Le Théâtre de l’épouvante
Festival d’Aurillac suite et fin:
Le Théâtre de l’épouvante, par le Pudding théâtre
Du rituel païen, voilà ce qui nous manque et que nous allons quémander auprès du théâtre, assoiffés que nous sommes, de nouveaux modes de communion. A l’entrée de cet entre-sort à ciel ouvert, les spectateurs se reconnaissaient à leur doigt rougi. Après s’être acquittés d’un modique droit d’entrée auprès d’un maître de cérémonie à l’accent franc-comtois, ils trempent en effet leur index dans un verre de sang frais.
Une pancarte déconseille gentiment le spectacle aux femmes enceintes, aux enfants de moins de dix ans, et l’ l’interdit aux xénophobes, claustrophobes, hématophobes (peur du sang), coulrophobes (peur des clowns)… panophobes (peur de tout) ! Nous voilà prévenus.
Au passage, petit coup de pied à notre société où règnent le politiquement correct, la précaution et une méfiance généralisée vis-à-vis de l’Autre. Dans la file d’attente, devant les bâches de plastique noir, délicieuse ambiance de théâtre forain. Une infirmière vient régulièrement prendre la température. Nous ne dévoilerons presque rien du spectacle au risque d’en déflorer les effets. Il suffit de savoir qu’il y est question de la peur, « émotion ancestrale, fondamentale et nécessaire ». Entre bal des vampires et cour des miracles, le comité d’accueil a vraiment su se donner la gueule de l’emploi. Belle galerie de grotesques !
Sur la scène centrale nous est présentée la grande Maxa, « la femme la plus assassinée au monde » qui va revivre pour nous les morts les plus atroces qu’elle ait subies. La comédienne Marie-Leïla Sekri est désarmante de fausse candeur, de cabotinage et de perversité.
Façon exhibition de monstres, démonstration de force et tours de passe-passe horrifiques, six comédiens campent des fous à lier et nous entraînent dans leur univers à la laideur gothique. Mention spéciale à leurs regards déments et aux effets spéciaux répugnants. Guitare en bandoulière, le garçon-boucher flegmatique qui officie à son inventive table de bruitage vaut aussi le détour.
Que de surprises gore, que de rires frissonnants ! On se croirait dans l’un de ces théâtres d’horreur que les Londoniens affectionnaient, avec trappes, fumée, hémoglobines et autres grands effets (à ce sujet, visionnez le terrifiant épisode 4 de la première saison de Penny Dredful qui nous fait découvrir des extraits d’une pièce et les coulisses d’un de ces théâtres anglais du XIXe siècle).
Depuis Zap ! (1999), le Pudding théâtre s’est fait une spécialité des ressorts participatifs et du guet-apens Grand-Guignol. La mise à feu de leur délirante bagnole, avec fausse aspersion du public à l’essence, reste une de nos plus belles frayeurs de théâtre. Et puis, l’air de ne pas y toucher, L’Epouvante n’oublie pas de nous faire songer au sort réservé aux innocents, enfants-soldats et autres victimes de la barbarie moderne. Tout chaud sorti de la forge, ce format court enchaîne les numéros avec aisance. On en verrait encore volontiers un ou deux de plus…
Mais manquerait alors un toit ou la nuit pour recouvrir et assombrir complètement cette efficace scénographie régressive et avoir les chocottes de ne pouvoir en réchapper vivant….
Stéphanie Ruffier
www.puddingtheatre.fr