Une Antigone de papier

Festival mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières:

 Une Antigone de papier, tentative de défroissage du mythe par les Anges au plafond, une histoire de Camille Trouvé et Brice Berthoud, musique de  Fanny Lasfargues, scénographie de Brice Berthoud et Dorothée Ruge.

antigone_de_papierLes Anges au plafond sont la compagnie invitée du Festival mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières. Les concepteurs – comédiens, marionnettistes, scénographes, costumiers et musiciens –  sont venus avec cinq spectacles: Du Rêve que fut ma vie, Les Nuits polaires, Une Antigone de papier, Au Fil d’Œdipe, Le Cri quotidien, et  parrainent Je brasse de l’air, par la compagnie l’Insolite Mécanique de Magali Rousseau. Il y a aussi dans l’espace urbain et à la Chambre d’Agriculture,  une exposition de photos de Vincent Muteau, un œil témoin et complice  des Anges au Plafond.
La compagnie, installée à Malakoff en 92 et fondée  par Camille Trouvé et Brice Berthoud, se situe à la croisée des arts plastiques, du théâtre et de la musique,  avec,  pour fabriquer des marionnettes étranges à taille humaine. une utilisation habile et insolite du papier, un matériau froissable et fragile, éphémère et dégradable, et systématiquement remisé ou jeté.

  La matière légère et palpable d’Une Antigone de papier investit l’espace entier du plateau, couvrant le sol de lais et feuilles superposées et où s’élèe, dans un espace bi-frontal, un mur physique de papier sur une ligne de démarcation symbolique à ne pas dépasser.
  Y trônent royalement les marionnettes, en feuilles d’un papier plus épais,  et  largement déployées – morceaux de vie et de vêtements, petites têtes peintes et grand corps souple- ou bien repliées, telles des fleurs endormies dans la nuit, quand le personnage disparaît du drame, invisible sur scène.       
   Dans cette petite arène de cirque, se côtoient dans la lumière, les spectateurs, les violoncellistes, les marionnettes avec chacune leur manipulatrice, et Camille Trouvé, présente aux commandes des effigies en attente…C’est elle l’apprentie sorcière qui insuffle la vie à ses poupées de papier, à la digne Antigone bien sûr, obstinée, sûre de son droit moral et de sa loi intérieure  mais aussi à un oiseau facétieux qui n’a pas le bec dans sa poche et fait office de choryphée, ou encore au roi Créon, avachi sur son trône et assoupi dans un mépris suffisant, et aux figures pittoresques du peuple : un maçon à l’accent marseillais, des gardes du mur, pieds-nickelés shakespeariens… La représentation, aussi huilée soit-elle, conserve sa gouaille naturelle, et la manipulatrice passe, en un marathon bien cadré, à tous les rôles: accents populaires de certains personnages, émotion contenue de l’héroïne, partition comique des gardes.
Tout est dit de la tragédie antique, grotesque et sublime mêlés. La construction de ce mur en papier, donne,  en nos temps bousculés,à réfléchir aussi à la vanité et l’absurdité d’un tel ouvrage humain qui jamais n’a empêché  les hommes de passer…

 Véronique Hotte

 Spectacle vu le 20 septembre.

 


Archive pour septembre, 2015

Qui est monsieur Lorem Ipsum

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes – Charleville-Mézières (Ardennes)

 

Qui est Monsieur Lorem Ipsum? création et interprétation d’ Emmanuel Audibert, mise en scène de Sylviane Manuel

 

  1_zoom_yuja_-_copyright_emmanuel_audibertPhilippe du Vignal vous avait dit (voir Le Théâtre du Blog) il y a deux ans tout le bonheur qu’il avait trouvé en voyant ce spectacle. Et il ne changerait sans doute pas d’avis. Ici tout vit sur le plateau, peuplé et grouillant d’une humanité miniaturisée. Il serait plutôt question en échange, de la souffrance d’être au monde, d’une existence malmenée à tendre jusqu’au bonheur, à améliorer et à réorienter enfin.
Heureusement, les plaisirs terrestres parmi d’autres, relèvent de la musique; ici, le créateur et interprète Emmanuel Audibert, mélomane et pianiste, fait la part belle aux musiciens et à leurs instruments, solo ou orchestre entier dirigé par son chef génial.
L’inventeur donne vie sur le plateau à un peuple minuscule de figurines et instruments en papier – fil invisible, câble pour miniatures, feuille légère, allumette, baguette de bois, carton, peluche…
 Cent-trente-sept servomoteurs dirigent par ordinateurs ces marionnettes. Présentes et mouvantes ou mobiles en direct sur la scène, elles relèvent également du théâtre dans le théâtre, et  sont ainsi les personnages d’une série de télé en carton, dont l’héroïne, incomprise et moquée par les autres membres de sa famille, tente de leur faire comprendre l’état d’alerte que connaît la planète, ne serait-ce que d’un point de vue écologique, avec l’invasion des sacs en plastique, commerce mis sur pied par un grand-père fortuné.
La musique est enregistrée,  ou en direct, et  les dialogues enregistrés de télé américaine caricaturale, sont projetés en anglais sur un prompteur. Le public a l’impression de pénétrer dans un monde dévasté et annihilé, post-historique, dont ne resteraient que des rêves et des songes en guenilles, à jamais disparus mais réhabilités, dès qu’ils retrouvent une source de manipulation.Ici, tout agit sur le plateau et un monde perdu, comme  mu par un désir inextinguible, se met ici à  revivre, malgré avanies, catastrophes,  pertes et faux pas….
Emmanuel Audibert est l’homme-orchestre, le fou appliqué à donner un feu vital à ses créatures, après la disparition de l’univers. Assis sur un canapé, puis sautant par-dessus, en familier qu’il est des arts du cirque, il semble réfléchir et méditer en magicien et maître de ses propres créations.

Un monde extraordinaire, le nôtre, qu’un apprenti sorcier invite à contempler.

 Véronique Hotte

 Tout public dès 10 ans, en français, surtitré en anglais.

