Un d’eux nommé Jean
Un d’eux nommé Jean, d’après des textes de Jean et Maurice Pottecher adaptation de Marie-Claire Utz, mise en scène de Vincent Goethals
Inspiré des écrits de Maurice et Jean Pottecher, c’est un spectacle qui témoigne des horreurs de la guerre ; aux blessures mortelles, s’ajoute l’angoisse des blessures morales, à travers l’évocation du conflit 14-18 où s’enrôla Jean : «Je me suis décidé hier, et je partirai mardi prochain 15 septembre… C’est guidé par ton esprit que je me résous, même si tu protestais… », écrit-il à son père Maurice, depuis Bussang le 3 septembre 1914.
Entre les deux hommes, se révèle et s’épanouit, grâce à des mots simples et sincères, l’évidence d’une tendresse mutuelle et réciproque dont prend conscience avec acuité le plus âgé, apte à analyser les événements avec recul, même si les messages venus du front ne cessent de le troubler et de l’inquiéter dans son attente : «Un père peut deviner ce qui se passe dans l’âme de son fils : il n’a qu’à se souvenir. Un fils ne peut savoir, même s’il en a quelque pressentiment, tout ce qui agite l’esprit de son père. »
De son côté, le plus jeune fait, malgré lui et en mode accéléré, l’initiation douloureuse de la vie et de sa fragilité matérielle, et l’expérience violente de l’existence vouée à une disparition programmée, de façon très intense car rigoureusement comptée : «Le temps fuit… avec une insignifiance incroyable. Et s’il n’était pas irrémédiablement perdu, on aurait bien l’impression qu’il n’a aucune, aucune valeur. »
Pourtant, circulent impressions, sentiments et jugements les plus divers : amitiés fortes entre soldats épuisés, quand leur courage est sollicité en permanence,au-delà des conditions ultimes de survie au front, dans la boue dégoûtante, la saleté et les rats, le froid et de l’humidité, et…l’absence de sommeil.
Alors qu’au tout début de l’aventure, le soldat souriait encore en racontant avec amusement la nécessité de se protéger des poux. Mais la détestation de la guerre et de ses atrocités prend vite le dessus, d’autant qu’il faut résister encore et se soumettre aux injustices et aux inconséquences des gradés, dont certains restent désespérément peu éclairés.
Le père, lui, ne se remet pas de la vie dérobée au fils, qui volait au secours d’un proche, trahi et touché par une balle : «Maintenant il est mort. Est-ce vrai ? Il vit en moi, comme si demain ce héros, ce saint, allait revenir…Par-delà les portes funèbres, peut-être continue-t-il sa route. Je ne le distingue plus, c’est vrai, je ne puis le suivre. Mais je ne suis pas obligé de savoir qu’il s’est arrêté. »
Dans la tradition du Théâtre du Peuple, se retrouvent sur le plateau, à côté de la violoncelliste Camille Gueirard et de son jeu nuancé, un acteur amateur, René Bianchini qui interprète Maurice Pottecher avec une force tranquille, et un comédien professionnel, Ulysse Barbry, agile, et habité par sa foi: celle du combat pour la patrie, les amis, et l’humanité.
On voit le jeune soldat écrire ses lettres furtives, pleines de tendresse pour son père,et porter plus tard le masque à gaz, se mettre en colère et se rebeller contre l’absurdité du monde et des hommes, se couvrir le visage de boue et de suie.
Le pantin de guerre perd ses caractéristiques policées mais préserve en échange sa dignité : l’acteur s’abandonne à son rôle. En compagnie de son père, le public le pleure, quand il disparaît.
Un spectacle sensible et puissant.
Véronique Hotte
Théâtre du Peuple, Festival de Bussang, du 25 juillet au 22 août, les jeudis et samedis, à 11h45.
Le texte est publié chez Lansman éditeur.