Les Francophonies en Limousin 2015

Les Francophonies en Limousin 2015

 

Opus 14 , chorégraphie de Kader Attou

 

opus14_site2Il s’agit de la quatorzième création du chorégraphe, directeur du Centre chorégraphique national  de La Rochelle. Sa nomination, en 2008, marque un tournant dans le statut du hip hop en France auquel Kader Attou a largement contribué, comme le prouve une fois de plus cet opus.
La pièce rassemble seize danseurs, tous de haut niveau qui occupent progressivement le plateau, d’abord individuellement, chacun donnant un aperçu de son style, puis ils se fondent dans la masse, emportés dans un mouvement d’ensemble cadencé par la musique de Régis Baillet.
Le ballet procède d’une construction rigoureuse alternant solos, duos, trios, quatuors, sextuors et toutes autres combinatoires. Formations en carré ou déploiements circulaires se succèdent mais aussi des ensembles plus flous où le corps de ballet devient compact, pieuvre à bras multiples, avec des grouillements reptiliens au sol ou des ascensions acrobatiques.
Le chorégraphe sait croiser l’horizontal et le vertical. Il sait aussi calmer le jeu, avec des moments plus doux, où les interprètes se recueillent collectivement comme aspirés par les volutes qui se dessinent en fond de scène. De temps à autre, un individu se sépare de la foule, solitaire, pour quelques évolutions virtuoses, bientôt rejoint par sa tribu.
La bande-son accompagne toutes ces variations d’humeur, passant de l’hyperpulsé, avec force percussions, à des accents plus nostalgiques, diffusant  un vieux chant arménien, un air de valse emprunté à Pina Bausch ou, au final, le fameux air des Pêcheurs de perles de  Georges Bizet, interprété par Enrico Caruso.Ce brillant spectacle a mérité l’ovation debout du public et ce fut un coup d’envoi prometteur dans la programmation des Francophonies en Limousin. À suivre…

 Mireille Davidovici

 

 Spectacle vu le 24 septembre et jusqu’au 3 octobre à l’Opéra-Théâtre de Limoges. Les Francophonies en Limousin T. 05 44 23 93 51 www.lesfrancophonies.fr
Les 1er et 2 octobre, à l’Hippodrome de Douai, ; le 6 octobre,  L’Onyx/La Carrière Saint Herblain;. Les 2 et 3 novembre, à la Maison de la Culture d’Amiens; les 24 et 25 novembre, au  Corum de Montpellier; le 12 décembre, au Théâtre Paul Eluard de Bezons; et du 16 au 19 décembre, au Théâtre National de Chaillot, Paris.


Archive pour septembre, 2015

Kiki de Montparnasse

 

Kiki de Montparnasse, d’après Souvenirs retrouvés de Kiki de Montparnasse, chansons de Frank Thomas et Reinhardt Wagner, mise en scène de Jean-Jacques Beineix

 