 

Sevran ( Hauts de Seine): Théâtre à domicile

Sevran (Hauts de Seine): Théâtre à domicile

 

 

Une vingtaine de personnes assistent au spectacle. Une fois la représentation terminée, ils sont invités à échanger leurs impressions et leurs émotions lors d'un débat Julien Chatelin pour L'Express

Une vingtaine de personnes assistent au spectacle. Une fois la représentation terminée, ils sont invités à échanger leurs impressions et leurs émotions lors d’un débat
Julien Chatelin pour L’Express

Sevran: 50.000 habitants et peu de recettes propres car il ya peu de grosses entreprises, et un taux de chômage important chez les moins de vingt cinq ans. En  2012, Stéphane Gatignon, le maire EELV,  avait courageusement fait une grève de la faim pour faire réagir le gouvernement face à la situation critique des finances de sa ville. Le ministre de l’Intérieur  de l’époque, Manuel Vals,  le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone mais aussi Noël Mamère, Cécile Duflot, Eva Joly lui avaient apporté leur soutien, et il avait fini par avoir gain de cause. Le François lui, toujours en retard d’un métro, trouvait que la grève de la faim, ce n’était pas des méthodes! La preuve que si, surtout quand on ne vous écoute plus, et L’État avait  aussi sec annoncé une augmentation des dotations de péréquation, dont devaient aussi bénéficier une cinquantaine de villes…
Cette année encore, comme depuis quatre saisons, le Théâtre de la Poudrerie dirigé par Valérie Suner mais qui n’a pas encore de lieu, avec l’aide financière  (la plus importante) de la ville de Sevran, propose à ses habitants  de recevoir chez eux un des douze petits spectacles qu’il leur propose. Avec, pour la saison 2015/2016, deux cent quarante représentations…
Chaque spectacle comptant de un à trois personnages  sur une  durée d’une cinquantaine de minutes, et pour  vingt personnes: famille, amis et voisins qui sont invités.
 La représentation étant bien entendu, intégralement prise en charge par le Théâtre de la Poudrerie. Chacun apporte s’il le veut quelque chose à grignoter ou à boire ensuite à l’issue du spectacle, en parlant avec les comédiens. Trois cent foyers, les années passées, ont accepté l’offre, toute classes sociales  ou origines géographiques confondues ! Ce qui est un beau succès et représente un sacré travail d’organisation en amont…Avec la possibilité pendant ces deux jours de présentation, les samedi 15 et dimanche 16 septembre de voir d’abord avant de choisir  le spectacle à faire venir chez soi.
Huit sur douze au total étaient ainsi présentés au centre culturel François Mauriac par au total; six metteuses en scène et six metteurs en scène bien connus dont… entre autres Anne-Marie Lazarini, Thomas Joly, Didier Ruiz, Jean-Michel Rabeux… ( voir Le Théâtre du Blog). Les autres créations ne seront prêtes que dans un mois.

 Dans le hall du centre culturel, un très habile support de communication: douze affiches: « Fatouma accueille le spectacle d’Ahmed Madani », ‘ »Anne Béatrice accueille  le spectacle de Didier Ruiz », Jamel  celui d’Anne-Marie Lazarini, etc…
  Le marathon a commençé dès 11h 30 avec Apéro Polar, un feuilleton théâtral  en deux épisodes de quarante et trente minutes, d’après La petite Ecuyère a cafté de Jean-Bernard Pouy. Le Poulpe est une collection de romans policiers publiée aux éditions Baleine, inaugurée en 1995 avec ce roman de Jean-Bernard Pouy, qui est aussi le  directeur de collection originel. Chacun des épisodes est écrit par un auteur différent, mais on y suit les aventures de Gabriel Lecouvreur, un détective surnommé  Le Poulpe.  La collection a été adaptée au cinéma en 1998  sous le titre Le Poulpe.
Poulpe-et-polar-a-l-apero_image_article_largeC’est à la fois un conte et un roman policier qui retrace les aventures de ce détective. Il y a une multitude de personnages, dont une jeune et charmante étudiante, un jeune punk assez bête, des aristocrates à la morale douteuse… On boit beaucoup de bières au café-tabac : 1664, Lefte, etc…. Cela se passe dans la province française, et en particulier, dans une clinique ou sur des falaises près de la mer où il ne fait pas bon s’aventurer…Et il y a deux présumés suicides et des IVG…

 C’est Nathalie Bitan et Laurent Lévy qui jouent, assis à une table devant deux micros, tous les personnages avec changements à vue d’éléments de costumes (chapeaux, foulards…), et manipulation de vrais objets (bouteilles de bière ou de modèles réduits (voitures, rhododendrons, pancarte d’hôtel: ne pas déranger), drap tendu pour figurer un grand lit. Les bruitages sont enregistrés, ou se font en direct (petite boîte à mugissement de vache).  Et c’est souvent très drôle: le décalage avec la réalité fonctionne bien. Et ce qui ne nuit pas, le second degré n’est jamais non plus très loin.
  La mise en scène de Didier Ruiz et les deux comédiens sont impeccables, et comme le public, ils s’amusent bien. Malgré quelques petites longueurs dans la premier épisode, l’ensemble tient bien la route.
Après un café, présentation de  Portraits vidéo dans la petite salle de 70 places, dus à Alain Grasset/alias Alain Pierremont qui est aussi conseiller artistique du Théâtre de la Poudrerie. Le concept qu’il a initié depuis une trentaine d’années, est parfaitement maîtrisé: on interviewe une personne (ici un ancien ouvrier retraité de l’ usine Westinghouse proche de Sevran) pendant deux heures environ, et on en tire une sorte de portait en cinq minutes. Le texte est ensuite confié à un metteur en scène qui dirige un comédien pendant dix minutes sur la scène.
Mais règle du jeu absolue: les cloisons sont absolument étanches: seul Alain Grasset connaît bien sûr l’ensemble du travail mais les six metteurs en scène ne se connaissent pas  et chacun d’eux  découvre le comédien qui lui a été confié; et chez les intervenants et interviewés, aucun ne connaît l’autre.

