Festival Teatro a corte de Turin 2015
Festival Teatro a Corte 2015, Turin
Clin d’œil à l’exposition universelle de la métropole voisine, Milan, le thème Nourrir la planète est l’un des fils rouges de Teatro a Corte 2015 : au moins cinq événements font appel à cette source d’inspiration, détournant allègrement la consigne… Cela tombait bien car, pour Beppe Navello, allier art contemporain, patrimoine et productions du terroir est la marque de fabrique de son festival turinois. « Cette année, dit-il , il y a une parfaite cohérence entre nourriture, palais royaux et art contemporain », les trois composantes de ce festival « métissé ».
D’abord festival de théâtre européen, le projet est né du besoin de renouveler le théâtre italien en le confrontant avec des artistes étrangers. Beppe Novello, à la fin des années quatre-vingt dix, constate l’essoufflement du théâtre dans son pays. Après un séjour en France pour y réaliser une mise en scène, il éprouve une urgence personnelle à faire connaître en Italie, les nouvelles formes de création qu’il a découvertes à l’étranger.
D’où l’idée de créer un festival programmant arts du cirque, de la rue, événements vidéos… Ce choix radical s’est enrichi quand, en 2007, au Ministère de la culture, le tourisme a rejoint,les activités culturelles et le patrimoine. Il propose alors un nouveau concept, baptisé Teatro a Corte (Théâtre à la Cour), avec des performances variées adaptées aux nombreux châteaux de la région turinoise des Ducs de Savoie.
La base arrière du festival demeurant cependant le Theatre Astra, centre dramatique qu’il dirige, sans pour autant en confondre la programmation annuelle avec celle du festival d’été.
Il y présentera la saison prochaine huit épisodes des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, confiés chacun à un metteur en scène italien dont lui-même ou étranger comme la française Catherine Marnas… Rien à voir donc avec les dramaturgies non textuelles de Teatro a Corte, dont les financements sont strictement distincts.
Comme pour beaucoup d’entreprises culturelles européennes, « Les temps sont durs », dit Beppe Navello. Teatro a Corte qui durait 26 jours en 2008 a vu ses subventions fondre de 70 % et a dû réduire sa voilure à treize jours cette année. Le festival n’en conserve pas moins sa spécificité, avec vingt-six compagnies de huit pays, un focus sur l’Allemagne, des créations in situ, notamment dans deux autres demeures de la maison de Savoie…
Le dernier week-end d’août nous a offert un bon échantillon du menu éclectique composé par Beppe Navello et son équipe.
Mas-Sacré, chorégraphie de Maria Clara Villa Lobos
Parmi les nombreuses chorégraphies réalisées pour le centenaire du Sacre du printemps, celle de Maria Clara Villa Lobos se distingue par son originalité. Partant du fait que la pièce de Nijinski fut qualifiée lors de sa création, en 1913, de « Massacre du printemps », elle reprend le jeu de mots à son compte, en l’appliquant aux maltraitances infligées aux animaux par l’industrie alimentaire.
Sur la musique d’Igor Stravinsky, défilent des images terrifiantes de poulets élevés en batterie, de vaches martyrisées, de viandes triturées et conditionnées. Devant cet holocauste animal, qui n’est pas sans rappeler la « solution finale », quatre danseurs reproduisent cette grande boucherie. À la tristesse des veaux et des porcs en cage, répond l’allégresse frétillante d’un danseur plutôt enveloppé, portant un masque de cochon et que ses compères mettent à mort et aspergent de ketch-up.
Mais tout reste stylisé, avec un sens du kitch, marque de fabrique de la compagnie XL, fondée en 2000 à Bruxelles par la danseuse et chorégraphe brésilienne. Maria Clara Villa Lobos qui n’a pas peur de la surcharge pondérale et excelle ici dans la redondance, redouble la danse par l’image et vice-versa.
Elle introduit une esthétique du mauvais goût très maîtrisée, avec un art de la provocation de bon aloi qui fait oublier, par le rire, le côté illustratif et saturé de la forme.
Le Sacre du Printemps : a haptic Rite, chorégraphie de Kenji Ouellet
Toute aussi originale, mais bien différente par la subtilité de son approche, cette chorégraphie fait partie d’une série de pièces fondées sur le sens du toucher développées par Kenji Ouellett. « Il n’y a pas d’art établi pour le toucher, je cherche à faire quelque chose qui ne soit pas » oculocentrique » , dit ce jeune Québécois établi à Berlin. « La scène, c’est votre corps, laissez-vous guider » , annonce-t-il aux quatre spectateurs qui sont individuellement conduits, les yeux bandés dans la salle, par l’un des quatre danseurs de la troupe.
Là, dans le noir, chacun d’entre nous est soumis aux mouvements que la musique de Stravinski fait naître chez les interprètes, et que ces derniers impriment sur notre corps, abandonné aux sensations induites par cette étrange chorégraphie haptique (du grec haptein, toucher).
