Le Théâtre du Peuple de Bussang
Le Théâtre du Peuple de Bussang – Cent vingt ans d’histoire de Bénédicte Boisson et Marion Denizot
Dans sa préface à l’ouvrage de ces deux enseignantes-chercheuses, le metteur en scène François Rancillac, président de l’Association du Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher, met en relief la particularité de ce lieu, qui est une sorte de condensé des tensions et des dynamiques qui agitent l’art théâtral depuis la fin du XIX ème siècle jusqu’à nos jours.
Ainsi, se déclinent au cours du temps les relations entre théâtre privé et théâtre public, théâtre d’art et théâtre populaire, professionnalisme et amateurisme, création et répertoire, ancrage local et rayonnement national, gouvernance associative et direction artistique unique.
Le mystère de cette utopie vivante nourrit une dynamique, « lorsque la «ruche» composée d’artistes, techniciens, administratifs, formateurs, membres actifs de l’association… œuvrent à l’année à la préparation des spectacles, à la sensibilisation des publics sur les trois régions limitrophes (Lorraine, Alsace, Franche-Comté), à la transmission des plaisirs et des enjeux de l’art théâtral à des centaines de jeunes gens scolarisés et à autant d’amateurs de la France entière… »
Au-delà des guerres et de périodes stériles, la magnifique grange de théâtre a su garder son cap, en se renouvelant et allant jusqu’à dessiner, depuis une vingtaine d’années, un renouveau scénique et en améliorant sa fréquentation. À cette traversée artistique, politique, économique et sociale du siècle, correspond un ouvrage attentif au passage du temps et à la réinvention de l’aventure, préservant son esprit originel qui est écrit sur le fronton de scène : « Par l’art, pour l’humanité ».
À partir du rayonnement d’un projet singulier (1895-1935), Maurice Pottecher s’est mis au service d’un projet social dans son combat pour un théâtre populaire. Les choix esthétiques de font entre tradition et modernité – local et universel, naturalisme et vision spectaculaire -, ouverts au théâtre du temps, à travers une troupe de comédiens amateurs et désintéressés. L’initiative privée est en quête active de reconnaissance publique et passe de l’engagement familial de type paternaliste, un théâtre dans le village, à l’appel à la puissance publique et à la naissance d’une tradition : une ruche en villégiature.
Le succès se fait rapide, depuis la ville de Bussang, ville d’eau et station climatique, dont le rayonnement est national et international pour un public diversifié et conquis. La perpétuation du projet (1935-1960), dessinée avec précision par les auteures, aboutit à une mue délicate (1960-1991), jouant entre la préservation de l’œuvre, l’acrobatie de la gouvernance, le besoin impérieux de soutiens publics dans les reprises comme dans les créations.
Heureusement, de 1991 à nos jours, la marginalité du Théâtre du Peuple devient naturellement féconde ; l’utopie retrouve son actualité, l’idéal son évidence, tandis que les amateurs s’installent au centre du jeu, provoquant les succès d’un lieu dédié à la création.
Cette structure professionnelle au fonctionnement singulier se réinvente constamment, grâce à des directeurs aux commandes effectives d’un lieu et d’une équipe. Et les nouvelles fonctions de l’association sont « garantes de l’esprit du lieu ».
Le Théâtre du Peuple reste un lieu d’exception(s) dans la décentralisation dramatique, et ce «Théâtre des Parisiens» vogue entre enracinement local et rayonnement national. Les questions se posent : appareille-t-on pour une animation socioculturelle, une vocation patrimoniale ou un lieu de création ? La création se fait aujourd’hui in situ, soumise à ses contraintes, à ses fictions et ses réalités. Le Théâtre est une «cabane», une «maison commune» pour créer en résidence.
Son directeur et metteur en scène, Vincent Goethals, pour cette édition 2015, rend hommage à l’Allemagne, pays proche dont les auteurs sont emblématiques, avec Intrigue et amour de Schiller à L’Opéra de Quat’sous de Bertolt Brecht.
Véronique Hotte
L’ouvrage est publié aux éditions Actes Sud.