  Cette mise en abyme théâtre/film, bien  agencée est assez fascinante. L’ancien ouvrier, qui parle avec intelligence et lucidité de son parcours professionnel réussi, était présent dans la salle et avait bien du mal à retenir ses larmes devant le jeu du jeune comédien qui se réappropriait avec beaucoup de justesse ses paroles qu’il  venait juste de  découvrir  à l’écran. Ce samedi, on avait seulement droit à un portrait mais l’ensemble définitif en comporte six, et dure donc environ une heure et demi. Ce qui, à la longue, pourrait être un peu systématique. Donc à suivre…
   Pas de pause, dans la salle de musique Stravinsky du centre culturel, nous avons ensuite vu La bonne Distance, mise en scène par Judith Depaule (voir Le Théâtre du Blog) qui a fait une commande d’écriture à Michel Rostain, Goncourt du premier roman, et directeur de la Scène nationale de Quimper. Il s’agit d’une conversation téléphonique entre Laura, la petite-fille d’une vieille dame récemment décédée d’un cancer généralisé et que l’on surnommait Mamilou et un homme plus très jeune. Ils ont eu autrefois, quand ils étaient jeunes et beaux, le tout début d’une histoire amoureuse sans lendemain…
Laura et lui sont assis dos à dos sur des fauteuils installés sur un praticable à roulettes. Lui, avec un téléphone portable, elle avec un appareil à répondeur qui diffuse en boucle à chaque appel, la chanson très connue  de Nino Ferrer: Gaston y a le téléfon qui son et il n’y a jamais person.
Confusion totale:  lui croit toujours vivante son amour de jeunesse, même s’il n’arrive jamais à la joindre. Il laisse de très nombreux messages qui restent évidemment sans réponse. Quant à Laura, elle, lui parle de sa grand-mère sans jamais lui avouer, sauf à la fin, qu’elle est morte, et comment.
 Il aimerait savoir plus de choses sur cette femme qu’il a aimée ou cru aimer, il y a quarante ans. Souvenirs, souvenirs!!! Et dont il croit qu’il est à nouveau amoureux. Laura, elle aussi, voudrait en savoir plus sur sa grand-mère. Lui  se demande sans cesse  à quoi peut bien ressembler cette Laura qu’il ne voit pas et qui doit avoir à peu près le même âge que sa grand-mère, quand il l’a connue autrefois… Mais la rencontre entre le vieil homme et Laura ne se fera jamais; elle n’y tient pas du tout, c’est évident.
Dialogue habile et bien ficelé mais, à la limite parfois du boulevard, qui nous laisse finalement  sur notre faim. D’autant que la mise en scène de Judith Depaule, maladroite, ne fait pas dans la légèreté. Petites chansons à la limite du supportable, et chorégraphie ridicule à la fin plombent ce petit spectacle… Dommage, d’autant que Chloé Vivarès, issue de l’ERAC et Marc Bertolini ont une belle présence, font bien leur boulot mais le compte n’y est pas tout à fait…
   Et Prodiges, texte de Mariette Navarro, mise en scène de Matthieu Roy. Cela se passe dans l’ancien studio du gardien du centre culturel. Il y a donc juste la place pour trente spectateurs…Trois personnages pour une réunion genre vente de Tupperware ou autres produits  censés libérer la femme. La monitrice (Aurore Déon), la concessionnaire (Carolyne Meydat) et  la vendeuse débutante (Johnna Silberstein). sont debout autour d’une petite table ronde, avec un Vanitycase qu’on appelait aussi autrefois baise-en-ville, et une pyramide de boîtes et flacons en plastique. C’est tout.
Les trois jeunes femmes parlent beaucoup de la condition féminine, de l’indépendance financière que procure un travail quel qu’il soit, (Tupperware avait bien ciblé les choses!), de l’obligation de se vendre aussi soi-même quand on veut vendre un produit, mais aussi de la difficulté à maîtriser parfaitement le langage pour arriver  à ses fins…
La société française a bien évolué mais les choses ont-elles si changé depuis une cinquantaine d’années? Pas sûr!
Il y a aussi tout à fait d’époque, un petit projecteur à diapos qui envoie des images de la France de l’époque,  bien propres aux couleurs bonbon, ou des  photos  de famille… Cela renvoie en boomerang à un autre monde qui fait rire un peu jaune mais personne ne peut renier ses origines…
  La concessionnaire nous remet aussi un tract surréaliste: “Pourquoi une jeune femme moderne, préoccupée de la « pleine forme » de son mari, fait-elle toujours ses frites avec Végétaline? Et un autre tract reproduit un test d’époque: “Vous donnez-vous les moyens de réaliser vos rêves?” Pour essayer d’embaucher 30.000 conseillères… A la fin, les beaux rêves de voiture, et de belle cuisine moderne s’envolent et les trois jeunes femmes  s’avouent entre elles qu’elles n’ont aucun boulot en vue..  Intelligence du texte, de la mise en scène et de la direction d’acteurs très précises, interprétation remarquable: les trois jeunes comédiennes font ici un travail d’une qualité exceptionnelle et jonglent parfaitement avec le second degré. Et c’est un spectacle qui n’aura aucune difficulté à être choisi à Sevran. Au fait, on le verrait aussi très bien sur une  véritable scène…
Un peu plus loin, dans un préfabriqué de l’Ecole de musique, Au Royaume de Marianne participe un peu de la même veine. Réalisé par Géraldine Bénichou du Théâtre du Grabuge à Lyon, le spectacle met en scène un Labo théâtre où deux chercheurs, un homme et une femme en blouse blanche, un peu foutraques, essayent de  décrypter de manière décalée les inégalités sexistes, sociales et racistes qui subsistent encore au pays de Marianne.

  Ils proposent des solutions parfois radicales mais loufoques pour remédier aux inégalités les plus criardes dans notre douce France, et s’en prennent entre autres, ainsi  à un certain nombre de stéréotypes du langage que continuent encore à employer sans scrupule nombre de nos politiques du type: « Français issus de l’immigration”. Et ils pointent du doigt le malaise des banlieues.
Mais on ne voit pas toujours bien si leur discours est au second degré, qui semble ici parfois rejoindre le premier. Et cette fausse conférence, passée la première demi-heure, fait nettement du sur-place.
La metteuse en scène nous explique à la fin que le spectacle est en train de s’écrire mais bon, nous avons eu la nette impression que ces petites interventions pseudo-scientifiques, comme vite écrites sur un coin de table, peuvent constituer la matière d’un sketch mais pas un spectacle de soixante minutes…
Dans un autre préfabriqué, Je suis/Tu es Calamity Jane de Nadia Xerri-L. qui donne ici sa vision de ce personnage légendaire. L’auteure/metteuse en  scène du spectacle a imaginé que Calamity Jane roule avec sa voiture sur une  route et rencontre une jeune femme qui prétend être sa fille. L’aventurière n’est pas très chaleureuse avec elle mais accepte quand même sa compagnie.
La vie très mouvementée de ce personnage de légende et  qui a fait l’objet de nombreux romans, films, documentaires, dessins animés… est ici le prétexte à un dialogue entre les deux femmes. Calamity Jane lui apprend à jouer correctement au poker et elles parlent beaucoup. A l’intérieur ou sur le toit de la voiture, une vieille Autobianchi rouge…

