Un Poyo rojo

Un Poyo Rojo par le Teatro físico, mise en scène d’Hermes Gaido, chorégraphie de  Lucciano Rosso et Nicolàs Poggi

 

   p213589_5Deux gymnastes, dans un vestiaire, en train de s’échauffer: tout en muscles, ils courent, cabriolent, se contorsionnent, tandis que le public prend place. Mais il ne s’agit pas d’athlètes ordinaires : ils s’avèrent aussi d’excellents danseurs et comédiens et leurs exercices prennent rapidement des allures de chorégraphie.
 Partant d’improvisations, Hermes Gaido a conçu une dramaturgie cohérente pour ces fortes personnalités. C’est l’histoire de deux corps mâles mis en présence, qui s’affrontent, se confrontent, se reniflent, s’attirent,  s’enlacent, s’embrassent, se cèdent, se repoussent…
 Un jeu de pouvoir et de séduction d’où se dégage une forte libido, contrebalancée par de constants clins d’œil au public. Un brin cabots, tels des catcheurs, ces coqs de foire ! Juste ce qu’il faut pour captiver la salle. D’ailleurs, Luciano Rosso, tout de rouge vêtu, campe fort bien un de ces charmants volatiles, bréchet en avant, cou démesuré, croupion mobile ; Alfonso Barón son compère, en blanc, est plus délicat mais non moins bon danseur et performeur.
 A un rythme endiablé, parfois rythmé par un poste de radio qui capte des musiques ou des infos en direct, les deux athlètes, puissants et souples, composent un théâtre sans parole, mais ô combien éloquent.Ce pas-de-deux singulier est réalisé avec brio, et humour. Les rires fusent dans la salle. Rien d’étonnant à ce qu’ Un Poyo Rojo (en argot «un coq rouge») se joue à guichets fermés depuis près de dix ans en Argentine.
Après Avignon, cet été, la pièce est reprise à Paris où elle emporte une fois encore l’adhésion du public. A la fin du ballet, ne manquez pas le bonus : une parodie de play-back  hilarante, proposée par Luciano Rosso.

 Mireille Davidovici

 Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 18 octobre.  T: 0144 95 98 21

www.theatredurondpoint.fr

 


Archive pour 24 septembre, 2015

L’incroyable matin et Jour

L’Incroyable matin et Jour de Nicolas Doutey, mis en scène de Rodolphe Congé

 

incroyable matin 2C’est une salle, vide. Un homme entre, jette un coup d’œil soupçonneux, ressort, revient. Même jeu.Une femme n’est plus là, et cette absence déséquilibre l’espace ; une autre entre, créant un nouveau déséquilibre. On ne vous raconte pas la suite, plutôt cocasse : c’est une expérience à vivre dans le temps court du spectacle.
Avec ce «presque rien», Nicolas Doutey et Rodolphe Congé mettent en jeu le théâtre à l’état pur : la place de l’acteur sur le plateau crée –ou pas- une fiction, un récit. Le mot a la même force physique, si petit, si rare soit-il, pour faire apparaître ou disparaître un bout d’histoire.

La feuille de salle distribuée au public renvoie à Samuel Beckett ; on est aussi du côté de Nathalie Sarraute, pour la méthode plus que  pour l’objet. Elle s’occupe de l’infiniment petit dans la psychologie, du moment où l’infime grain de sable fait bouger les âmes. Ici, les sentiments, s’il y en a, servent de support à une incroyable découverte : l’importance vitale de notre place dans l’espace.
 Figurez-vous que nous-même et l’espace qui nous entoure sont une seule et même chose. Certains peintres le savent depuis longtemps, et ce n’est pas plus grave que ça. Au cœur de cet Incroyable matin, un trouble existentiel joué avec un humour sobre et, dirons-nous, chic. C’est très intellectuel ? Oui, et l’étincelle de la découverte procure une réelle jubilation.
Jour, alignant trois personnages qui s’interpellent obstinément par leurs prénoms, et déterminés par lesdits prénoms, fait bouger les frontières entre les individus et le groupe. Devant de supposées splendides falaises, deux  des trois veulent continuer la promenade touristique mais l’autre veut obstinément revenir au bar, se mettre au chaud. Il a peur d’un mystérieux tueur qui rôderait, deux non, et puis oui.

