Le Point de bascule
Festival d’Aurillac (suite et fin):
As the World tipped (Le Point de bascule) par le Wired aerial Theatre
Sirènes de police et «poursuites» lumineuses balaient le brouillard de la nuit. Sur la place Paul Doumer, les milliers de spectateurs réunis au pied du mât d’une grue sentent que l’heure est grave. Sur le large plateau où flotte le drapeau de l’O.N.U., se rejoue la conférence de Copenhague sur le changement climatique. Des bureaucrates affairés classent des dossiers, et énumèrent des noms exotiques d’animaux en danger.
Bla-bla de technocrates et vaines allers et venues. Pour tout voir, tendre démesurément le cou est nécessaire. La paperasse vole. C’est la débâcle ! Notre monde se casse la gueule. Alain Timàr pour Pédagogie de l’échec de Pierre Notte (voir Le Théâtre du Blog) nous proposait déjà un personnel administratif accrochés à ses vieux schémas, et luttant désespérément sur un plan de plus en plus incliné.
Les acrobates du Wired aerial Theatre vont encore plus loin dans l’image-catastrophe. Le plateau bascule, de façon de plus en plus en plus sinistre, pour terminer à la verticale. Le monde est suspendu au-dessus du vide. Sidérant ! On ne quitte pas des yeux la poignée de survivants qui s’agrippent au bord supérieur du plateau avec l’énergie du désespoir.
A cause impérieuse, mise en scène monumentale : le spectacle de danse aérienne qui suit se mêle habilement à la projection vidéo. Ode à la gravité qui illustre la pesanteur de l’état désastreux de la planète et celui de ses malheureux habitants, malmenés par leurs erreurs politiques. L’image et les médias deviennent une fragile planche de salut où continuent de courir, sauter, trébucher et vaciller les voltigeurs.
Magnifique lutte de l’homme contre le numérique et les législations aussi verbeuses qu’impuissantes. Les images-choc jouent sur notre voyeurisme morbide, avec séquences de séisme, tempête, fracture et effondrement (certaines animations font toutefois un peu carton-pâte !) et alternent avec de beaux paysages et portraits de visages indiens. Applaudissements spontanés et enthousiastes. La symbiose entre les assistants, ces artistes de l’ombre, qui font contrepoids sur les sections de pont latérales à ceux qui évoluent à vue, est parfaitement maîtrisée. Dans une belle complicité…
La fin est didactique : CHANGE se mue en «be change» et «demand change». Les Anglais de Liverpool savent embarquer le public dans leur univers de prestidigitateurs-architectes de l’extrême. Cette voltige est souvent puissante et hypnotique…
Stéphanie Ruffier