Tempête
Festival d’Aurillac:
Tempête, par la compagnie Gérard Gérard, mise en scène de Muriel Sapinho
Bienvenue dans le monde sournois des ultra-libéraux vaguement inspiré par Shakespeare ! L’histoire est celle des civilisations décadentes : une ascension vérolée puis la chute. La tempête vient tout balayer et les survivants tentent de rapiécer l’humanité.
Aux manettes, au départ, une boîte commerciale baptisée sobrement et vicieusement: La Compagnie. Le totalitarisme est en embuscade. Cela commence par un câlin gratuit entre une jeune femme sexy un peu hagarde et un spectateur: on aurait dû se méfier… Et voilà que débarquent des types en costard qui veulent optimiser la ville.
Amusante scène de réalité augmentée, façon Rapport minoritaire, le film de science-fiction de Steven Spielberg (2002) où, à Wahington en 2054, des être humains mutants, les précogs, peuvent prédire les crimes grâce à leur don de prescience… Leur slogan : «Donner un avenir à votre futur». Leur projet : «Aurillaquium 2000, havre de paix entre Paris et Singapour» pour redynamiser une ville que «même les autoroutes préfèrent éviter». Aurilac (sic) va connaître son heure de gloire…
Les spectateurs rigolent et acquiescent puis sont invités à acheter des actions sur les parkings, hôpitaux et écoles, à brandir des drapeaux avec logo, à adhérer à des idées nauséabondes. Ils collaborent sans s’en apercevoir.
Bien vue, cette opération à l’insu de notre plein gré qui révèle insidieusement les similitudes entre notre adhésion de spectateur à la fiction (dont l’acceptation de certaines grosses ficelles du théâtre de rue) et notre collaboration de citoyen à une économie-spectacle (elle aussi si souvent grotesque !).
Thomas, un inconnu (faussement) tiré du public est porté au pinacle. Là aussi, on y croit, ou on feint d’y croire… C’est l’astuce de ce dispositif dramaturgique retors : un jeu caricatural, signe de notre société de masques. Ah ! Les charmes de la médiatisation qui font d’un simple clampin, une véritable star. Thomas devient ainsi le «Che Guevara du capitalisme nouveau», et le «Jim Morrison qui passe à The Voice».
Le spectacle s’enlise un brin côté rythme, mais l’arrivée de la tempête revivifie les images et le tempo. Camion, terroristes et machine font leur petit effet. Nous avons assisté à une représentation du spectacle, place Aurinques. Celles qui ont lieu devant l’Hôtel de Ville dépotent davantage, paraît-il, avec descente de la façade en rappel.
L’eau et la terre magnifient les comédiens. Le fameux tableau de Géricault Le Radeau de la Méduse comme métaphore de notre société, a décidément la cote cette année. On l’a déjà vu à Avignon dans l’aéroport de transit de Nathalie Garraud (Soudain la nuit), et la compagnie Kumulus la développe abondamment dans son foutraque et coloré Naufrage (à 21h30, parking de la Tour). Ici, c’est un podium furtif où les loosers burlesques gagnent en humanité.
Les Gérard Gérard, issus de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot, ont un sacré sens de la caricature de la formule publicitaire, comme nos politiques férus l’ont des éléments de langage. Les images météorologiques avec le khalife et les communicantes échevelées sont superbes.
Bref, c’est une belle troupe de comédiens qui ne ménagent pas leur engagement.
Stéphanie Ruffier
Le spectacle a été joué du 19 au 22 août Place Aurinques et Place de l’Hôtel de ville, et sera repris ensuite en tournée.
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