Les trois s’embrouillent, se débrouillent. Le jeu de ce Jour marche moins bien, mais le tout fait une soirée brève et concentrée, drôle, moderne, et, encore une fois, chic. Ce qui est un compliment.

 Christine Friedel

 Théâtre Ouvert, Paris T : 01 42 55 55 50, jusqu’au 10 octobre.

Gala, conception de Jérôme Bel

Gala, conception de Jérôme Bel

 

jeromebel604-tt-width-604-height-418-bgcolor-000000Avec Gala, Jérôme Bel poursuit sa déconstruction des codes de la danse classique et  contemporaine. Le titre du spectacle  exprime, à lui seul,  la volonté esthétique et l’esprit de cette création. Pour Jérôme Bel, en effet, il ne s’agit pas avec cette chorégraphie de présenter un spectacle de type professionnel, respectant les règles canoniques de cet art, mais de laisser percevoir au public, en quoi, et comment, notre corps, à travers la danse, peut être l’expression de notre identité, de nos différences, de notre rapport à l’autre dans une communication extra-verbale, et la recherche de notre Moi intérieur.
Un corps invité à prendre possession de la piste… C’est aussi pour le chorégraphe, la nécessité d’interroger la danse, quand il se trouve dépossédé de son langage esthétique, ce qui laisse alors surgir des espaces inarticulés, fugaces, spontanés et inattendus.

 Dans une première partie, les performeurs/danseurs sont  invités au bal, sur les musiques et les chansons d’artistes populaires:  Michael Jackson, Dalida… Tour à tour, seuls en scène, ils traversent le vaste plateau nu et blanc, et «livrent un à un, leur interprétation d’un geste/signature d’une époque de la danse».
Dans un second temps, ces amateurs vont, chacun à leur tour, être chorégraphes, et entraîner toute la troupe à les suivre, et à imiter leur solo.«Ils deviennent eux-mêmes les modèles par lesquels se transmettent des chorégraphies», comme le remarque justement Florian Gaité.     

Ces amateurs de tout âge, et Cédric Andrieux, Raphaëlle Delaunay, Shuntaro Yoshida … danseurs professionnels, magnifiques, nous transportent dans un ailleurs où l’art chorégraphique s’éloigne de ses dogmes. Comme si le corps s’emparait, non plus de LA danse mais d’une seule et multiple danse, libre !  Ce que nous pressentons au début,et percevons ensuite à de courts instants.
La promesse donnée au spectateur à travers la recherche artistique par Jérôme Bel, de mettre en lumière et résonance avec profondeur et violence, les manques, les vides, la force aussi, paradoxalement, de cette danse avec ces corps maladroits, parfois handicapés (une danseuse est en fauteuil roulant) inexpérimentés, mais plein de désirs, d’inventions  s’envolent…
  Mais, à la fin du spectacle, on reste dubitatif et on ressent une émotion diffuse. On aurait tant souhaité entendre battre le cœur de cette chorégraphie inattendue, libre et complexe… Frustrés, nous quittons la salle avec cependant les yeux grands ouverts et interrogateurs, face à l’étonnement et au mystère de ces corps amateurs qui pendant soixante-quinze minutes, ont occupé la scène avec un immense désir…   

 Elisabeth Naud  

Théâtre Nanterre-Amandiers/Festival d’Automne. T: 01 46 14 70 00. jusqu’au 20 septembre. Et  du 1er au 3 octobre au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers.Le 13 octobre, à l’Apostrophe-Théâtre des Louvrais de Pontoise.Du 30 novembre au 2 décembre, au Théâtre de la Ville, Paris. Le 5 décembre, au Théâtre Louis Aragon, scène conventionnée de Tremblay-en-France.