image Née en 1901 en Côte-d’Or, cette enfant illégitime, élevée par une grand-mère très pauvre, à douze ans, retrouve sa mère à Paris, où elle travaille comme fleuriste, laveuse de bouteilles, bonne à tout faire puis modèle chez un sculpteur.
Recueillie par Chaïm Soutine, elle fréquente la Rotonde, est l’amante du peintre Maurice Mendjizki, pose pour Amedeo Modigliani et  Foujita, puis devient la compagne de Man Ray. (Le Violon d’Ingres, 1924, photo de son dos  dos nu, auquel il a ajouté deux ouïes de violon, est bien connu.) Elle fréquentera Tristan Tzara, Francis Picabia, Max Ernst, Kisling… et Louis Aragon, Paul Eluard, Philippe Soupault, Robert Desnos, Ernest Hemingway… Oubliée, elle mourut en 1953,  après avoir abusé de drogues en tout genre, et ouvert un cabaret. Sic transit gloria mundi…
 C’est cette personnalité  exceptionnelle que Jean-Jacques Beineix met en scène, à l’invitation du compositeur Reinhardt Wagner. «Le spectacle, dit-il, évoquera de manière chronologique, Kiki, sa  vie, ses rencontres, ses amours, ses addictions, son destin, la vie de cet inimaginable quartier du Montparnasse qui a donné envie à des artistes du monde entier de venir vivre à Paris. »
  Ce théâtre musical alterne tableaux et chansons. Sur le plateau, la reconstitution d’un atelier d’artiste de l’époque, du moins tel que le voit Jean-Jacques Beineix ! Avec une tête de sculpture grecque en plâtre blanc sur une sellette habillée de velours noir, une terre chinoise sur une autre sellette,  un phonographe à grand pavillon de cuivre, et sur le côté, des toiles de peintre à l’envers contre un mur, un mannequin de toile, une table avec une bouteille de vin entamée et des boîtes de conserve remplie de pinceaux qui vont devenir tout d’un coup des petites lumières colorées, (si, si c’est vrai !) et placé, bien au milieu, un grand écran rectangulaire blanc. Tous aux abris!  Autant dire que les choses s’annoncent mal….
  Il y a un texte du même tonneau, mal fagoté, issu des souvenirs de Kiki. Habillée de noir ou de blanc mais pas très bien, Kiki raconte donc son enfance de pauvre en Bourgogne, son arrivée à Paris,et le Montparnasse des années 20 avec ses cafés : La Rotonde, La Coupole, le bal Blomet, Le Jockey… ses artistes qui s’entraidaient pour ne pas crever de faim et de froid,  et New York qu’elle découvrit.
Et, à chaque fois, on a droit comme si on risquait de ne pas comprendre, nous pauvre public de théâtre, à une photo (parfois colorisée !) du lieu, projetée sur le grand écran blanc, ( si, si, c’est vrai !!!). Ce qui ne sert à rien et casse évidemment le rythme du spectacle. « Chaque chanson sera mise en abîme avec le décor », ne craint pas d’assurer Jean-Jacques Beineix, à qui on doit quelques films réussis, mais qui n’a malheureusement pas pigé grand-chose à la dramaturgie et à la mise en scène théâtrales.
  Ce travail sur Kiki, est laborieux et illustratif, et la direction d’acteurs aux abonnés absents. On a même droit, à un petit clin d’œil brechtien quand Kiki/Héloïse Wagner blonde, enlève sa belle perruque noire ! Mais il y a pourtant parfois des miracles au théâtre,  quand la jeune femme, à l’impeccable diction,  réussit à incarner Kiki avec générosité, et chante très bien. Elle est souvent émouvante, même si le texte des chansons, dû à Frank Thomas, ne vole pas bien haut.
Elle a une belle présence, et arrive, avec les excellents Rémi Oswald à la guitare et Rodrigue Fernandes à l’accordéon, à faire quand même passer, en un peu plus d’une heure «ce spectacle, ambitieux mais stylisé (sic !!!), simple et dépouillé afin de servir d’écrin à l’interprète chanteuse qui en est le centre. » On n’ajoutera pas de fleurs à celles que s’offre lui-même Jean-Jacques Beineix…
  Bref, faisons court : la seule raison de voir la première mise en scène de théâtre du cinéaste? Aller découvrir Héloïse Wagner. Pour le reste, autant en emporte le vent de la rentrée…

Philippe du Vignal

Le Lucernaire, 53 rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris. T : 01 45 44 57 34

Kiki de Montparnasse, Souvenirs retrouvés,  paru en 1929,est édité chez José Corti.
On peut aussi lire le délicieux, et très bien écrit, petit livre d’Alain Jouffroy : La vie réinventée à Montparnasse, éditions du musée du Montparnasse, 2011. 10€

 

Fragments

Festival mondial de marionnettes de Charleville-Mézières :

