Le Théâtre de l’épouvante

 

Festival d’Aurillac suite et fin:

 

Le Théâtre de l’épouvante, par le Pudding théâtre

 

IMG_9980Du rituel païen, voilà ce qui nous manque et que nous allons quémander auprès du théâtre, assoiffés que nous sommes, de nouveaux modes de communion. A l’entrée de cet entre-sort à ciel ouvert, les spectateurs se reconnaissaient à leur doigt rougi. Après s’être acquittés d’un modique droit d’entrée auprès d’un maître de cérémonie à l’accent franc-comtois, ils trempent en effet leur index dans un verre de sang frais.
  Une pancarte déconseille gentiment le spectacle aux femmes enceintes, aux enfants de moins de dix ans, et l’ l’interdit aux xénophobes, claustrophobes, hématophobes (peur du sang), coulrophobes (peur des clowns)… panophobes (peur de tout) ! Nous voilà prévenus.
Au passage, petit coup de pied à notre société où règnent le politiquement correct, la précaution et une méfiance généralisée vis-à-vis de l’Autre. Dans la file d’attente,  devant les bâches de plastique noir, délicieuse ambiance de théâtre forain. Une infirmière vient régulièrement prendre la température. Nous ne dévoilerons presque rien du spectacle au risque d’en déflorer les effets. Il suffit de savoir qu’il y est question de la peur, « émotion ancestrale, fondamentale et nécessaire ». Entre bal des vampires et cour des miracles, le comité d’accueil a vraiment su se donner la gueule de l’emploi. Belle galerie de grotesques !

 Sur la scène centrale nous est présentée la grande Maxa, « la femme la plus assassinée au monde » qui va revivre pour nous les morts les plus atroces qu’elle ait subies. La comédienne Marie-Leïla Sekri est désarmante de fausse candeur, de cabotinage et de perversité.
Façon exhibition de monstres, démonstration de force et tours de passe-passe horrifiques, six comédiens campent des fous à lier et nous entraînent dans leur univers à la laideur gothique. Mention spéciale à leurs regards déments et aux effets spéciaux répugnants. Guitare en bandoulière, le garçon-boucher flegmatique qui officie à son inventive table de bruitage vaut aussi le détour.
Que de surprises gore, que de rires frissonnants ! On se croirait dans l’un de ces théâtres d’horreur que les Londoniens affectionnaient, avec trappes, fumée,  hémoglobines et autres grands effets (à ce sujet, visionnez le terrifiant épisode 4 de la première saison de Penny Dredful qui nous fait découvrir des extraits d’une pièce et les coulisses d’un de ces théâtres anglais du XIXe siècle).

  Depuis Zap ! (1999), le Pudding théâtre s’est fait une spécialité des ressorts participatifs et du guet-apens Grand-Guignol. La mise à feu de leur délirante bagnole, avec fausse aspersion du public à l’essence, reste une de nos plus belles frayeurs de théâtre. Et puis, l’air de ne pas y toucher, L’Epouvante n’oublie pas de nous faire songer au sort réservé aux innocents, enfants-soldats et autres victimes de la barbarie moderne. Tout chaud sorti de la forge, ce format court enchaîne les numéros avec aisance. On en verrait encore volontiers un ou deux de plus…
Mais manquerait alors un toit ou la nuit pour recouvrir et assombrir complètement cette efficace scénographie régressive et avoir les chocottes de ne pouvoir en réchapper vivant….

 Stéphanie Ruffier

 www.puddingtheatre.fr


Archive pour 15 septembre, 2015

887 de Robert Lepage

 

887, texte, conception, mise en scène et interprétation de Robert Lepage

 

  lepage« La seule chance pour le théâtre aujourd’hui de survivre, dit Robert Lepage, c’est de créer, à chaque fois, un événement». C’est le cas de tous les spectacles de cet artiste québécois nous a habitué à de grandes fresques éclatantes et mémorables,  comme La Trilogie des dragons ( 2005)  Zulu Time (1999) ou Les sept Branches de la rivière Ota (1996), sans renoncer à se produire seul en scène, de manière  aussi inventive, avec des pièces plus intimistes, comme La Face cachée de la lune (2000).
De la même veine que ce succès mondial dont il tiré un film, 887, son nouveau solo est aussi éblouissant. Mêlant vie intime et histoire, il convoque ses souvenirs d’enfant et d’adolescent au sein d’une famille modeste, dans une société québécoise inégalitaire en pleine ébullition. Robert Lepage jongle avec présent et passé, et prend prétexte d’un poème qu’il n’arrive pas à apprendre par cœur, pour questionner sa mémoire, et celle de son pays.
Du Je me souviens, devise encore inscrite aussi sur les plaques minéralogiques des voitures au Québec, Thomas Chapais, dans un discours en 1895  avait dit : «La province de Québec a une devise dont elle est fière et qu’elle aime à graver au fronton de ses monuments et de ses palais. Cette devise n’a que trois mots : Je me souviens ; mais, dans leur simple laconisme, ils valent le plus éloquent discours. Oui, nous nous souvenons. Nous nous souvenons du passé et de ses leçons, du passé et de ses malheurs, du passé et de ses gloires». Mais aujourd’hui à quoi à renvoie-t-il ? Peu le savent.
Sautant de synapse en synapse, comme les pensées dans le cerveau humain dont un dessin animé retrace les circonvolutions, le soliste navigue dans les méandres du temps parmi des décors changeants. A la manière de La Vie mode d’emploi de Georges Pérec, il a conçu la façade de l’immeuble de quatre étages, situé au 887 de l’avenue Murray, où il  habita avec ses parents, son frère, ses deux sœurs et sa grand-mère, de 1960 à 1970.