  Comme le spectacle est parfaitement rodé, cela s’écoute et se voit (malgré le peu de lumière!) sans déplaisir  mais le texte ne nous a pas semblé d’un intérêt évident. Même si Vanille Faux et Clara Pirali, comme tous les autres acteurs de ces petits spectacles,  sont, elles, tout à fait convaincantes.
  petite_soldate-3Dernier de la liste; il est plus de 21h, mais notre attention reste entière pour voir dans la petite salle du centre culturel La Petite Soldate américaine, texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux, accessible à partir de 13 ans. « C’est, dit-il finement, un conte sans fée avec moralité”.
Corinne Cicolari qui joue la petite soldate, est vraiment petite; pieds nus, elle est en pantalon noir à bretelles et chemise blanche, et chante très bien des chansons,  américaines mais pas seulement; comme son compère (Eram Sobhani) est très grand et habillé comme elle, elle  semble encore plus petite mais on ne la quitte pas des yeux.  Pour unique décor, une sorte de gros conteneur blanc en plastique couvert d’une tôle  grillagée,  et une toile peinte représentant un chêne. Côté cour, une batterie.
Lui raconte l’histoire en français, visiblement inspirée des évènements de la prison d’Abour Graib devenue,  en 2003, le Baghdad Central Detention Center dirigé par l’armée américaine! La diffusion de photographies montrant des détenus irakiens torturés et humiliés par des militaires américains déclencha un scandale. Cette petite soldate qui chantait donc très bien, un jour perdit un jour et subitement sa voix. Ce qui ne l’empêcha pas, dit-il, de partir à la guerre, de pratiquer des tortures et de se livrer aux pires exactions. Ce qui, bizarrement, lui fit retrouver sa voix. Mais ses victimes la rattrapent et  se vengent en la torturant…

 Elle aussi avait commis l’imprudence de prendre des photos de ses crimes qu’elle posta sur Internet et que  le monde entier put voir… Ses chefs alors  la condamnèrent à mort, non pour avoir torturé! mais pour  avoir fait circuler ces photos… Il y a comme une distance assez insupportable entre le récit  que lui fait des scènes de guerre et les chansons d’amour qu’elle chante du genre Ti amo, ti volio, ti amo…  On la verra ensuite debout, humiliée, sur le conteneur en grande cape noire  noire, la tête dans une cagoule les mains attachées par du fil électrique chantant Janis Joplin.
 La mise en scène comme toujours chez Jean-Michel Rabeux, est particulièrement soignée; la version du spectacle que nous avons pu voir en avant-première, est destinée à la scène et non à un appartement mais celle-ci sera bientôt prête.
« Le but, dit l’auteur et metteur en scène, c’est un théâtre qui peut se jouer partout, dans les théâtres évidemment, mais aussi ailleurs, dans les endroits les plus excentrés, les plus excentriques. Le but, c’est que quelqu’un de très proche raconte une histoire plutôt pas très rigolote, et que, bizarrement, on rigole; une histoire plutôt dure, mais avec une telle douceur qu’on soit saisi de tremblements. Du théâtre, vous dis-je ».
Nous n’avons pu évidemment tout voir de cet échantillonnage présenté ce samedi et ce dimanche, et d’autres spectacles ne sont pas encore prêts comme ce R3m3, petite forme de Richard III, mise en scène par Thomas Jolly qui va monter  la pièce in extenso à l’Odéon dans quelques mois.
Pas d’illusions: ce genre d’initiative ne  pourra pas bouleverser le paysage théâtral français, mais et on l’a constaté plusieurs fois: loin d’un Ministère qui  a bien du mal à résoudre la lamentable affaire du licenciement de François Rancillac, loin des  intrigues parisiennes, loin des spectacles avec vedettes de  cinéma, à 35 € la place, existe aussi à Sevran, une offre exemplaire: proposer GRATUITEMENT des spectacles de grande qualité à des gens qui ne pourraient jamais pousser la porte d’un théâtre, faute de fric d’abord, faute de reconnaissance aussi.
Cela ne semble pas beaucoup préoccuper le Ministère de la Culture et l’Etat français. Vous connaissez le salaire mensuel de M. Luc Bondy, directeur de l’Odéon: plus de 16. 600 €…. Vous connaissez le budget d’une seule journée à l’Opéra de Paris: 457.703 €.
Mais on peut parier  que la ville de Sevran (50.000 habitants tout de même!) ne disposera pas, au lieu d’une salle des fêtes, d’un véritable théâtre avant longtemps.  Enfin, mêlez de ce qui vous regarde, du Vignal, vous n’avez rien compris, et les choses sont bien plus compliquées.
Allez, Liberté, Egalité, Fraternité, et vive la France! Une dernière pour la route, parue dans Cassandre et signée  Jacques Livchine, directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre  de l’Unité; il avait  reçu ces mots de M. Alain Chaneaux, ancien adjoint à la Culture de Montbéliard : « Parler de culture, c’est un coup à perdre les élections, on ne gagne jamais une élection, en mettant en avant la culture »…

Philippe du Vignal

Théâtre de la Poudrerie.  Direction: Valérie Suner. Pour tout renseignement: Cécile Purière. T: 01 41 52 45 30 ou Chloé Bonjean. T: 01 41 52 45 73

 

La Chienlit

La Chienlit texte et mise en scène d’Alexandre Markoff

 