Fragments- Scènes de voyages des temps anciens par la compagnie Daru-Thémpô

  imageCette compagnie de marionnettes installée en Essonne, fête plus de quarante ans de créations avec un spectacle constitué d’extraits de ses spectacles :  Le combat de Tristan, Le Départ d’Yvain, Le Voyage d’AnaïLe Retour d’Ulysse,  Dante aux enfers,  La Fin de Don Juan  et Le Voyage de la vie.   Le fil rouge étant le voyage de héros «légendaires ou anonymes aux prises de forces qui les dominent, les manipulent. Ces Fragments sont une invitation au questionnement philosophique par l’émotion poétique, par le recul philosophique nécessaire pour combattre l’amnésie des temps anciens. »   Le décor, qui doit s’adapter aux différentes pièces, est fait de draps tendus et d’un enchevêtrement de tissus au centre du plateau.  Une fois abaissé, il servira d’écran pour de nombreuses projections d’images, un peu de théâtre d’ombres et… quelques  marionnettes.   Images ou  scènes sont souvent accompagnées par une voix off très caverneuse ! Et certains spectacles ont beaucoup vieilli, avec une musique au synthé qui porte la marque d’une époque aujourd’hui révolue !   Sauf pour les inconditionnels de la compagnie, quel est l’intérêt  de présenter cet enchaînement de très courtes scène, anecdotes de formes plus importantes ?

Julien Barsan

Un Poyo rojo

Un Poyo Rojo par le Teatro físico, mise en scène d’Hermes Gaido, chorégraphie de  Lucciano Rosso et Nicolàs Poggi

 

   p213589_5Deux gymnastes, dans un vestiaire, en train de s’échauffer: tout en muscles, ils courent, cabriolent, se contorsionnent, tandis que le public prend place. Mais il ne s’agit pas d’athlètes ordinaires : ils s’avèrent aussi d’excellents danseurs et comédiens et leurs exercices prennent rapidement des allures de chorégraphie.
 Partant d’improvisations, Hermes Gaido a conçu une dramaturgie cohérente pour ces fortes personnalités. C’est l’histoire de deux corps mâles mis en présence, qui s’affrontent, se confrontent, se reniflent, s’attirent,  s’enlacent, s’embrassent, se cèdent, se repoussent…
 Un jeu de pouvoir et de séduction d’où se dégage une forte libido, contrebalancée par de constants clins d’œil au public. Un brin cabots, tels des catcheurs, ces coqs de foire ! Juste ce qu’il faut pour captiver la salle. D’ailleurs, Luciano Rosso, tout de rouge vêtu, campe fort bien un de ces charmants volatiles, bréchet en avant, cou démesuré, croupion mobile ; Alfonso Barón son compère, en blanc, est plus délicat mais non moins bon danseur et performeur.
 A un rythme endiablé, parfois rythmé par un poste de radio qui capte des musiques ou des infos en direct, les deux athlètes, puissants et souples, composent un théâtre sans parole, mais ô combien éloquent.Ce pas-de-deux singulier est réalisé avec brio, et humour. Les rires fusent dans la salle. Rien d’étonnant à ce qu’ Un Poyo Rojo (en argot «un coq rouge») se joue à guichets fermés depuis près de dix ans en Argentine.
Après Avignon, cet été, la pièce est reprise à Paris où elle emporte une fois encore l’adhésion du public. A la fin du ballet, ne manquez pas le bonus : une parodie de play-back  hilarante, proposée par Luciano Rosso.

 Mireille Davidovici

 Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 18 octobre.  T: 0144 95 98 21

www.theatredurondpoint.fr

 

L’incroyable matin et Jour

L’Incroyable matin et Jour de Nicolas Doutey, mis en scène de Rodolphe Congé

 

incroyable matin 2C’est une salle, vide. Un homme entre, jette un coup d’œil soupçonneux, ressort, revient. Même jeu.Une femme n’est plus là, et cette absence déséquilibre l’espace ; une autre entre, créant un nouveau déséquilibre. On ne vous raconte pas la suite, plutôt cocasse : c’est une expérience à vivre dans le temps court du spectacle.
Avec ce «presque rien», Nicolas Doutey et Rodolphe Congé mettent en jeu le théâtre à l’état pur : la place de l’acteur sur le plateau crée –ou pas- une fiction, un récit. Le mot a la même force physique, si petit, si rare soit-il, pour faire apparaître ou disparaître un bout d’histoire.