  Sur la scène, dans cette maison de poupée, pas plus haute qu’un gamin de douze ans, et par le truchement de mini-vidéos, les locataires, derrière les baies vitrées, s’agitent, comme un théâtre d’ombres : les Ouellette, les Pelletier,  et bien sûr les Lepage… Tandis que l’intéressé évoque les démêlés familiaux de chacun.
Cette maquette animée fait ensuite place à d’autres décors, apparaissant et disparaissant comme par miracle: intérieur de sa cuisine aujourd’hui, bar glauque où s’affaire une cuisinière en vidéo, une rue de Montréal, le Parc des Braves… Au moment des saluts, on découvre les huit manipulateurs qui l’assistent en coulisse.
De fil en aiguille, par de subtils allers-et-retours d’hier à aujourd’hui, on glisse d’un événement à l’autre, images, décors vidéo, maquettes à l’appui : par exemple, celle de la Lincoln miniature qu’il reçoit en cadeau à Noël, et celle dans laquelle fut assassiné Kennedy, celle où défila la Reine Elisabeth II en 1964, devant les protestataires du Front de Libération du Québec, puis celle où triompha le Général de Gaulle, en visite à Québec en 1967… Autant de souvenirs de ces années-là.
Avec le renfort de petites figurines-car tout cela est vu par les yeux d’un enfant-le protagoniste plonge dans sa vie familiale, et dans les soubresauts de la révolution québécoise. Il exhibe ainsi un Charles de Gaulle de deux centimètres, tiré de la pochette de son veston, tandis qu’on entend son fameux:  Vive le Québec libre!  qui mettra le feu aux poudres.
Dans ce retour aux sources, Robert Lepage fait une grande place à sa famille,  en particulier à son père, devenu chauffeur de taxi, après avoir participé au débarquement en Europe, alors qu’il était engagé dans la Marine anglaise. C’est avec émotion qu’il le revoit garer sa Ford Galaxy miniature au pied du 887, tard dans la nuit, au son de Bang Bang, de Nancy Sinatra.
Et de regretter de l’avoir si peu connu.
Il essaye notamment de comprendre son attachement paradoxal à la langue anglaise, alors que les anglophones du haut de leur pouvoir et de leur argent, méprisent et dominent les petites gens comme lui.  En épilogue, on entendra d’ailleurs le fameux poème de Michèle Lalonde, qu’il a fini par apprendre : Speak White, point de départ et colonne vertébrale du spectacle.
« Le poème, écrit en 1968, a été lu et enregistré en 1970. précise Robert Lepage, et fut  la cristallisation du mouvement d’insatisfaction des Québécois francophones. Il fait la synthèse de cette lutte de classes, de ce rapport à la langue et de ce rapport à l’identité.(…) Je me joue moi-même, quand je suis invité à célébrer le 40ème anniversaire de sa lecture publique et que je me rends compte que j’ai un problème de mémoire. Qu’est-ce que le théâtre si ce n’est un sport de la mémoire ? »
Robert Lepage, sportif de la mémoire, magicien de l’image, virtuose du verbe (une bonne part du texte est versifié), s’affirme, une fois de plus, comme un grand poète de la scène. Alliant fantaisie, intelligence et  sensibilité, il nous offre ici deux heures de bonheur.
A ne pas manquer.

Mireille Davidovici

Théâtre de la Ville/Festival d’automne jusqu’au 17 septembre. T. 0142 74 22 77 theatredelaville-paris.com ; T. 01 53 45 17 17 festival-automne.com
Et du 23 au 26 septembre, au Roma Europa Festival de Rome,  et du 3 au 10 octobre, à Bonlieu-Scène nationale  d’Annecy, et les 29 et 30 octobre au Teatre Lliure, à Barcelone.  

 

 

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