Comédie pâtissière
Comédie pâtissière, texte et mise en scène d’Alfredo Arias
Alfredo Arias a apporté en France, dans les années 1968, du spectacle comme on n’en avait jamais vu, comme en rêvait. Nostalgique et brillant, moderne par son « fini » et par son culot trans-genre, trans-social, transatlantique, c’était une Argentine fantasmée, une fête pour les yeux et les oreilles, du beau travail. L’Histoire du théâtre, Luxe, Peines de cœur d’une chatte anglaise, d’après les dessins de Granville : on n’a pas oublié les premiers éblouissements, ni les derniers divertissements, sans doute moins retentissants, que nous a offerts Alfredo Arias, sous le chapeau ou non du Groupe TSE.
Chapeau, donc, et un Carlos Gardel d’honneur (distinction à créer)-après tout, ce dernier était toulousain avant d’être argentin- pour avoir réveillé, avec ses compatriotes Jorge Lavelli et Jérôme Savary, un théâtre français peut-être trop sérieux. Merci à nos Argentins de nous avoir entraînés dans les failles poétiques et humoristiques qu’ils ont ouvertes. Non pas mine de rien, mais avec tambours, trompettes, plumes, paillettes et femmes nues poudrées de blanc.
Quelques décennies plus tard, et après quelques déceptions pour nous, Alfredo Arias revient à une forme plus légère, à un théâtre de chambre (la crise ?) plus personnel. Voilà, il a pris assez d’âge pour se pencher sur son enfance et sur la fée délicieuse et écrasante qui régnait alors sur l’Argentine, Eva Peron. Demandez à son ami Copi ce qu’il en pense.
La fée de dessin animé, donc, avait délégué pour amuser les familles sur les premiers écrans de télévision une pâtissière phénoménale qui inventait des gâteaux impossibles (Le manège, Le livre de prières, Le drapeau argentin, La montre) faits pour «transformer la misère en luxe pâtissier». Alfredo Arias imagine, sous le drapeau national transformé en rideau de scène, les retrouvailles entre cette Dona Patrona (presque Peron, au palier en- dessous) et le vieil enfant qu’il est toujours, et qui a toujours été « différent ».
Ce qui nous touche ici, c’est avec retenue, son regard sur le passé qui n’a rien de nostalgique ni de sentimental. Il signifie plutôt : « Je m’assume, voilà d’où je viens, qui je suis, et ce qui m’a fait, voilà ce que c’est que mon exil ». Du coup, on ne s’étonnera pas de son goût pour le kitsch, un kitsch élégant, soigné à l’humour et au travail bien fait. À vrai dire, la pièce manque de colonne vertébrale, et patine un peu.
Mais elle reste plaisante, avec les interventions décontractées, faussement paresseuses et vraiment sensuelles, de la chanteuse Andrea Ramirez (l’enfant et la pâtissière sont joués par Alfredo Arias lui-même et Sandra Macedo). Encore une fois, c’est de la crème Chantilly, plus légère que les pâtisseries évoquées dans le récit, mais avec une forte note d’authenticité, sous la convention impeccable du music-hall.
Pour les nostalgiques du groupe TSE : vaut-il mieux en rester aux souvenirs ? Cette petite forme, en tout cas, va les chercher au fond des mémoires et en donne la source sans regret, sans arrogance. L’Argentine ayant vécu ce qu’elle a vécu, et le monde étant ce qu’il est, on sera bien obligé de convenir qu’à sa façon, le divertissement parle de politique. Sous le glaçage sucré, une pointe d’acidité, une goutte d’amertume.
Christine Friedel
Théâtre de la Tempête, jusqu’au 18 octobre. T : 01 43 28 36 36.