Intrigue et amour

Festival de Bussang (1895-2015) direction Vincent Goethals: 120 ans du Théâtre du Peuple Maurice Pottecher 

Intrigue et Amour, de Friedrich von Schiller, texte français de Marion Bernède et Yves Beaunesne, mise en scène d’Yves Beaunesne

TON15072949Pour le directeur de la Comédie-Centre dramatique national Poitou-Charentes et metteur en scène, la pièce de Goethe, rompt avec les absolutismes : «C’est est une charge explicite contre la corruption politique et sentimentale… un cri de vie appelant 1789 mais aussi mai 68 … » Ferdinand et Louise dans Kabale und Liebe (Intrigue et amour) sont des jeunes gens de tous les temps, attachants en ce qu’ils s’aiment en-deçà ou au-delà de leurs conditions sociales respectives: lui est le fils du Comte Président von Walter et elle, la fille d’un maître de musique à la cour d’un duché. Ces amants impétueux incarnent les héros mythiques du fameux Sturm und Drang(Tempête et Élan), mouvement romantique allemand qui, dès les années 1770, travaille à la conquête de la liberté individuelle initiée par les philosophes français, tout en cultivant la sensibilité et l’instinct, face au rationalisme sec des Lumières. Ainsi, Intrigue et amour, pièce fondatrice du théâtre allemand moderne, créée en 1784 à Mannheim, dessine avec une rage grandiose, une critique sociale acerbe, instillant le goût de la révolte et de la liberté à une jeunesse qui, dans une société corrompue, se révèle d’autant plus attentive à la justice et fidèle au sentiment et à l’affect. Tragique et comique conjuguent idéal et passion, suivant une langue ciselée, à la fois bouillonnante et claire, avec une écriture miroitante, subtile et crue parfois. La traduction inscrite dans notre temps par Marion Bernède est éloquente dans ses répliques pleines de santé et paradoxales : « Les mots sont des cadavres froids que seul l’amour ramène à la vie », médite Louise. Colère, amour et mort, l’éloquence expressive du verbe et des corps est à son comble, investissant l’être et fixant, une fois pour toutes, son caractère existentiel. À dénouer, les liens avec les pères et avec Dieu, en vue de l’autonomie à acquérir. Entre liberté et conventions, entre individu et société, l’amour est amèrement sacrifié ; la sensibilité intérieure de l’âme ici est ridiculisée. La révolte de Ferdinand contre l’autorité familiale et politique est, pour lors, vouée au silence alors que l’amour même aurait pu permettre la transgression des distinctions sociales et l’accès à l’émancipation. Les jeunes gens sont mis à l’épreuve de la douleur d’une vie agressive. Louise, figure tragique, est déchirée entre amour humain et devoir divin, soumise au joug paternel et religieux, attirée par le renoncement. Impasse et drame ? Non.  Grâce au maître-artisan Yves Beaunesne, l’échec essuyé sur la scène pour ces consciences morales et affectives conduit les rebelles à se dépasser et à s’accomplir dans une somptueuse exaltation verbale, gestuelle et corporelle, ordonnancée et servie par une pléiade de comédiens de grand métier. La baroque Mélodie Richard, marionnette vivante et passionnée, est une poupée libre qui se bat pour articuler sa présence au monde, et partenaire équitable et viril, le fougueux Thomas Condemine à la belle colère. De son côté, Worm, jeune ambitieux, amoureux éconduit de Louise et donc intriguant, est incarné  lui par Olivier Constant. Le père de Louise (Philippe Fretun) fait preuve d’une autorité rare, et d’une hargne et d’une soumission face aux hiérarchies. Jean-Claude Drouot est un père rigoureux et président magistral et  l’émouvante Anne Le Guernec est Lady Milford, une sorte de Marylin Monroe en robe de tulle romantique, ou en courtisane apprêtée du dix-huitième. La musique de Camille Rocailleux, jouée par les comédiens qui sont instrumentistes mais  aussi chanteurs, porte le drame vers la lumière et le désir de lendemains meilleurs. La scénographie de Damien Caille-Perret répond à cet esprit  de patchwork: styles et époques se mêlent ici pour tisser une fresque de superpositions et d’accumulations, selon le principe du palimpseste. Le spectacle est un éloge du théâtre dans la traversée du temps et de l’histoire artistique dont s’amuse Yves Beaunesne, en reprenant des bribes concrètes, des morceaux de décors de ses mises en scène précédentes, des souvenirs de spectacles, un atelier de peintre avec ses tableaux retournés, des rideaux à peine tirés, des châssis  des décors d’opéras, des mannequins muets et statiques, seuls ou groupés, des sièges de théâtre, des meubles anciens dépareillés. Le lieu scénique dégage ainsi inspiration et poésie. Le public contemple d’abord un théâtre d’ombres éclairé par quelques bougies tremblantes derrière un large drap blanc: derniers préparatifs dans les coulisses. Et quand, à la fin, le fond de scène s’ouvre, apparaît alors en majesté une forêt verdoyante et montueuse où les interprètes, valise à la main, s’en retournent pour suivre leur voyage de comédiens. Une toile picturale et théâtrale, vivante et visionnaire des amours ancestralement empêchées.