La feuille de salle distribuée au public renvoie à Samuel Beckett ; on est aussi du côté de Nathalie Sarraute, pour la méthode plus que  pour l’objet. Elle s’occupe de l’infiniment petit dans la psychologie, du moment où l’infime grain de sable fait bouger les âmes. Ici, les sentiments, s’il y en a, servent de support à une incroyable découverte : l’importance vitale de notre place dans l’espace.
 Figurez-vous que nous-même et l’espace qui nous entoure sont une seule et même chose. Certains peintres le savent depuis longtemps, et ce n’est pas plus grave que ça. Au cœur de cet Incroyable matin, un trouble existentiel joué avec un humour sobre et, dirons-nous, chic. C’est très intellectuel ? Oui, et l’étincelle de la découverte procure une réelle jubilation.
Jour, alignant trois personnages qui s’interpellent obstinément par leurs prénoms, et déterminés par lesdits prénoms, fait bouger les frontières entre les individus et le groupe. Devant de supposées splendides falaises, deux  des trois veulent continuer la promenade touristique mais l’autre veut obstinément revenir au bar, se mettre au chaud. Il a peur d’un mystérieux tueur qui rôderait, deux non, et puis oui.

Les trois s’embrouillent, se débrouillent. Le jeu de ce Jour marche moins bien, mais le tout fait une soirée brève et concentrée, drôle, moderne, et, encore une fois, chic. Ce qui est un compliment.

 Christine Friedel

 Théâtre Ouvert, Paris T : 01 42 55 55 50, jusqu’au 10 octobre.

Gala, conception de Jérôme Bel

Gala, conception de Jérôme Bel

 

jeromebel604-tt-width-604-height-418-bgcolor-000000Avec Gala, Jérôme Bel poursuit sa déconstruction des codes de la danse classique et  contemporaine. Le titre du spectacle  exprime, à lui seul,  la volonté esthétique et l’esprit de cette création. Pour Jérôme Bel, en effet, il ne s’agit pas avec cette chorégraphie de présenter un spectacle de type professionnel, respectant les règles canoniques de cet art, mais de laisser percevoir au public, en quoi, et comment, notre corps, à travers la danse, peut être l’expression de notre identité, de nos différences, de notre rapport à l’autre dans une communication extra-verbale, et la recherche de notre Moi intérieur.
Un corps invité à prendre possession de la piste… C’est aussi pour le chorégraphe, la nécessité d’interroger la danse, quand il se trouve dépossédé de son langage esthétique, ce qui laisse alors surgir des espaces inarticulés, fugaces, spontanés et inattendus.

 Dans une première partie, les performeurs/danseurs sont  invités au bal, sur les musiques et les chansons d’artistes populaires:  Michael Jackson, Dalida… Tour à tour, seuls en scène, ils traversent le vaste plateau nu et blanc, et «livrent un à un, leur interprétation d’un geste/signature d’une époque de la danse».
Dans un second temps, ces amateurs vont, chacun à leur tour, être chorégraphes, et entraîner toute la troupe à les suivre, et à imiter leur solo.«Ils deviennent eux-mêmes les modèles par lesquels se transmettent des chorégraphies», comme le remarque justement Florian Gaité.     