Chienlit1Cette saison, le Théâtre 13 s’engage dans une véritable aventure : un feuilleton avec cinq épisodes d’une heure, de septembre à mai prochain, avec lequel il souhaite «renouer avec une certaine tradition épique du théâtre ».
 C’est donc un collectif, Le Grand Colossal Théâtre, avec douze comédiens, et sans vraiment de décor ni de costumes qui propose  une «série insurrectionnelle », avec pour cadre,  une ville qui pourrait être de la banlieue parisienne ou de province, avec son maire, son collège Victor Hugo, ses administrés qui se plaignent, et ses problèmes d’ordures ménagères.
 La première scène voit débouler les douze acteurs tous ensemble; ils prennent place autour d’une table. On ne comprendra que plus tard : dans un brouhaha indescriptible, ils parlent en même temps, et l’un d’eux nous offre un  discours très bavard, mais qui ne dit rien du tout, comme ceux auxquels on a tous assisté, Et toujours culpabilisant pour l’auditeur sur l’air de: «Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je me suis mal fait comprendre, ma fille de cinq ans pourrait comprendre  ça »!
Puis tout  dérive : les comédiens se mettent à faire un cercle autour de la table, deux  chorales  se forment et reprennent les phrases énoncées plus tôt ; bref, c’est un beau bazar qui donne lieu à des moments de théâtre très drôles, même si on ne comprend pas encore tout ce qui se passe.
  Paul Poupon, habitant de la résidence voit débarquer chez lui l’association des habitants mécontents,  sans qu’il ait prévu quoi que ce soit. Il cherche à remonter la filière pour savoir qui a organisé cette réunion sans l’avoir prévenu, et les gens s’installent dans son salon. La situation fait  bien sûr, penser au personnage du Château de Franz Kafka, victime de son destin. On ressent ce même sentiment  quand un peu plus tard, le maire se déplace en cortège pour trouver en vain  une salle de réunion: tout le monde est présent en même temps!
 Le texte bénéficie d’une écriture intelligente mais, malgré un rythme de jeu soutenu, certaines scènes n’évitent pas un humour un peu facile, et même si cela a l’avantage de plaire au public, cela gâche un peu l’aspect «saga dramatique» qui pourrait poindre. Et nous ne retrouvons pas  la tonalité des  Vivants et les morts de Gérard Mordillat qui avait une réelle intensité dramatique (voir Le Théâtre du Blog). Pour durer, il faut aussi savoir faire rire le public…
  Les comédiens sont dans l’ensemble très bons, mais on se demande comment ces épisodes pourront faire sens dans une série… Bien sûr, on finira par s’attacher à ces personnages et  on est curieux de savoir ce qu’ils vont devenir, comme dans n’importe quelle série de théâtre ou de télé.
Mais dans ce premier épisode, il n’y a pas vraiment d’attente, et la fin du spectacle, un peu abrupte, nous est signifiée par une scène qui fait très télé, avec des questions qui finissent par le traditionnel :  «Vous le saurez dans le prochain épisode de La Chienlit ».
Le découpage est aussi un peu curieux, avec cinq épisodes dont le premier durait à peine plus d’une heure !  Il aurait sans doute mieux valu en faire  moins mais un peu plus longs…
Le jeu est-il surtout de nous faire venir cinq fois au théâtre ? Et il n’est pas prévu de jouer une intégrale (mais le spectacle est à peine créé); c’est pourtant ce qui fait la force des vraies bonnes séries, et personne ne voit d’objection à aller voir un spectacle de neuf heures, quand, par exemple, il est signé  Wajdi Mouawad !
On reste cependant impatients quant à l’évolution de cette saga. Ce collectif a pris  avec courage un beau risque théâtral et nous aura mis en haleine. Le public jeune et nombreux a longuement applaudi les douze comédiens … Avant de les retrouver en novembre pour un deuxième épisode.

Julien Barsan

Théâtre 13 Seine. Premier épisode le 28 septembre (complet). Pour les épisodes suivants:   http://www.theatre13.com/

 

 

Le Cœur cousu

Festival mondial des Théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières.

 

Crédit photo Christophe Loiseau

Crédit photo Christophe Loiseau

Le Cœur cousu, d’après  le roman de Carole Martinez par le Théâtre de la Licorne, adaptation, mise en scène et scénographie de  Claire Dancoisne

 Avec des masques, objets et «comédiens marionnettisés », Claire Dancoisne met en scène un théâtre plastique et décalé. Mais l’art dramatique n’est-il pas toujours décalé ? La metteuse en scène est accompagnée dans cette aventure par Martha Romero  qui a conçu les masques, et par la sculptrice Anne Bothuon, qui joue avec des  matières troublantes: ouate, tissu et peinture.                        
 À l’origine, il y a le façonnement des volumes d’ouate, bridés et noués, comprimés et faits de fils et  cordelettes, puis recouverts ensuite d’une étoffe blanc gris. Un travail patient. Les marionnettes se  révèlent être des hommes et des femmes, conçus et construits de toutes pièces et mécanisées, à taille humaine, répliques vertigineuses des comédiens, manipulateurs à leur tour, et beaux interprètes qui, avec leur effigie respective, jouent aussi leur propre rôle.
Ces corps de chiffon forment la matière privilégiée de la sculptrice couturière, une cérémonie en mouvement, une parade de vivants et de morts, de morts-vivants Pour le Théâtre de La Licorne, la mise en scène du roman de Carole Martinez, Le Cœur cousu, tombe à point  nommé : points de broderie et points de fil d’or.
 Le titre éponyme tisse la matière romanesque de la scène aux sens propre et figuré, filant la métaphore de la couture féminine: ciseaux, aiguilles et fils de couleur,  avec une prédilection pour le rouge: passion, émotion, douleur, fruits et naissances, feu de la vie animée qui circule toujours.
Au départ, tout était blanc et sec pourtant, brûlant sous le soleil du Sud de l’Espagne où rien ne pousse, si ce n’est la dureté et la rigidité d’une pensée étroite qui s’en tient aux préjugés et menaces d’une religion catholique omnipotente. Les brancards des pardons pour les processions de la semaine sainte, par exemple, sont significatifs: à la fois magnifiques, ils sont ciselés et faits de métal ouvragés comme de la dentelle, avec des bougies dorées  mais terrifiantes, signes d’une violence déterminée et tyrannique.

   Les mères vêtues de noir et et à aux  mantilles sombres, sont des veuves à vie  frayant à jamais avec la mort, si elles avaient prétendu une fois à vivre, pourtant. Une seule résiste à l’oppression et au joug, Frasquita Carasco, une jeune fille vive, puis une  jeune mère spontanée aux doigts de fée, douée d’un art de coudre et de réparer les vivants à nul autre pareil, recousant, rattrapant les mailles, faufilant, surfilant, rapiéçant, reprisant, ourlant les âmes et les cœurs, donnant plus de sentiment à un tel, plus d’émotion à tel autre, grâce au dessin du geste et à la portée de la parole.
Une manière libre d’imposer une part non négligeable de l’humanité dans le paysage existentiel, à travers l’astuce, puisqu’il est plus ardu pour la femme, depuis la nuit des temps, de se faire entendre sur les scènes intimes, familiales et publiques du monde.
Le Théâtre de la Licorne réussit avec le beau travail choral d’Olivier Brabant, Nicolas Cornille, Gaëlle Fraysse, Gérald Izing, Florence Masure, Gwenaël Przydatek et Maxence Vandevelde, à faire surgir la dimension merveilleuse des contes…

Véronique Hotte

Spectacle vu le 20 septembre. Pour tout public dès 11 ans.

