Festival de La Mousson d’Eté, vingt-et-unième édition: écrire le théâtre d’aujourd’hui, direction artistique de Michel Didym
Ecrire, c’est un peu une façon d’arrêter le temps. La Mousson d’Eté, festival consacré aux écritures dramatiques contemporaines, offre à la fin août une dernière escale poétique avant la rentrée. Un temps, d’écoute et de découvertes, où, dans notre société, savoir prendre son temps et être attentif ne sont plus vraiment à la mode. La Mousson d’Eté, c’est aussi un lieu : l’Abbaye des Prémontrés, à Pont-à-Mousson en Lorraine.
C’est dans ce splendide édifice religieux que, depuis plus de vingt ans, se rencontrent et débattent à propos de l’écriture théâtrale contemporaine, auteurs, metteurs en scène, comédiens, universitaires et public venus des quatre coins du monde. C’est sans doute, excepté celui d’Avignon bien sûr, un des seuls festivals français, qui se consacre aux écritures théâtrales d’aujourd’hui, et où le public et les professionnels se parlent.
Cet été, la programmation de cette Mousson 2015 s’est déroulée sous le signe d’une écriture dramatique en résonance profonde avec les bruits du monde d’aujourd’hui, chant souvent tragique : violence, pouvoir assassin de l’argent, influence tyrannique des nouvelles technologies, misère mais aussi rêves, puissance de la poésie et de l’imaginaire, statut de la femme et ses luttes, la figure de l’étranger, du marginal, bref le combat pour survivre.
Des textes d’auteurs venus de toute l’Europe, du Québec, des Etat-Unis, du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord offraient au public des lectures d’une grande diversité de forme, et dans le traitement politique et poétique des sujets. Les pièces ont donné lieu à des mises en espace, toutes étonnantes avec des acteurs et musiciens, tous formidables dont David Ayala, Quentin Baillot, Anne Benoît, Sophie Cattani, Louise Coldefy, Laetitia Lafforgue, Daniel Laloux, Odja Llorca, Charlie Nelson, Philippe Thibault, Stéphane Varupenne, Gérard Watkins…
Ils ont très peu de temps pour répéter, et, texte en mains selon le principe de ce festival, passent d’une mise en espace à une autre, comme si de rien n’était. Laissant cette impression au spectateur que, seule, la magie du théâtre opère et donne à l’interprétation, subtilité, grâce et présence.
Lectures parfois très sobres, ou plus sophistiquées mais toujours prégnantes de théâtralité. Sobre, comme celle de 100 de Philippe Minyana (une vision kaléidoscopique en cent fragments de la vie dans les courées des habitants pauvres de Roubaix), une pièce documentaire sur un sujet sensible et violent, transfiguré par la poésie, et une écriture théâtrale forte en émotions et informations culturelles et sociales.
Lecture par l’auteur et par Michel Didym, debout derrière leur chaise à l’avant-scène; dont la force résidait dans le placement et le jeu des voix. Le rythme laissait jaillir toute la tension dramatique, musicale, si importante pour saisir la richesse et le sens profond de la prose de Philippe Minyana.
La forte complicité dans le «dire» entre ces deux acteurs s’emparant avec virtuosité de cette écriture si singulière, notamment dans son phrasé, fut un des beaux moments de théâtre, plein d’émotion, d’humour sur la réalité terrible de la condition ouvrière dans les années 1970, mais très humaine aussi. 100 fut écrit en 2003, à la suite d’une commande de la mairie de Roubaix, et a gardé toute sa puissance. Elle s’intégrait parfaitement aux écritures plus récentes proposées ici…
Ces belles découvertes entretiennent chaque jour une véritable attention chez les spectateurs et maintiennent leur désir de continuer cette traversée théâtrale, à travers lectures, débats, mises en scène (peu nombreuses), impromptus et musique l’après-midi et la soirée.
Insistons sur les nombreux textes où la figure de la femme était présente, et multiple, comme avec cette lecture, dirigée par Laurent Vacher, de Programme 1 : Linge Délicat de Roukaya Benjelloun, auteure marocaine. Un récit dialogué entre deux femmes qui se retrouvent seules dans la laverie d’une ville anonyme et qui, après un moment de silence et d’observation, se mettent à parler ensemble, au rythme des tambours des machines .
Djamila la vulnérable, a été abandonnée par son mari, et Floriana, l’exilée qui a quitté le Kosovo en guerre, sont pour l’auteur l’expression de la femme, dans son intimité, son rapport social et ses luttes quotidiennes dans les pays du Maghreb, mais pas seulement, précise Roukaya Benjelloun, pour exister, acquérir son indépendance, et surtout prendre conscience de cette dignité à conquérir ou à reconquérir !