Ces amateurs de tout âge, et Cédric Andrieux, Raphaëlle Delaunay, Shuntaro Yoshida … danseurs professionnels, magnifiques, nous transportent dans un ailleurs où l’art chorégraphique s’éloigne de ses dogmes. Comme si le corps s’emparait, non plus de LA danse mais d’une seule et multiple danse, libre !  Ce que nous pressentons au début,et percevons ensuite à de courts instants.
La promesse donnée au spectateur à travers la recherche artistique par Jérôme Bel, de mettre en lumière et résonance avec profondeur et violence, les manques, les vides, la force aussi, paradoxalement, de cette danse avec ces corps maladroits, parfois handicapés (une danseuse est en fauteuil roulant) inexpérimentés, mais plein de désirs, d’inventions  s’envolent…
  Mais, à la fin du spectacle, on reste dubitatif et on ressent une émotion diffuse. On aurait tant souhaité entendre battre le cœur de cette chorégraphie inattendue, libre et complexe… Frustrés, nous quittons la salle avec cependant les yeux grands ouverts et interrogateurs, face à l’étonnement et au mystère de ces corps amateurs qui pendant soixante-quinze minutes, ont occupé la scène avec un immense désir…   

 Elisabeth Naud  

Théâtre Nanterre-Amandiers/Festival d’Automne. T: 01 46 14 70 00. jusqu’au 20 septembre. Et  du 1er au 3 octobre au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers.Le 13 octobre, à l’Apostrophe-Théâtre des Louvrais de Pontoise.Du 30 novembre au 2 décembre, au Théâtre de la Ville, Paris. Le 5 décembre, au Théâtre Louis Aragon, scène conventionnée de Tremblay-en-France.

 

Chère Maman, je n’ai toujours pas trouvé de copine

Chère Maman, je n’ai toujours pas trouvé de copine…, d’après Trust et Ivresse, de Falk Richter, création collective de la compagnie A., mise en scène d’Alice Gozlan et Julia de Reyke.

 

maman-ai-trouve-copine-compagnie_340779Qu’est-ce que l’amour ? La compagnie A. creuse sérieusement la question, avec l’aide de Falk Richter et de Gœthe, et de leur propre expérience –brûlante, on n’en doute pas-. Ils sont allés chercher le modèle de l’amour parfait du côté de Werther et Charlotte. Voilà presque un signe inquiétant : ils osent faire preuve d’une culture remontant à  plus de deux siècles !
 Sensibilité frémissante, torrents de larmes versées devant l’harmonie entre les sentiments et  la nature : tiens, une grande réunion mondiale sur la préservation de la nature n’est-elle pas justement prévue ? On est au cœur du jeu : l’être humain, qu’il le veuille ou non, fait partie de cette nature, et d’un monde peu respectueux de son équilibre.
Qu’est-ce que l’amour, sachant qu’il palpite avec l’air et la lumière du soir, et qu’il est aussi traversé, fabriqué, bouleversé, déterminé par les technologies, l’environnement, la société, les idéologies et le reste ? Werther et Charlotte pédalent de conserve sur scène et à l’écran (l’un des comédien est vidéaste), jolis comme des amoureux de Peynet (voir les années cinquante du vingtième siècle), ou comme les premiers bénéficiaires des congés payés… Ils partagent avec le public l’illusion que l’amour existe et qu’il est une affaire privée. Que non, vous démontrera la troupe…. L’amour est enfermé dans l’obligation du  développement individuel, dans les marquages au sol d’une vie en représentation, dans l’obligation de réussir sa vie, de l’optimiser. Notre mode de vie, le bonheur à tout prix, tout de suite, ça se paie cher.
Ces jeunes gens seraient-ils romantiques ? À la façon d’aujourd’hui : avec humour, pertinence, et heureusement sans ironie. Au milieu d’un bric-à-brac électronique plutôt simple et bien maîtrisé et qui tient lieu de scénographie, ils organisent avec rigueur leur questionnement politique. 

