Compagnie nationale de danse d’Espagne

 Compagnie nationale de danse d’Espagne direction de José Martinez

 

 Dans le cadre du festival Au Temps d’Aimer la danse, cette compagnie a fortement impressionné le public de Biarritz. Le travail de fond de José Martinez sur les chorégraphies du répertoire se révèle efficace. Des répétitions préalables de trois semaines précèdent les répétitions classiques, afin que les danseurs acquièrent une mémoire corporelle des mouvements et maîtrisent ainsi plus aisément les spectacles. Des danseurs de qualité et trois bons chorégraphes: cela concourt à une soirée réussie.
Sub d’Itzik Galili met en scène sept interprètes bien préparés dans un espace limité à un rectangle lumineux au sol. T
ous torse nu, ils se rencontrent, se perdent et se retrouvent ©StephaneBellocq_Danza_1avec une réelle sensualité mélangée à une forte virilité. Mais les mouvements, trop influencés sans doute par la musique, paraissent un peu répétitifs. Herman Schmerman, une très beau ballet de William Forsythe, fut créée en 1992 avec une musique de Thom Willems. Le talent des danseurs prend ici toute son ampleur, en particulier avec le duo  Kayoko Everhart et Alessandro Riga, d’une grande puissance émotionnelle et technique. Les costumes de Gianni Versace ajoutent une touche érotique décalée à ce ballet. Minus 16 d’Ohad Naharin est une pièce maîtresse de la Batsheva Dance Company mais qui appartient au répertoire de nombreuses autres compagnies, et est constituée d’extraits d’œuvres précédentes du chorégraphe. Elle alterne une danse de groupe autour de chaises positionnées en demi cercle-chorégraphie quasi rituelle, violente et belle-et la technique Gaga que chaque interprète initie individuellement.  Ici, chaque mouvement est juste et incarné: les artistes ont une énergie et une présence impressionnante sur le grand plateau de la Gare du Midi. Minus 16 se poursuit par une invitation faite à quelques spectateurs qui évoluent en couple avec les danseurs de la compagnie de José Martinez; il nous prouve qu’elle est très professionnelle, dans le registre classique comme dans le contemporain, et promise à un bel avenir. Il faut absolument aller la découvrir lors de ses tournées dans le monde.

 Jean Couturier

 Festival Au Temps d’aimer la danse, le 18 septembre à Biarritz. www.letempsdaimer.com cndanza.mcu.es      


Archive pour 28 septembre, 2015

La belle au bois dormant

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La Belle au bois Dormant chorégraphie de Youri Grigorovitch avec les danseurs du Bolshoi

 

C’est un réel privilège que de voir un grand ballet classique sur la scène historique du Bolshoi. Ce théâtre académique d’État,  qui a été  entièrement rénové depuis 2011 après six années de travaux est un lieu mythique, et le restera encore pendant  longtemps… Il a des proportions majestueuses et un rapport scène/salle parfait. Entièrement habillés en rouge et or, la salle et son personnel accueillent le public de façon à ce que chacun se sente un peu comme un petit prince. La fosse d’orchestre se situe au niveau du parterre, comme au New York City Ballet.
 Les lustres devant chaque baignoire, et le lustre central donnent une excellente luminosité à la salle. Le mot Poccua (Russie en alphabet cyrillique) est décliné une soixantaine de fois sur le rideau de scène : nous sommes bien ici dans le plus grand théâtre du monde, et il est russe ! Chaque personne qui y travaille, des ouvreurs à  tous les interprètes, se sent fière d’appartenir à cette institution qui emploie 3.000 personnes.
La Belle au bois dormant est l’une des rares pièces au répertoire du Bolshoi à ne pas aller en tournée, du fait des décors importants d’Ezo Frigerio. Le scénographe de Giorgio Strehler et de Rudolf Noureev semble s’être inspiré de l’esthétique monumentale du Vatican, avec ses colonnades torsadées. La richesse des costumes multicolores de Franca Squarciapino accompagne les dorures des décors qui entrent en résonance avec celles de la salle.