 

 

Célébration Yves saint Laurent film d’Olivier Peyrou

Célébration, un film  d’Olivier Meyrou

 Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel ont eu la bonne idée pour ouvrir la saison du Monfort de présenter un film remarquable tourné par Olivier Meyrou  de 1998 à 2001,  et qui retrace  la vie de la mythique maison de couture d’Yves Saint Laurent. Le cinéaste a aussi été le dramaturge du spectacle Acrobates et a mis en scène La petite fille aux allumettes, l’an passé à la Comédie-Française (voir Le Théâtre du Blog).
  Le film  est comme une incursion dans la vie de la célèbre maison d’Yves Saint Laurent et de son équipe de création: administratifs, couturières expertes, mannequins souvent africains ou asiatiques (chose absolument révolutionnaire à l’époque!), réalisateurs de présentations de collection, etc… Tout cela sous l’œil impitoyable de Pierre Bergé, son ami attentif au moindre détail, impitoyable et parfois très coléreux, le protégeant de tout ce qui pouvait nuire à ses créations.
Yves Mathieu-Saint-Laurent, dit Yves Saint Laurent, était né en 1936 et est mort à 71 ans d’un cancer du cerveau, en 2008. Il avait présenté sa première collection haute couture  en… 1962 ;  c’est lui aussi qui, très influencé par l’art du XXème siècle, créa sa célèbre robe Mondrian et ses robes pop-art. C’est lui aussi qui imagina de faire porter le tailleur/ pantalon, de merveilleuses cuissardes et des blouses transparentes aux jeunes femmes de son époque… Créant à l’époque un véritable choc!
  Chose aussi innovante, il ouvrit en 1966, une boutique de prêt-à-porter: Saint Laurent Rive gauche à Paris puis à New York et Londres. Il  créa aussi  des costumes pour le théâtre (Claude Régy, Jean-Louis Barrault, la danse (Roland Petit), et le cinéma (Luis Bunuel, François Truffault, Alain Resnais…).
En 1974, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé installent leur maison de couture  avenue Marceau à Paris. Trente quatre ans plus tard, le couturier mettra en scène trois cents mannequins sur la pelouse du Stade France à l’occasion de la Coupe du monde de football…
Mais en 2002, il annonce qu’il met fin à sa carrière! « Je suis passé par bien des angoisses, bien des enfers, j’ai connu la peur et la terrible solitude, les faux amis que sont les tranquillisants et les stupéfiants, la prison de la dépression et celle d’une maison de santé, pourtant j’ai choisi aujourd’hui de dire adieu à ce métier ».

 Un défilé rétrospectif retracera au centre Georges Georges Pompidou, quarante années de création, dont sa dernière collection Printemps-Eté 2002; deux films biographiques ont été réalisés depuis sa disparition: l’un de Jalil Lespert, avec  Pierre Niney  et Guillaume Gallienne, adoubé par Pierre Bergé. L’autre de Bertrand Bonnell avec Gaspard Ulliel (qui joue actuellement dans Démons, voir Le Théâtre du Blog) mais désapprouvé par Pierre Bergé, et qui traite davantage de la vie privée du couturier après 1967…
  Le film, lui, ne se veut pas du tout biographique, et c’est en cela sans doute que cet album  est très honnête et formidablement réussi : ce sont souvent de courts dialogues et/ou des images en noir et blanc et en couleurs,  presque brutes de décoffrage, pleines d’émotion, quand on voit, par exemple, ces deux anciennes ouvrières et  Pierre Bergé qui reviennent dans les ateliers désormais vides, ou regardent, éperdues d’admiration, une des collections, et visiblement amoureuses de leur patron… Comme son gros chien court sur pattes qui le suit sans cesse.
  On voit aussi souvent Yves Saint Laurent, travaillant sur ses modèles, pétri d’angoisse, devenu assez enveloppé et voûté, épuisé et visiblement au bout du rouleau mais encore passionné par ses créations. Ce que fait bien sentir Olivier Meyrou, c’est tout la créativité mais aussi la dimension tragique du grand créateur, en proie à de fréquentes dépressions, sans que rien ne soit jamais dit sur son homosexualité,  et sa vie privée qui, on le sait, n’a souvent rien eu de merveilleux… Et c’est bien ainsi.
  Et il y a aussi dans ce film, cette merveille de chorégraphie au stade de France, avec trois cents mannequins en vêtements inspirés entre autres par Matisse, Mondrian, Picasso… marchant sur la musique du Boléro de Maurice Ravel, pour former, à la fin, le fameux sigle fait des lettres entrelacées: Y S L…
  Si vous pouvez voir ce documentaire exceptionnel, n’hésitez pas…

Philippe du Vignal

Film vu au Monfort le 14 septembre.

 http://www.dailymotion.com/video/xcl277

 

Démons à partir de Lars Noren

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©Pauline Le Goff

Démons, librement inspiré de Lars Norėn, traduction de Louis-Charles Sirjacq et Per Nygren, adaptation, conception et mise en scène de Lorraine de Sagazan