Alerte, ce qui devrait vous être le plus intime vous est volé par le grand capitalisme financier : voir la valorisation en bourse de Facebook et autres sites de rencontres. Les comédiens ont lu les livres phares de la “belle époque“ (nota bene : les années 60), dont Roland Barthes, bien sûr, héros du jour. Ils ont réfléchi, ne sont pas cantonnés au slogan, et ont une belle maîtrise du plateau.
 Ce que le collectif a en propre, c’est ce courage-là : affronter un contenu, poser les questions jusqu’à l’os sans se désengager d’un geste désinvolte. Ils font rire leurs copains venus les soutenir -rire de connivence-, mais aussi le spectateur de passage qui rit de la reconnaissance du vrai.
Mieux encore : ils réussissent presque à bloquer ce rire et à vous sidérer, d’entendre ce que nous vivons et ce qui nous attend. Voilà un premier spectacle d’une belle probité artistique, réalisé par de jeunes artistes préoccupés de penser leur monde, avec le charme de la jeunesse, l’intelligence et le plaisir du jeu, plutôt que de “faire un coup“.
Une audace tranquille, un risque intéressant, quand on a pu entendre d’une bouche blasée et avide du goût du jour : «Falk Richter (il a quarante-cinq ans!), c’est pas déjà un peu dépassé ?».

 Christine Friedel

 A l’Anis Gras, Arcueil (94), les 24 et 25 septembre ; à la cave à Théâtre de Colombes (92) les 3 et 4 octobre.

What the Body Does Not Remember de Wim Vandekeybus

What the Body Does Not Remember  de Wim Vandekeybus

 

 WTB©DannyWillems-3824Pour un spectacle de danse, l’épreuve du temps est une traversée particulièrement délicate. Il lui faut, sans le soutien d’un texte, dépasser l’éphémère d’une mode pour atteindre une certaine pérennité.  What The Body Does Not Remember, repris ici au festival de Biarritz n’échappe pas à la règle mais s’en sort plutôt bien.
Créée en 1987 par Wim Vandekeybus, en même temps que sa compagnie Ultima Vez, cette  pièce réapparait vingt-cinq ans plus tard sur la scène de la gare du Midi, inchangée mais avec une nouvelle équipe de danseurs d’un très haut niveau technique. On y retrouve avec plaisir toute la fougue avec laquelle le jeune Flamand exprimait sa rage de vivre mais avec aussi… quelques tics datant de la création.
Avant d’arriver dans le monde chorégraphique grâce à cette première œuvre, Wim Vandekeybus, étudiant en psychologie mais passionné d’arts plastiques, avait travaillé deux ans avec le plasticien et chorégraphe Jan Fabre auprès duquel il avait appris à ruer dans les brancards et à se détacher de codes esthétiques trop contraignants.

  Tellurique, d’une vitalité crue, viscérale, What The Body Does Not Remember dégage une force de vie peu commune où la prise de risque physique est importante, et l’engagement des danseurs total. On ne s’étonne donc  pas du nom : Ultima Vez (Ultime fois) que Wim Vandekeybus avait donné alors à sa compagnie,  tant cette pièce manifeste l’urgence de dire, de faire, de bousculer, d’affirmer. Et le vocabulaire pour l’exprimer, qui fera la réputation du chorégraphe, est déjà entièrement là : roulades et chutes vertigineuses, corps projetés en l’air ou écrasés au sol, comme son goût pour l’interdisciplinarité: il a étroitement collaboré ici avec les compositeurs Thierry de Mey et Peter Vermeersch.
Le spectacle commence en douceur et ne laisse rien présager d’un déferlement futur, avec, comme seul environnement sonore, le frottement de mains sur une table d’un musicien assis, qui rythme ainsi  le mouvement de deux danseurs au sol, pris dans des rails lumineux. Le risque physique augmente très vite au deuxième tableau, quand les interprètes commencent à se lancer des briques qu’ils doivent rattraper entre courses affolées et roulades sauvages.
Danse pulsionnelle où ne règne plus, semble-t-il, que le seul instinct de survie, sur des accords des guitares électriques de Peter Vermeersch qui font monter l’adrénaline.
Le troisième tableau, particulièrement réussi, met en scène trois couples qui se séduisent et se déchirent dans un aller et retour incessant,  entre attirance et rejet. Loin du traditionnel pas-de-deux romantique, Wim Vandekeybus choisit la confrontation brutale entre les sexes.
 Mais le quatrième tableau n’est qu’une suite atone de jeux enfantins, une succession de poses familiales souvent grotesques, parfois ironiques mais dont la longueur provoque l’ennui et casse le rythme du spectacle!
  C’est peut-être une tentative pour se souvenir de son enfance, mais on ressent surtout la fragilité d’un jeune artiste qui a beaucoup de choses à dire. Mais comme il n’a pas encore la maîtrise de son métier et ne sait pas encore qu’il faut renoncer à tout dire, il encombre donc son spectacle, en multiplie les directions et omet finalement d’en ôter le superflu…
 Heureusement, le final nous restitue toute l’énergie vibrionnaire de Wim Vandekeybus, à travers les piétinements têtus des danseurs et des sauts élastiques où les genoux rejoignent les oreilles,  et des mouvements qui évoquent un autre Flamand, le peintre expressionniste Constant Permeke (1886-1952), dont certaines toiles représentent des paysans chaussés de gros sabots, qui dansent en soulevant bien haut les genoux pour s’arracher au sol boueux, avant de s’y enfoncer avec la même détermination que le chorégraphe a imposé, lui, sa danse de l’extrême, avec What the Body Does Not Remember

