L’Opéra de Quat’sous
L’Opéra de Quat’sous, de Bertolt Brecht, texte français de Jean-Claude Hémery, songs de Kurt Weill, mise en scène de Vincent Goethals, chef d’orchestre Gabriel Mattei.
La pièce inspirée de L’Opéra des Gueux de John Gay, et créée le 31 août 1928 à Berlin, durant la République de Weimar, développe une intrigue transposée dans le Soho londonien de l’Angleterre victorienne.
Vincent Goethals, directeur inspiré du Festival de Bussang au Théâtre du Peuple qui fête ses cent vingt ans, réactualise l’œuvre originelle qui montre, à travers Brecht, que «l’univers mental et la vie sentimentale des brigands ont énormément de ressemblance avec l’univers mental et la vie sentimentale des bourgeois rangés ».
Les personnages appartiennent à la morale «non politiquement correcte» des bas-fonds. Ainsi, le proxénétisme avec ses macs, prostituées et clients, les affaires douteuses, les vols et cambriolages, les attaques à main armée, les meurtres, et, cerise sur ce gâteau infernal, un négoce efficace au profit du seul couple Peachum, avec une stratégie de la mendicité pour provoquer la compassion du passant cerné dans la rue par des hommes et femmes mutilés, portant prothèses, gueules et corps cassés.
Les images se ressemblent un peu, de 1920 à nos jours. Brecht donne ici de l’exploitation de la pauvreté, une image caustique de la corruption, un miroir agressif offert à la société de son temps.
Fable satirique, c’est une parodie farcesque, violente dans sa dénonciation des injustices et des iniquités. Le message symbolique de cette «nouvelle opérette-opéra populaire» de Brecht et Weill revient implicitement à la critique acerbe d’une bourgeoisie hypocrite, compromise dans l’invention des mécanismes du capitalisme.
Les conseils pragmatiques de Macheath, dit Mackie-le-Surineur, fusent, portés par la niaque de Frédéric Cherboeuf, au mieux de sa forme : «Qu’est-ce qu’un passe-partout comparé à une action de société anonyme ? Qu’est-ce que le cambriolage d’une banque, comparé à une fondation de banque ? Qu’est-ce que tuer un homme, comparé au fait de lui donner un travail rétribué ? »
Alain Éloy joue Peachum, roi des mendiants, et dessine une figure baroque et dansante de fieffée canaille. Quant à sa fille, Molly Peachum, (Valérie Dablemont), elle se révèle petite diablesse facétieuse et joyeuse, lutine chatoyante et acidulée.
Dans L’Opéra de Quat’sous, «L’homme est un loup pour l’homme » qui vit de l’exploitation de l’homme, en oubliant encore qu’il est lui-même homme. Vincent Goethals s’inspire du film-culte de Stanley Kubrick, Orange mécanique, et transpose l’action dans une futuriste et décadente Angleterre stylisée des années 70/80.
Costumes blancs criards et m’as-tu-vu et coupe de cheveux jazzy pour les bandits ; guêpières, bas résille et body noirs pour les putes à perruque: le tableau est réaliste, tiré des vitrines des quartiers chauds d’Amsterdam, et des cabines des peep shows. Ici, à l’écoute festive de cette œuvre théâtrale et musicale, les deux inscriptions peintes sur le manteau d’arlequin, à jardin et à cour : «Par l’art» et «Pour l’humanité», résonnent à bon escient.
Le chef d’orchestre Gabriel Mattei évoque des références populaires : sonorités libres et jazzy – rythmes dansés, valse, tango, fox-trot, ballade et accents forains de trompette et d’accordéon, des miniatures glissant dans l’opéra politique et épique. L’alliance heureuse du théâtre, de la danse, de la musique et du chant, dans cette mise en scène soignée, tient beaucoup aussi au talent des vingt-trois interprètes, tous à la fois acteurs et chanteurs, professionnels ou amateurs. Sous la conduite énergique de la chef de chant Mélanie Moussay, attentive à la tenue des voix, le jeu physique choral est chorégraphié par Arthur Perole, sur un rythme cadencé et expressif, dispense les images de divertissement et de plaisir populaires.
Et, à la fin, au moment de l’ouverture magique du fond de scène, le public est émerveillé par le happy end de l’arrivée d’un messager royal à cheval, capeline dorée et étincelante sur la croupe cavalière, tout juste avant le moment ultime et fatidique de la pendaison du souteneur Mackie, longuement annoncée, puis annulée par miracle.
Brecht critique l’opéra comme institution sociale traditionnelle qui divertit la bourgeoisie cultivée. Pour le dramaturge engagé, les employés et ouvriers des classes moyennes devaient aussi naturellement entendre et goûter un spectacle, un plaisir sensuel.
Une mise en scène conviviale qui atteint net sa cible de divertissement….
Véronique Hotte
Théâtre du Peuple de Bussang, les 1, 2, 5, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 15, 16, 19, 20, 21, 22 août, en semaine à 19h45 et les dimanches à 15H.
Le texte de la pièce est publié chez L’Arche Éditeur.