 

Chère Maman, je n’ai toujours pas trouvé de copine

Chère Maman, je n’ai toujours pas trouvé de copine…, d’après Trust et Ivresse, de Falk Richter, création collective de la compagnie A., mise en scène d’Alice Gozlan et Julia de Reyke.

 

maman-ai-trouve-copine-compagnie_340779Qu’est-ce que l’amour ? La compagnie A. creuse sérieusement la question, avec l’aide de Falk Richter et de Gœthe, et de leur propre expérience –brûlante, on n’en doute pas-. Ils sont allés chercher le modèle de l’amour parfait du côté de Werther et Charlotte. Voilà presque un signe inquiétant : ils osent faire preuve d’une culture remontant à  plus de deux siècles !
 Sensibilité frémissante, torrents de larmes versées devant l’harmonie entre les sentiments et  la nature : tiens, une grande réunion mondiale sur la préservation de la nature n’est-elle pas justement prévue ? On est au cœur du jeu : l’être humain, qu’il le veuille ou non, fait partie de cette nature, et d’un monde peu respectueux de son équilibre.
Qu’est-ce que l’amour, sachant qu’il palpite avec l’air et la lumière du soir, et qu’il est aussi traversé, fabriqué, bouleversé, déterminé par les technologies, l’environnement, la société, les idéologies et le reste ? Werther et Charlotte pédalent de conserve sur scène et à l’écran (l’un des comédien est vidéaste), jolis comme des amoureux de Peynet (voir les années cinquante du vingtième siècle), ou comme les premiers bénéficiaires des congés payés… Ils partagent avec le public l’illusion que l’amour existe et qu’il est une affaire privée. Que non, vous démontrera la troupe…. L’amour est enfermé dans l’obligation du  développement individuel, dans les marquages au sol d’une vie en représentation, dans l’obligation de réussir sa vie, de l’optimiser. Notre mode de vie, le bonheur à tout prix, tout de suite, ça se paie cher.
Ces jeunes gens seraient-ils romantiques ? À la façon d’aujourd’hui : avec humour, pertinence, et heureusement sans ironie. Au milieu d’un bric-à-brac électronique plutôt simple et bien maîtrisé et qui tient lieu de scénographie, ils organisent avec rigueur leur questionnement politique. 

Alerte, ce qui devrait vous être le plus intime vous est volé par le grand capitalisme financier : voir la valorisation en bourse de Facebook et autres sites de rencontres. Les comédiens ont lu les livres phares de la “belle époque“ (nota bene : les années 60), dont Roland Barthes, bien sûr, héros du jour. Ils ont réfléchi, ne sont pas cantonnés au slogan, et ont une belle maîtrise du plateau.
 Ce que le collectif a en propre, c’est ce courage-là : affronter un contenu, poser les questions jusqu’à l’os sans se désengager d’un geste désinvolte. Ils font rire leurs copains venus les soutenir -rire de connivence-, mais aussi le spectateur de passage qui rit de la reconnaissance du vrai.
Mieux encore : ils réussissent presque à bloquer ce rire et à vous sidérer, d’entendre ce que nous vivons et ce qui nous attend. Voilà un premier spectacle d’une belle probité artistique, réalisé par de jeunes artistes préoccupés de penser leur monde, avec le charme de la jeunesse, l’intelligence et le plaisir du jeu, plutôt que de “faire un coup“.
Une audace tranquille, un risque intéressant, quand on a pu entendre d’une bouche blasée et avide du goût du jour : «Falk Richter (il a quarante-cinq ans!), c’est pas déjà un peu dépassé ?».

 Christine Friedel

 A l’Anis Gras, Arcueil (94), les 24 et 25 septembre ; à la cave à Théâtre de Colombes (92) les 3 et 4 octobre.