 Sonia Schoonejans

Spectacle de clôture du Festival Le Temps d’aimer la danse, direction  Thierry Malandin le 20 septembre à la Gare du Midi de Biarritz.

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Les Sonnets de Shakespeare

Les Sonnets de Shakespeare, traduction et adaptation de Pascal Collin, composition et direction musicale de Frédéric Fresson, direction artistique de Richard Brunel

Sonnets-®JeanLouisFernandez096Les Sonnets de Shakespeare, rassemblent plus de cent-cinquante poèmes dédiés à l’amour, à la beauté et à la brièveté de la vie : «Alors je fais la guerre au temps, puisque je t’aime Et, ce qu’il prend de toi, je te le restitue. »
 Que ce soit le quiproquo amoureux, situation où l’on n’aime pas qui l’on devrait, l’éblouissement de la beauté de l’ami célébré, le comportement équivoque d’une maîtresse infidèle, le thème poétique tient ici au désir incertain : aspirations profondes, contradictions intimes et mouvements bousculés. : «Ton amour, ta tendresse effacent le vulgaire Emblème du scandale imprimé sur mon front Qu’on dise alors de moi bien ou mal je m’en fous Si tu blanchis mon vice et dores ma vertu. »
Le chemin personnel qui mène à la reconnaissance, à l’amour ou à la gloire, est semé de contrariétés, sentiments ambivalents et jalousies, à l’intérieur d’une existence sentie comme évanescente, dès qu’on veut la retenir : «Tu es pour moi le monde… Tu es pour moi l’unique, aucun autre ne peut Changer ma soif du pire en désir du meilleur.»
Le poète amoureux ne semble pas recevoir de réponse de l’être aimé, nulle consolation, et l’apparition de la femme apporte un désordre plus grand dans l’entrelacement des désirs de ces trois personnages : l’amant, l’aimé et l’aimée. La douleur de la non-réciprocité des sentiments donne à la parole libérée une belle ardeur : l’écriture ciselée, juste et acérée trouve sa légitimité dans la nécessité de se confier.
La fin du recueil de sonnets résonne de façon plus apaisée avec le consentement à la vieillesse et l’acceptation de la mort, telle une leçon de philosophie.
Ces Sonnets de Shakespeare résonnent comme des chansons, un envol de paroles poétiques interpellant, maudissant la vie, ou bien suppliant l’amant à travers prières, serments et regrets. Et c’est avec un plaisir étrange que l’on écoute ces si jolis pleurs amers : «Fatiguée de ce monde je demande à mourir lassée de voir qu’un homme intègre doit mendier quand, à côté de lui, des nullités notoires se vautrent dans le luxe et l’amour du public, qu’on s’amuse à cracher sur la sincérité, que les places d’honneur sont pour les plus indignes… Fatiguée de tout ça, je veux quitter ce monde sauf que, si je me tue, mon amour sera seul.» La relation au monde et à la vie ne quitte pas le prisonnier amoureux et jaloux.
Comme dans une loge de comédienne, avec  miroirs sans tain, instruments et panoplies d’artistes, masculines et féminines, pantalons, robes et voiles, Norah Krief chante ces poèmes avec amusement, facétie et passion. Accompagnée de Philippe Floris à la batterie et aux percussions, Frédéric Fresson au piano, et Philippe Thibault à la basse, elle danse et vole de l’un à l’autre, sûre de ses appâts, sollicitant ses partenaires ou bien les rejetant, épousant avec énergie le rythme musical installé : pop, rock, world music, refrains et mélodies anciennes.