   Quant à la musique de Tchaikovski, elle est remarquablement interprétée par l’orchestre dont le rythme intense et les envolées romantiques de son chef, Vassily Sinaisky, viennent conforter le public dans son goût du classique. La chorégraphie de 2011 de Youri Grigorovitch, sur les traces de Marius Petipa, met en lumière la remarquable vivacité et la technique des danseurs que nous retrouvons avec bonheur, après les avoir vus ici en janvier pour une reprise de L’Appartement de Mats Ek. Issus le plus souvent de l’Académie chorégraphique de Moscou, ils sont toujours aussi impressionnants par leur engagement physique et leur sens du jeu.
   Mais ce ballet de deux heures trois quarts a un prix ! Il n’est pas aisé de se procurer un billet, même avec la réservation  par Internet qui facilite les choses… à condition de s’y prendre à temps. Et un autre ballet, très organisé, se déroule donc chaque soir et en toute impunité, devant le Bolshoi, celui des vendeurs au noir. Les bonnes places se négocient pour les plus chanceux, autour de 100 à 500 euros. Précisons que l’on voit correctement la scène de presque partout.
Surprenant : à sa création, le 15 janvier 1890, ce ballet en deux actes fut un triomphe mais la musique de Tchaikovski suscita de fortes critiques: «Le compositeur abuse de sa maîtrise… À quoi bon des teintes aussi compactes, d’aussi grosses masses orchestrales pour accompagner le baptême d’Aurore? Ne dirait-on pas, en entendant cette musique, qu’il s’agit de Macbeth et des sorcières.»
La critique est un art délicat, et pas toujours visionnaire.

 

Jean Couturier

bolshoi.ru

 

Élisabeth Bam

Élisabeth Bam, de Daniil Harms, mise en scène de Claude Merlin


Élisabeth BamMais de quoi a-t-elle peur, cette charmante, vive, vulnérable et robuste Elisabeth ? Deux policiers frappent très fort à sa porte, mais elle ne va pas se laisser faire comme ça ! Bref, ils se disputent plus ou moins entre eux, font amis-amie avec la supposée délinquante qui n’a rien délinqué du tout (encore que ?). Arrivent des scènes de famille et un musicien qui passe… Tout cela va son train à la manière d’une Alice au pays des merveilles croisée avec les mondes de Franz Kafka et Alfred Jarry.

Daniil Harms  (1905-1942) ne ressemble qu’à lui-même, très proche des enfants pour qui il a beaucoup écrit, très radical pour avoir, dans l’enthousiasme de la jeune révolution soviétique, traité à neuf le langage, sans autre référence que sa réalité propre. D’où des morceaux où l’inconscient croise le politique, où les comptines se terminent en lettrisme…
 Dans ce monde-là, à égalité entre réel concret et réel imaginaire, Claude Merlin est à sa place. Pas de décor, puisqu’il n’y a pas d’argent pour cela, mais à quoi servirait un décor ? Tout se passe dans la déambulation d’acteurs sur le plateau, dans un espace un peu indéterminé, mouvant, au gré du cauchemar et du sourire ? Les comédiens âgés apportent à la pièce leur expérience désabusée et malicieuse, et la jeune interprète d’Elisabeth, une énergie digne du petit chaperon rouge.
Avec ses pastiches de «comédie réaliste» ou de «pathos lyrique» : on est déjà dans le théâtre de l’absurde. Le tout donne un spectacle rêveur, souriant et pessimiste, Cela donne surtout envie de lire, et de relire Daniil Harms, bien servi ici par le lunaire Claude Merlin.

 Christine Friedel

 La Parole  errante, à Montreuil, jusqu’au 2 octobre. T : 01 48 70 00 76.

