Une Antigone de papier
Festival mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières:
Une Antigone de papier, tentative de défroissage du mythe par les Anges au plafond, une histoire de Camille Trouvé et Brice Berthoud, musique de Fanny Lasfargues, scénographie de Brice Berthoud et Dorothée Ruge.
Les Anges au plafond sont la compagnie invitée du Festival mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières. Les concepteurs – comédiens, marionnettistes, scénographes, costumiers et musiciens – sont venus avec cinq spectacles: Du Rêve que fut ma vie, Les Nuits polaires, Une Antigone de papier, Au Fil d’Œdipe, Le Cri quotidien, et parrainent Je brasse de l’air, par la compagnie l’Insolite Mécanique de Magali Rousseau. Il y a aussi dans l’espace urbain et à la Chambre d’Agriculture, une exposition de photos de Vincent Muteau, un œil témoin et complice des Anges au Plafond.
La compagnie, installée à Malakoff en 92 et fondée par Camille Trouvé et Brice Berthoud, se situe à la croisée des arts plastiques, du théâtre et de la musique, avec, pour fabriquer des marionnettes étranges à taille humaine. une utilisation habile et insolite du papier, un matériau froissable et fragile, éphémère et dégradable, et systématiquement remisé ou jeté.
La matière légère et palpable d’Une Antigone de papier investit l’espace entier du plateau, couvrant le sol de lais et feuilles superposées et où s’élèe, dans un espace bi-frontal, un mur physique de papier sur une ligne de démarcation symbolique à ne pas dépasser.
Y trônent royalement les marionnettes, en feuilles d’un papier plus épais, et largement déployées – morceaux de vie et de vêtements, petites têtes peintes et grand corps souple- ou bien repliées, telles des fleurs endormies dans la nuit, quand le personnage disparaît du drame, invisible sur scène.
Dans cette petite arène de cirque, se côtoient dans la lumière, les spectateurs, les violoncellistes, les marionnettes avec chacune leur manipulatrice, et Camille Trouvé, présente aux commandes des effigies en attente…C’est elle l’apprentie sorcière qui insuffle la vie à ses poupées de papier, à la digne Antigone bien sûr, obstinée, sûre de son droit moral et de sa loi intérieure mais aussi à un oiseau facétieux qui n’a pas le bec dans sa poche et fait office de choryphée, ou encore au roi Créon, avachi sur son trône et assoupi dans un mépris suffisant, et aux figures pittoresques du peuple : un maçon à l’accent marseillais, des gardes du mur, pieds-nickelés shakespeariens… La représentation, aussi huilée soit-elle, conserve sa gouaille naturelle, et la manipulatrice passe, en un marathon bien cadré, à tous les rôles: accents populaires de certains personnages, émotion contenue de l’héroïne, partition comique des gardes.
Tout est dit de la tragédie antique, grotesque et sublime mêlés. La construction de ce mur en papier, donne, en nos temps bousculés,à réfléchir aussi à la vanité et l’absurdité d’un tel ouvrage humain qui jamais n’a empêché les hommes de passer…
Véronique Hotte
Spectacle vu le 20 septembre.