  Familière de la langue de Shakespeare, elle passe du français à l’anglais, de la gaieté à la mélancolie, de l’humour aux pincements de cœur, traversant toutes les ondes que dégage un monde brutal et mensonger. En échange, reste la voix acidulée de l’interprète, sa liberté sur scène et ses sourires naturels, au milieu des regrets, et de la fuite éperdue du temps et des amours.

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Bastille, Paris jusqu’au 3 octobre à 20h, et du 5 octobre au 9 octobre à 21h, relâche le dimanche. T : 01 43 57 42 14.


Les Somnanbules

Festival mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières

Les Somnambules, conception et réalisation de la compagnie Les Ombres portées

 visuel_les_somnambules_portrait_ss_txt_hd_c_les_ombres_portees Cette compagnie est animée par quatre marionnettistes  qui sont aussi acteurs et éclairagistes, et deux musiciens, bruiteurs et polyinstrumentistes : Olivier Cueto, Erol Gülgönen, Florence Kormann, Marion Lefebvre, Claire Van Zande, Séline Gülgönen, Cyril Ollivier…En perspective, s’élève sur le plateau une accumulation d’immeubles blancs: cubiques ou rectangulaires, polygones et tours comme dans le quartier de la Défense près de Paris, ou à Shangaï …
L’histoire contée a trait à l’urbanisme et à l’environnement de notre XXIème siècle. Au départ, s’offre à la contemplation un mélange élaboré d’habitations anciennes et modernes, paysage urbain encore humanisé dû aux projections lumineuses et aux éclairages, matière même d’un théâtre d’ombres sophistiquées, qui viennent de l’extérieur comme de l’intérieur de foyers que l’on devine chaleureux, refuges pleins d’humanité et d’histoires.

  Dans la cour centrale, un balayeur avec son balai, et trois jeunes gens dont un à bicyclette qui semblent préparer un événement. Il y aura, à vue et en direct, la chute spectaculaire d’une partie de la grue, provoquée par ces opposants à la création de ce nouveau quartier ultramoderne par des architectes et promoteurs immobiliers.  Derrière les palissades, la grue avait été installée pour des travaux de démolition avant la reconstruction du quartier. Expulsion, démolition, reconstruction, on connaît la chanson…
 La grue a été détruite mais les projets immobiliers prévus n’en seront pas moins menés à leur fin, et, après les travaux, tout a changé et est devenu froid et ordonné. Ascenseurs et solitude pour tous, salles de gymnastique, zone de supermarchés et métro souterrain avec un sentiment d’abandon sur les visages.  Et l’on voit  des appartements dont la disposition des pièces et l’ordonnancement sont les mêmes, sans âme…
 Dans l’un de ces nouveaux foyers, une femme tape à la machine : écrirait-elle un livre, portée par son imagination et un désir de liberté ? Tout à coup, sur les terrasses plates des étages élevés, poussent des arbres exotiques et des lianes, une verdure généreuse et profuse… Un autre monde serait donc possible, plus libre, plus instinctif et qui puisse s’enlacer à une existence trop modelée et cadrée. Contrebasse, accordéon, saxophone: ici,  la musique entête les cœurs.
Un travail savant, et extrêmement élaboré-presque trop! -mais si beau…

 Véronique Hotte

 Théâtre musical d’ombres et de lumières pour tout public dès 7 ans,  

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