Marvin par le Puppet Theatre Ostrava

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes  de Charleville-Mézières

 

Marvin  par  le Puppet Theatre Ostrava

Aux côtés des excellents Anges au Plafond, il y avait un artiste invité, jeune tchèque d’origine brésilienne, Duda Paiva. D’abord danseur, il commence par étudier le théâtre pour se former ensuite à la danse puis voyage dans le monde entier à la rencontre d’autres techniques ; plus tard, il intègrera la marionnette à ses chorégraphies.
 Ses spectacles mélangent avec bonheur, danse, mouvement et manipulation de marionnettes. Duda Paiva est l’auteur du « puppet partiture », un style qui se propose de présenter une seule idée dans deux corps différents et qui a fait son succès. Jeune, mais déjà habitué du festival de Charleville, il avait triomphé avec Bastard en 2011  et Bestiaires en 2013.
  Marvin est le deuxième spectacle jeune public de Duda Païva, il signe la mise en scène, la création des marionnettes et les masques pour le compte du Théâtre de marionnettes d’Ostrava en République Tchèque.
 Pour le rôle-titre, on retrouve Filip Stanêk, un danseur issu de l’Opéra d’Ostrava qui interprète un petit garçon dans un pensionnat. Il s’y ennuie et, perdu dans ses livres, improvise une chorégraphie avec les ouvrages, jongle avec, se cache derrière, jusqu’à être pris en faute par les surveillantes.
 Il reçoit une lettre de ses parents  lui disant qu’ils doivent partir en voyage et qu’ils ne pourront pas passer Noël avec lui. Ils lui font néanmoins parvenir un cadeau détenu par les gouvernantes mais qu’il attrapera quand même.  Le petit garçon découvre alors un énorme Mickey tout flasque, en mousse, et si grand qu’il peut entrer dedans, dans un ballet drôlatique, dans sa tête mais  ses jambes sortent par la bouche de la peluche.
 Il rencontre son double, puis  une petite fille dont il va tomber amoureux,  et une grand-mère démembrée assez terrifiante et agonisante.
  Avec peu de mots (pour être visible partout dans le monde) et dans une mise en scène très soignée, ce spectacle ravit les spectateurs de tout âge. Filip Stanêk se révèle parfait  dans le rôle de Marvin, sautillant et innocent comme le sont les enfants, mais sans jamais tomber dans la mièvrerie.
Son côté aérien et léger va bien avec les rêveries qui nous sont proposées sur le plateau. Le mélange entre le jeu du comédien, et celui des marionnettes de grande taille et de comédiens grimés, donne une réelle profondeur de champ et une richesse à la pièce.
Les marionnettes sont faites d’une mousse qui permet de les comprimer, et de les faire naître presque mystérieusement…
Même si on ne saisit pas toujours bien le sens des scènes, il y a une très belle unité dans le jeu et les enfants présents dans la salle n’ont pas fait un bruit ! Espérons que nos scènes nationales ou des grands plateaux auront vu cette première française et la programmeront !

Julien Barsan.

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Père d’August Strindberg

 

Père d’August Strindberg, texte français d’Arthur Adamov, mise en scène d’Arnaud Desplechin

 

 

