du 6 juin au 27 septembre.

 

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