Véronique Hotte

Théâtre du peuple, Bussang, du 29 au 31 juillet, les 1, 5, 6, 7, 8, 12, 13, 14, 15,19, 20, 21, 22 août, les mercredis, jeudis, vendredis et samedis à 15h. La pièce est publiée chez l’Arche Éditeur

 


Archive pour 2 août, 2015

L’Opéra de Quat’sous

L’Opéra de Quat’sous, de Bertolt Brecht, texte français de Jean-Claude Hémery,  songs de Kurt Weill, mise en scène de Vincent Goethals, chef d’orchestre Gabriel Mattei.

 OperaPhotoEricLegrand009 La pièce inspirée de L’Opéra des Gueux de John Gay, et créée le 31 août 1928 à Berlin, durant la République de Weimar, développe une intrigue transposée dans le Soho londonien de l’Angleterre victorienne.
Vincent Goethals, directeur inspiré du Festival de Bussang au Théâtre du Peuple qui fête ses cent vingt ans, réactualise l’œuvre originelle qui montre, à travers Brecht, que «l’univers mental et la vie sentimentale des brigands ont énormément de ressemblance avec l’univers mental et la vie sentimentale des bourgeois rangés ».

 Les personnages appartiennent à la morale «non politiquement correcte» des bas-fonds.  Ainsi, le proxénétisme avec ses macs, prostituées et clients, les affaires douteuses, les vols et cambriolages, les attaques à main armée, les meurtres, et, cerise sur ce gâteau infernal, un négoce efficace au profit du seul couple Peachum, avec une stratégie de la mendicité pour provoquer la compassion du passant cerné dans la rue par des hommes et femmes mutilés, portant prothèses, gueules et corps cassés.
Les images se ressemblent un peu, de 1920 à nos jours. Brecht donne ici de l’exploitation de la pauvreté, une image caustique de la corruption, un miroir agressif offert à la société de son temps. 
  Fable satirique, c’est une parodie farcesque, violente dans sa dénonciation des injustices et des iniquités. Le message symbolique de cette «nouvelle opérette-opéra populaire» de Brecht et Weill revient implicitement à la critique acerbe d’une bourgeoisie hypocrite, compromise dans l’invention des mécanismes du capitalisme.
Les conseils pragmatiques de Macheath, dit Mackie-le-Surineur, fusent, portés par la niaque de Frédéric Cherboeuf, au mieux de sa forme : «Qu’est-ce qu’un passe-partout comparé à une action de société anonyme ? Qu’est-ce que le cambriolage d’une banque, comparé à une fondation de banque ? Qu’est-ce que tuer un homme, comparé au fait de lui donner un travail rétribué ? »
Alain Éloy joue Peachum, roi des mendiants, et dessine une figure baroque  et dansante de fieffée canaille. Quant à sa fille, Molly Peachum, (Valérie Dablemont), elle se révèle petite diablesse facétieuse et joyeuse, lutine chatoyante et acidulée.
Dans L’Opéra de Quat’sous, «L’homme est un loup pour l’homme » qui vit de l’exploitation de l’homme, en oubliant encore qu’il est lui-même homme. Vincent Goethals s’inspire du film-culte de Stanley Kubrick, Orange mécanique, et transpose l’action dans une futuriste et décadente Angleterre stylisée des années 70/80.

 Costumes blancs criards et m’as-tu-vu et coupe de cheveux jazzy pour les bandits ; guêpières, bas résille et body noirs pour les putes à perruque: le tableau est réaliste, tiré des vitrines des quartiers chauds d’Amsterdam, et des cabines des peep shows.  Ici, à l’écoute festive de cette œuvre théâtrale et musicale, les deux inscriptions peintes sur le manteau d’arlequin, à jardin et à cour : «Par l’art» et «Pour l’humanité», résonnent à bon escient.
Le chef d’orchestre Gabriel Mattei évoque des références populaires : sonorités libres et jazzy – rythmes dansés, valse, tango, fox-trot, ballade et accents forains de trompette et d’accordéon, des miniatures glissant dans l’opéra politique et épique. L’alliance heureuse du théâtre, de la danse, de la musique et du chant, dans cette mise en scène soignée, tient beaucoup aussi au talent des vingt-trois interprètes,  tous à la fois acteurs et chanteurs, professionnels ou amateurs. Sous la conduite énergique de la chef de chant Mélanie Moussay, attentive à la tenue des voix, l
e jeu physique choral est chorégraphié par Arthur Perole, sur un rythme cadencé et expressif, dispense les images de divertissement et de plaisir populaires.
   Et, à la fin, au moment de l’ouverture magique du fond de scène, le public est émerveillé par le happy end de l’arrivée d’un messager royal à cheval, capeline dorée et étincelante sur la croupe cavalière, tout juste avant le moment ultime et fatidique de la pendaison du souteneur Mackie, longuement annoncée, puis annulée par miracle.  
  Brecht critique l’opéra comme institution sociale traditionnelle qui divertit la bourgeoisie cultivée. Pour le dramaturge engagé, les employés et ouvriers des classes moyennes devaient aussi naturellement entendre et goûter un spectacle, un plaisir sensuel.
Une mise en scène conviviale qui atteint net sa cible de divertissement….

Véronique Hotte

Théâtre du Peuple de Bussang, les 1, 2, 5, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 15, 16, 19, 20, 21, 22 août, en semaine à 19h45 et les dimanches à 15H.
Le texte de la pièce est publié chez L’Arche Éditeur.

 

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