  “Au fond, c’est une banale histoire entre un homme et une femme. Murés, dit Lorraine de Sagazan, dans l’appartement qu’ils avaient pourtant choisi pour être au monde; à deux. Et puis le temps. Maintenant, il faudrait sortir d’ici. Plus de force?! Ou bien qu’ils s’aiment. Je ne sais plus. Ils frappent et se débattent. Pour créer du mouvement. Pour se sentir vivants. C’est d’un ordinaire. Si, si je vous assure. C’est vraiment dégueulasse.”
  La jeune metteuse en scène a décidé de se réapproprier la pièce de Lars Norėn, mise en scène aussi et en même temps au Théâtre du Rond-Point par Marcial di Fonzo Bo. En se posant les bonnes questions quant à la notion de spectacle vivant, c’est à dire se déroulant en direct devant un public. A savoir: que produit ce direct? Pourquoi un mur entre acteurs et public?  Pourquoi va-t-on au théâtre qui n’existerait pas, sans cet acte unique et sublime de gens qui ne se connaissent pas?
  Du scénario de Lars Norėn, (voir Le Théâtre du Blog) où “un couple semble avoir besoin comme ultime recours à leur ennui et à leur violence de se donner en spectacle à un couple de voisins qu’ils invitent mais qu’ils connaissent à peine”, Lorraine de Sagazan le dit avec honnêteté: elle ne retient ici qu’une partie seulement des dialogues et les modifie. Elle y voit surtout la possibilité d’une mise en abyme: il n’y a plus ici deux voisins invités mais l’ensemble des spectateurs, qui se retrouvent donc ainsi au centre du jeu. Ce qui modifie à la fois, la texture des situations et des dialogues. Lucrèce et surtout Antonin restant les protagonistes de ce conflit amoureux.
  Donc, une scénographie bi-frontale avec, dans le fond de la scène, quelques bancs. Au milieu de la petite scène, plus de lit mais un fauteuil, un miroir et accrochés aux cintres par des chaînes, quelques robes et hauts pailletés, et évidemment une table roulante avec nombre de bouteilles d’alcool. Tous les acteurs sont jeunes et comme chez Macha Makeieff et Jérôme Deschamps, appelés par leur véritable prénom: Lucrèce et Antonin, Jeanne  et Benjamin…
 Et cela fonctionne? Pas à tous les coups mais Lorraine de Sagazan a le courage de prendre des risques et on sait que les impros en direct avec des spectateurs sont souvent casse-gueule. Cela dépend donc des soirs. Par ailleurs, la dimension érotique de la pièce a presque été éliminée, c’est dommage:  cela donne en effet un côté un peu sec et démonstratif au texte dont les dialogues ont été fortement retravaillés.
Le spectacle a cependant le mérite d’être très vivant et le rapport que  la metteuse en scène tente de créer avec le public est juste, à partir d’un texte bien connu du XXème siècle mais déjà un peu daté. Les lumières, costumes  et  maquillages auraient mérité d’être beaucoup plus étudiés: c’est à l’évidence fait avec pas grand chose, donc on pardonne.

 Mais il y a une bonne direction d’acteurs; Antonin Meyer Esquerré mène le bal avec une grande maîtrise et  une rigueur exemplaire: son maître au Conservatoire, Andrszej Seweryn aimerait bien cette approche du personnage et la façon d’aller sans filet au devant du public. Ses copains, Lucrèce Carmignac, Jeanne Favre et Benjamin Tholozan sont tout à fait crédibles, notamment dans une scène magistrale que l’on ne vous dévoilera pas,  très bluffante, et qui rend encore plus grande l’acuité de la situation où se trouve Jeanne, la jeune femme invitée.
  Sans doute Lorraine de Sagazan, dont c’est la seconde mise en scène, pourrait-elle aller plus loin dans cet essai de réappropriation scénique du réel et des comportements humains, tels qu’elle les réinterprète à partir du texte de Lars Norėn. Mais le spectacle devrait se bonifier.
C’est en tout cas, un travail intelligent et fin, qui mérite le détour, si vous voulez voir de quel bois est fait le nouveau théâtre contemporain…

 Philippe du Vignal

Théâtre de Belle Ville, jusqu’au 22 novembre. T: 01 48 06 72 34

 

 

Chute d’une nation

Chute d’une nation, une série épique et politique en quatre épisodes, texte et mise en scène de Yann Reuzeau

cdn-d-mc3a9rigou-s-vonlanthen-l-moguezCette épopée en quatre épisodes, brossée par douze acteurs, commence à treize heures pour se terminer après  vingt-deux heures. Pendant tout ce temps, et malgré des longueurs, on est happé par la justesse et l’actualité du propos.
La pièce relate l’ascension politique de Jean Vampel, député catholique, intègre et travailleur. Opposé à l’avortement, il fera mine de renier sa foi pour se présenter à l’élection présidentielle, comme candidat de l’Union de la gauche.
Il ne le voulait pas, pensant qu’il n’avait aucune chance mais, poussé par son ambitieuse attachée parlementaire, il accepte et la nomme sa cheffe de campagne. Aux primaires, il doit affronter Perquis, du même parti que lui, revenu sur la scène politique après dix ans d’inéligibilité. On se bagarre pour la constitution de l’équipe de campagne. Beaucoup de personnalités sont compromises : « Il n’y aura plus de grand parti de gauche avant très longtemps (…) On est en train de couler tous ensemble », déclare l’une des égéries de Jean Wampel.
Dans un débat télévisé serré entre deux rivaux, on entend les propos invraisemblables de son adversaire : «Je veux raser les banlieues, elles sont incontrôlables, chaque jour rend plus difficile la sortie de crise ! » Wampel, lui, a fondé son programme sur la suppression des écoles privées, alors que ses propres enfants y ont été élevés. Il déclare aussi : «Je ne supporte plus de voir des entreprises françaises armer des dictatures ! ».
  Pendant que tout le monde se déchire pour accéder au pouvoir, un attentat spectaculaire bouleverse le pays et, au milieu de la confusion face à un populisme exacerbé par les événements, c’est finalement Wampel qui prend la tête de la gauche pour les présidentielles.
Le spectacle se termine alors que, devant la montée inéluctable de l’extrême-droite, on lui propose, en dernier recours, de truquer les élections… L’intrigue, complexe, ne permet pas vraiment de saisir les enjeux et les partis-pris dramatiques de cette fiction politique, interprétée par une solide équipe d’acteurs qui ne faiblit jamais.
Malgré une baisse de tension dans le troisième épisode Chaos, cette Chute d’une nation a de troublants accents de vérité.
Comment après avoir gagné des élections, ne pas renier ses promesses de campagne? N’est-ce pas ce que les électeurs de gauche, de la France à la Grèce, sont en train de vivre ?

 Édith  Rappoport 

Théâtre du Soleil jusqu’au 11 octobre. Cartoucherie de Vincennes. T : 01 43 74 24 08. Et aussi en semaine, De l’Ambition de Yann Reuzeau, (voir Le Théâtre du Blog du 9 septembre).