©Vincent Pontet coll. Comédie-Française

©Vincent Pontet coll. Comédie-Française

 Le dramaturge suédois signe la deuxième pièce (1887) d’un cycle naturaliste, ouvert avec Camarade (1886) et suivi  des mythiques Mademoiselle Julie (1888) et Créanciers (1889).
Après des premiers textes plus classiques, tragédies ou drames historiques, l’auteur  inscrit son univers dans un contexte contemporain et un réalisme social, mais il s’emploie  à travers Père à faire un zoom fracassant sur «la guerre des sexes », geste qui ne peut qu’intéresser ce cinéaste amoureux du théâtre, qui s’essaie pour la première fois et avec brio à la mise en scène.
La lutte à mort des cerveaux – image brute, douloureuse et éloquente – est l’objet même des considérations privées d’un artiste masculin, époux, fils et père, écartelé entre misogynie instinctive d’un côté, et  mouvements de libération de la femme, de l’autre.
Filles, épouses et mères, cette moitié de la population est peu prise en compte par la société jusqu’en cette fin de XIX ème siècle ; un féminisme avant-gardiste que le poète suédois revendicatif et visionnaire défend avec passion. Le jeu de pouvoirs entre l’homme et la femme dans  un rapport irréversible au monde et à l’autre, à jamais différent, n’a pas de fin, et les propos que s’échangent le Capitaine et son épouse, acteurs d’une vie conjugale et familiale dynamitée par des tensions, sont durs, amers et définitifs.
Si l’on considère le Petit Catéchisme à l’usage de la classe inférieure  d’August Strindberg (traduction du suédois et lecture par Eva Ahlstedt et Pierre Morizet  coll. Babel/ Actes Sud), la pensée du dramaturge se fait radicale et provocatrice.
La morale, dit-il, est la plus stricte dans les rapports entre les sexes, parce que l’accroissement de la classe inférieure en dépend. Si on laissait à la classe inférieure son entière liberté, cela pourrait nuire à la classe supérieure. Et c’est la femme qui a inventé le mariage, et qui a ainsi créé une nouvelle classe supérieure en se dérobant au travail.
Le mariage est une institution économique où l’homme, devenu esclave de la femme, est obligé de travailler pour elle. Du coup, les hommes ne veulent plus se marier… Le Capitaine – le Père - expose à la fin (tragique), l’état des lieux d’une existence personnelle incomprise : «Je crois que vous êtes toutes mes ennemies…Ma mère…Ma sœur…La première femme que j’ai connue… Ma fille… toi, ma femme, tu as été mon ennemie mortelle, car tu ne m’as pas lâché avant que je ne sois étendu par terre, et sans vie. »
Laura lui répond : «Ton existence a pesé sur mon cœur comme une pierre, jusqu’au moment où j’ai essayé de me délivrer de ce fardeau… » Et cette mésentente est alimentée par la question de l’éducation de leur fille.
Arnaud Desplechin, sensible à la thématique strindbergienne du rapport amoureux, parle de l’éternelle aspiration de la femme à se libérer, accompagnée du cri de l’homme-enfant : «Si Laura et Adolphe ne savent pas arrêter de se parler, de se blesser, c’est qu’ils ne savent pas arrêter de s’aimer. » Le capitaine se souvient de leurs promenades de jeunesse aimante, des bouleaux, primevères et merles.
Le scénographe Rudy Sabounghi joue de l’ombre et de la lumière (Dominique Bruguière) dans l’appartement spacieux d’une maison de maître. Côté ombre et univers masculin, les immenses murs de la bibliothèque, avec les dossiers scientifiques du Capitaine et chercheur, son bureau imposant et son lit militaire d’appoint ; côté lumière et univers féminin, une grande baie vitrée, presque ensoleillée qui s’impose, à mesure que cet homme de la maison – l’ennemi – bat en retraite.
Murs et portes intérieurs sont couverts de lambris, à la manière des appartements anciens, lourds d’un passé riche et mythique, qu’affectionne le cinéaste… Comme des rappels de décors d’Un Conte de Noël (2008) ou  Trois Souvenirs de ma jeunesse (2014), entre autres…
La mise en scène diffuse toute la splendeur et l’humanité d’une lumière intérieure, ambivalente et profonde, qui habite les êtres, déchirés et meurtris en dépit d’eux, victimes de contradictions et de paradoxes qui tissent l’étoffe de leurs jours. La tension dramatique est à son comble, comme un arc élevant l’embout d’une flèche furieuse, lâchée vers sa cible jusqu’au bout de la représentation.
Colère rentrée, rage transcendée, folie sourde, les comédiens ne perdent ni leur dignité ni leur liberté, quand  ils composant savamment leur personnage. Et le publi,c tenu en haleine écoute ces proférations, sous le charme discret d’une musique cristalline….
Martine Chevallier en nourrice du capitaine est émouvante, Thierry Hancisse en pasteur manifeste un beau trouble qu’il jugule avec art, Alexandre Pavloff est un médecin de famille nerveux, écartelé entre sa morale et les événements inédits auxquels il est confronté, Pierre-Louis Calixte, en soldat, joue sa partition populaire et virile avec conviction, et Claire de La Rüe Du Can en jeune fille de la maison, suggère avec tact sa position de victime donnée en sacrifice. Anne Kessler et Michel Vuillermoz , la mère et le père, sont précis, en partenaires invivables d’un duo infernal qui ressemble à celui de la vie.

 Véronique Hotte

Comédie-Française, Salle Richelieu, Place Colette, Paris, du 19 septembre au 4 janvier. T : 01 44 58 15 15
La pièce est publiée chez L’Arche Éditeur.

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