Celui qu’on ne peut plus appeler spectateur ou auditeur, est réduit à l’état d’un pantin sans yeux, concentré sur un sens encore inexploré chez lui, le toucher, en concordance avec l’attention portée à la structure musicale. Expérience loin d’être désagréable, quoique déconcertante qui nous ouvre tout un champ kinesthésique à découvrir…
One hit Wonders, chorégraphie de Sol Pico
Petite bonne femme au corps compact, aux gestes résolus, un rien volontariste, Soĺ Pico brave le public et entre en scène, tel un torero dans l’arène. L’air de dire :’ « Me voilà! Vous allez voir ce que vous allez voir. »
Elle nous invite à parcourir, avec elle, le meilleur de ses créations. La danseuse et chorégraphe, renommée en Espagne mais dont on connaît mal le travail en France, entend fêter ainsi ses vingt ans de carrière. Dans ce compte à rebours, seule en scène ou presque-elle convoque de temps à autre des comparses-elle présente des fragments de ses œuvres les plus représentatives, comme Bésame el cactus où, les yeux bandés, devant un miroir, elle danse parmi les cactus, ou présente un solo sur pointes, mais façon flamenco, et en chaussons rouges.
Au cours de cet itinéraire, on peut apprécier la perfection de sa technique alliant contemporain et classique, son dynamisme forcené, son humour et l’univers pictural de ses pièces. Elle évoque, sur le ton de la plaisanterie, les difficultés pour une artiste de durer, les hauts et les bas qu’elle a traversés. Et la nécessité de toujours se battre pour rebondir.
Sol Pico développe un style bien à elle et ce spectacle nous met en appétit pour d’autres pièces. Avis aux programmateurs français!
D’un château l’autre
Enfin, il ne faut pas oublier les visites aux demeures de la famille de Savoie, composante essentielle de ce festival, et qui lui a valu son nom… Nous avons déjà parlé d’Origami (voir Le Théâtre du Blog), joué dans les jardins du Palazzio di Rivoli. Château devenu haut lieu muséal d’art contemporain et le premier ouvert en Italie, il a été restauré de façon exceptionnelle par l’architecte Andréa Bruno qui a su conserver les ruines d’antan, tout en les mettant en valeur avec une structure futuriste de verre et d’acier, laissant apparaître les blessures des vieux murs de briques,et les outrages du temps et des guerres.
À l’intérieur, nous avons aussi assisté à deux vidéo-danses, dont l’étrange performance réalisée par Billy Cowie : Art of Movement, composée de captations de ses chorégraphies antérieures, projetées en 3D, et de répliques de ces mêmes chorégraphies par des danseuses sur scène. Accompagnées par des musiques de sa composition.
On admire surtout la concentration dont font preuve les interprètes, bombardées de lumières et de décibels, pour se mouvoir quasiment sur place, avec des gestes ultra- sophistiqués.
Vérité et virtuel ne font pas forcément bon ménage dans ce travail très formel. À découvrir quand même et surtout par les amateurs de prouesses technologiques…
www.billycowie.com
Dans les prestigieux jardins de la Venaria Reale, petit Versailles au cœur de Alpes, dont les façades de briques soigneusement préservées sont du meilleur effet dans la verdure des bosquets, Alice Delorenzi et Francesco Fassone proposent Il falso convitto (Le faux Banquet), installation-parcours inspirée le sculpteur Bernin qui mit en scène un banquet, le 15 aout 1688, dans l’église Santa Maria Maggiore à Rome.
Un triomphe de la scénographie et de l’imagination baroques. Mais ici, au lieu de venir célébrer avec tout le faste du Bernin, la science culinaire, le public, réduit à huit personnes, installé dans un wagonnet poussé sur des rails par des serviteurs mutiques, est invité réfléchir sur les excès et les gaspillages alimentaires de notre époque.
» La grande distribution est baroque et illusoire » nous dit Alice Delorenzi la conceptrice de ce spectacle. De station en station, l’équipage franchit des portiques surmontés d’inscriptions prometteuses, derrière lesquels on découvre la triste réalité de la malbouffe et les méfaits de la grande distribution.
Elégance des installations, cérémonial des laquais, et mise en scène luxueuse de ce petit voyage, tout contribue à créer l’illusion de richesse et de progrès, bien vite démasquée » « Tout reluit dans la splendeur de l’abondance, comme dans nos super-marchés… Derrière cette splendeur, il y la réalité d’un faux banquet » , précise la jeune scénographe. Un spectacle ludique qui a su trouver la parfaite adéquation entre patrimoine, expression contemporaine et art culinaire.
Et un banquet, cette fois bien réel, a clôturé le festival. Au milieu des luxuriants vignobles de Barolo, situés dans les collines de Lenghe, s’étend le domaine viticole de Fontanafredda, à l’origine, propriété offerte par le roi Victor-Emmanuel II de Savoie à sa favorite, la Bela Rosin. Les plats concoctés par le chef Ugo Alciati, étaient accompagnés de textes commandés à des écrivains allemands, français et italiens qu’interprétaient trois actrices. On retiendra surtout de cette soirée l’excellent risotto et l’atmosphère conviviale qui a régné, par ailleurs, tout au long de ce festival.
Mireille Davidovici
Le festival Teatro a Corte a eu lieu du 30 juillet au 2 août et la prochaine édition est programmée du 10 au 20 juillet 2016.
T: +39 011.5119409 – info@teatroacorte.it – www.teatroacorte.it