 

Le Mouffetard, Théâtre des arts de la marionnette/ saison 2015/2016

Le Mouffetard, Théâtre des arts de la marionnette/saison 2015-2016

  Enfin, installé depuis trois ans dans un lieu permanent, le Théâtre de la marionnette offre une saison reflétant la grande diversité de cet art et s’adressant à des publics variés. Dès le 30 septembre, les adultes apprécieront Fastoche de Pierre Tual. Seul en scène, il manipule son double marionnettique, face à deux grandes figures également portées auxquelles est confronté ce trentenaire en crise.Un humour qui s’annonce grinçant.(jusqu’au 22 octobre.)
  x179_4312-photos-quefaireaparis14Dans la tradition de marionnette à gaine chinoise, Yeung Faï, entourés de tous ses minuscules personnages, invite grands et petits à une traversée dans l’histoire de son pays avec Tea House (voir Le Théâtre du Blog : Pyka Puppet Festival). (du 5 au 29 novembre.)
  Pour le très jeune public, Damien Bouvet se métamorphose en clown masqué qui manipule accessoires et objets,  et les transforme les éléments du quotidien en personnages incongrus et bigarrés. Dans les deux spectacles qu’il propose, les mots sont, pour lui, superflus ; il parle avec son corps. (La Vie de Smisse, du 9 au 30 décembre  et Abrakadubra, du 1er au 6 décembre.)
  x179_0a5a-photos-quefaireaparis08Colette Garrigan a, comme tout bon Britannique, baigné dans Shakespeare depuis sa plus tendre enfance, et  se risque à interpréter Macbeth du point de vue de la Reine sanglante. Interrogeant la relation des femmes au pouvoir, au mal et à la culpabilité, elle crée un univers inquiétant et insolite, grâce à des jeux d’ombre et de lumière sur des objets emblématiques. Lady Macbeth , la Reine d’Ecosse promet de belles images. (du 14 au 31 janvier).
x179_4fb7-photos-quefaireaparis06On retrouvera avec plaisir l’univers exotique de Roland Shön dans une nouvelle aventure : La Ligne â. Un autobus fantasque emprunte des chemins de traverse et, de station en station, l’on rencontre d’étranges personnages, sur des îles lointaines ou hors des sentiers battus. L’artiste trace une cartographie du monde extravagante, inspirée de l’œuvre graphique multiforme et inventive de Saul Steinberg. (du 3 au 13 février.) Quelle bonne idée que de reprendre Les Trésors de Dibouji,  un ancien spectacle, présenté plus de mille fois depuis 1996 ! Associant texte et images, Roland Shön propose d’explorer, en ethnologue, et à la lumière de bougies, les trésors amassés par des enfants : tous ces petits riens prennent une dimensions mythiques, d’autant qu’ils sont menacés de disparition. (du 16 au 28 février.)
hans-christian-you-must-be-an-angel-crédit-morten-fauerby03Les contes pour enfants sont souvent cruels, comme nous le montrera Bodil Alling dans Hans Christian, you must be an Angel. Le collectif vient spécialement d’Aarus, à l’est du Danemark, pour célébrer, avec le public français, l’anniversaire d’Andersen lors d’un festin insolite (du 7 au 10 mars.)
De même, convoquant Alphonse Daudet, Luc Laporte a commandé à Sandrine Roche une pièce, Ravie, sur les autres chèvres de Monsieur Seguin qui, à l’instar de la dernière, Blanquette, ont toutes fini dévorées par le loup. Images et marionnettes raconteront comment ces êtres ont choisi la liberté, au prix de leur vie. (du 1er au 14 avril.)
Les spectacles s’installeront assez longtemps, afin de fidéliser le public,  et  une exposition accompagnera chacun d’entre eux. Le Mouffetard dispose, en outre, d’un centre de ressources où l’on peut trouver documents et pièces de théâtre.

Mireille Davidovici

Le Mouffetard, 73 rue Mouffetard Paris 5 ème; T: 01 84 79 44 44 ; www.lemouffetars.com

 

Au-dehors

Au-dehors, texte et mise en scène d’Alain Ubaldi

  au-dehors-dr Ce matin-là, il se prépare à aller à son travail. Rien d’extraordinaire à cela. En chemin, un accident de la circulation: une femme lui est tombée dans les bras. Dix minutes de retard à son poste. Ce matin-là, et pour la première fois depuis dix ans qu’il travaille dans cette boîte, le patron circule dans l’entrée et croise le retardataire qui est est aussitôt licencié.
  Se joue alors un huis-clos en solo de cet homme exclu du monde, qui s’en invente un autre, autistique, plus réel et plus angoissant que le réel, plus oppressant encore. Jusqu’à en perdre le langage.  D’entrée de jeu, il écoute ses propres enregistrements « d’avant », ressassant son histoire, et le meurtre de son chef.
 Lentement, très lentement, il revit les moments ultimes de son exclusion et se perd dans l’inconscience d’un autre autre monde, clos, entouré de fenêtres qui s’allument et s’éteignent autour de lui. Au centre d’un univers quotidien et pourtant carcéral, il se réapproprie alors la parole, se heurtant à toutes les difficultés possibles, comme s’il devait reconnecter sa mémoire, dans un échange impossible, avec un interlocuteur imaginaire, qui est en fait le public.
Repassant par l’enfance, il revoit son drame, le revit, s’en aliène, l’accepte, comme le monde où il vit et où nous vivons. Que faire d’autre en effet, sinon accepter, telle une fatalité, l’absurdité de la violence du monde ?

 En réalité, il s’était préparé comme chaque matin, et s’était menti à lui-même, se sentant un homme parmi les hommes, simple et ordinaire, complexe et extraordinaire comme chacun d’eux. Et tout a basculé. Mais il fallait l’accepter…
  La mise en scène laisse toute la subtilité du texte affleurer, entre l’enfermement et l’au-dehors : finalement, cet être déchiré par cette opposition, peut-être rêve-t-il , mais en sommes-nous si sûrs ? La vidéo (Jean-Pierre Lenoir) de la première partie offre une image magnifique de cette opposition : les fenêtres des immeubles voisins sont bien extérieures, et constituent cet espace d’enfermement où le personnage que joue Stéphane Schoucroun, est isolé et replié sur lui-même.
 Dans une opposition dedans-dehors… Et même, quand à la fin, la fin il quitte sa cellule pour venir au-devant du public, il reste encore enfermé dans une implacable logique d’aliénation.  Stéphane Choucroun sait rendre toute la singularité de l’écriture, en incarnant à la perfection cet homme perdu qui balbutie dans un monde bruyant que, paradoxalement, l’on n’entend pas ici…

Serco Aghian

Théâtre de Belle Ville, passage Piver, (au 94 rue du Faubourg du temple)  Paris 11ème. T:  48 06 72 34,  jusqu’au au 6 octobre, les lundis à 21h15 et les mardis à 19h30. Rencontres après les représentations des lundis 21, 28 septembre et 5 octobre.

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