Dirigée par Véronique Lagarde, Les Petites Chambres du syrien Wael Kadour, évoque le destin d’une femme jeune, recluse et vivant auprès de son père mourant. Mais il faut se méfier de l’eau qui dort: elle va tout d’un coup se révéler manipulatrice… La pièce est un ravissement, de par sa construction dramatique.L’intelligence du point de vue de l’auteur sur le monde arabe, la société de son pays et ses fonctionnements ne cesse de nous surprendre : une tragédie contemporaine, au sens éthique et esthétique du mot.
Et toujours, dans ces portraits de femmes, celui de la pilote de chasse de F16 dans Grounded de l’américain Georges Brant, qui reprend son service après son accouchement mais qui ne pourra plus vivre le vertige et l’éblouissement du bleu du ciel: c’est désormais de la terre qu’elle devra piloter son nouvel avion : un drone. A noter aussi Dans les yeux du ciel du français Rachid Benzine. Ces deux mises en espace étaient dirigées par Michel Didym, avec pour Dans les yeux du ciel, la remarquable interprétation d’Odja Llorca.
Mameloschn de Marianna Salzmann, auteur allemande, nous emmène à la rencontre d’une famille juive: trois générations, et des conflits et incompréhensions où s’affrontent la petite et la grande Histoire….
Autre espace, autre culture, autre histoire: celle des sans-famille, avec L’Ile Saline du Québécois Daniel Danis. Merveille et enchantement des mots, hymne à la poésie et à l’imaginaire, à travers, ce qui peut paraître paradoxal, le récit d’une tragédie qui se passe de nos jours à Haïti. Une pièce qui traite de l’abandon, du langage et où les femmes sont aussi à l’honneur: ces orphelines portent le nom de cinq grandes villes du monde : Caire, Delhi, Kiev, Kyoto, New York …
Daniel Danis précise: « Le mot «images» dans les didascalies, fait référence à l’atmosphère, à de possibles projections (vidéo, photo, ombres, etc…), ou suggère des lieux et personnages pouvant aller de la lumière à la sculpture. Tout est ouvert, pourvu que les mots aériens et liquides trouvent leur ancrage dans un certain réel ». Le texte musical est de toute beauté, et comme dit le sous-titre, c’est un Théâtre musical pour cinq voix et un chœur de jeunes filles aussi.
Et pour continuer d’être encore ailleurs, entre rêve, absurde et réalité, il suffisait d’embarquer dans le beau camion de la Compagnie KTHA dont le spectacle créé à Paris (voir Le Théâtre du Blog) permet d’écouter tout en traversant lentement la ville de Pont-à-Mousson, un monologue intérieur, récité par trois comédiens étonnants qui expriment les souhaits d’un rêveur conscient qu’il ne lui reste que quelques minutes avant le réveil! Les piétons surpris interpellaient les spectateurs pensant qu’ils étaient aussi les acteurs de cet événement.Moment loufoque, drôle, où, là encore poésie et théâtralité s’emparaient de la performance !
Autres pépites de ce festival, la qualité des rencontres avec les auteurs, intitulées C’est l’auteur qui décide . Entre deux lectures, le promeneur-spectateur selon son désir, pouvait partager ces moments atypiques, d’une grande sincérité, souvent émouvants et denses intellectuellement et artistiquement, bien loin parfois de ces rencontres décevantes avec les écrivains…
Pour conclure en fanfare et poésie, le soir, un jour sur deux, vers 22h, chacun avait, selon son humeur, le bonheur de partir Loin de la terre avec les merveilleux et étranges Eve Bonfanti et Yves Hunstad, ou de se laisser emporter par le son du tambour et les mots de l’extravagant poète-musicien Daniel Laloux, p^remière médaille de tambour du Conservatoire de Reims…
Et avant de se lancer sur la parquet de bal, nous tendions l’oreille pour entendre, Les Impromptus de la nuit, des nouvelles du monde écrites à l’Abbaye des Prémontrés par un artiste de La Mousson d’été, qui est un écho poétique et théâtral formidable du monde actuel, mais aussi un lieu de rencontre remarquablement orchestré par tous ceux qui l’animent pour mettre en lumière le théâtre contemporain et ses créations, ses auteurs….
Elisabeth Naud
La Mousson d’été 2015 a eu lieu du 21 au 27 août à l’Abbaye des Prémontrés de Pont-à-Mousson, Lorraine. T: 03 83 81 20 22.