What the Body Does Not Remember de Wim Vandekeybus

What the Body Does Not Remember  de Wim Vandekeybus

 

 WTB©DannyWillems-3824Pour un spectacle de danse, l’épreuve du temps est une traversée particulièrement délicate. Il lui faut, sans le soutien d’un texte, dépasser l’éphémère d’une mode pour atteindre une certaine pérennité.  What The Body Does Not Remember, repris ici au festival de Biarritz n’échappe pas à la règle mais s’en sort plutôt bien.
Créée en 1987 par Wim Vandekeybus, en même temps que sa compagnie Ultima Vez, cette  pièce réapparait vingt-cinq ans plus tard sur la scène de la gare du Midi, inchangée mais avec une nouvelle équipe de danseurs d’un très haut niveau technique. On y retrouve avec plaisir toute la fougue avec laquelle le jeune Flamand exprimait sa rage de vivre mais avec aussi… quelques tics datant de la création.
Avant d’arriver dans le monde chorégraphique grâce à cette première œuvre, Wim Vandekeybus, étudiant en psychologie mais passionné d’arts plastiques, avait travaillé deux ans avec le plasticien et chorégraphe Jan Fabre auprès duquel il avait appris à ruer dans les brancards et à se détacher de codes esthétiques trop contraignants.

  Tellurique, d’une vitalité crue, viscérale, What The Body Does Not Remember dégage une force de vie peu commune où la prise de risque physique est importante, et l’engagement des danseurs total. On ne s’étonne donc  pas du nom : Ultima Vez (Ultime fois) que Wim Vandekeybus avait donné alors à sa compagnie,  tant cette pièce manifeste l’urgence de dire, de faire, de bousculer, d’affirmer. Et le vocabulaire pour l’exprimer, qui fera la réputation du chorégraphe, est déjà entièrement là : roulades et chutes vertigineuses, corps projetés en l’air ou écrasés au sol, comme son goût pour l’interdisciplinarité: il a étroitement collaboré ici avec les compositeurs Thierry de Mey et Peter Vermeersch.
Le spectacle commence en douceur et ne laisse rien présager d’un déferlement futur, avec, comme seul environnement sonore, le frottement de mains sur une table d’un musicien assis, qui rythme ainsi  le mouvement de deux danseurs au sol, pris dans des rails lumineux. Le risque physique augmente très vite au deuxième tableau, quand les interprètes commencent à se lancer des briques qu’ils doivent rattraper entre courses affolées et roulades sauvages.
Danse pulsionnelle où ne règne plus, semble-t-il, que le seul instinct de survie, sur des accords des guitares électriques de Peter Vermeersch qui font monter l’adrénaline.
Le troisième tableau, particulièrement réussi, met en scène trois couples qui se séduisent et se déchirent dans un aller et retour incessant,  entre attirance et rejet. Loin du traditionnel pas-de-deux romantique, Wim Vandekeybus choisit la confrontation brutale entre les sexes.
 Mais le quatrième tableau n’est qu’une suite atone de jeux enfantins, une succession de poses familiales souvent grotesques, parfois ironiques mais dont la longueur provoque l’ennui et casse le rythme du spectacle!
  C’est peut-être une tentative pour se souvenir de son enfance, mais on ressent surtout la fragilité d’un jeune artiste qui a beaucoup de choses à dire. Mais comme il n’a pas encore la maîtrise de son métier et ne sait pas encore qu’il faut renoncer à tout dire, il encombre donc son spectacle, en multiplie les directions et omet finalement d’en ôter le superflu…
 Heureusement, le final nous restitue toute l’énergie vibrionnaire de Wim Vandekeybus, à travers les piétinements têtus des danseurs et des sauts élastiques où les genoux rejoignent les oreilles,  et des mouvements qui évoquent un autre Flamand, le peintre expressionniste Constant Permeke (1886-1952), dont certaines toiles représentent des paysans chaussés de gros sabots, qui dansent en soulevant bien haut les genoux pour s’arracher au sol boueux, avant de s’y enfoncer avec la même détermination que le chorégraphe a imposé, lui, sa danse de l’extrême, avec What the Body Does Not Remember

 Sonia Schoonejans

Spectacle de clôture du Festival Le Temps d’aimer la danse, direction  Thierry Malandin le 20 septembre à la Gare du Midi de Biarritz.

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