On ne bouge plus de Rémy Berthier

On ne bouge plus conçu et interprété par Rémy Berthier.

 

MP-310114-075-edLa compagnie Le Phalène dont le directeur artistique est Thierry Collet, propose des spectacles de magie et de mentalisme depuis de nombreuses années.
Avec toujours un savant mélange de réel, de philosophie et parfois même d’une petite dose de fantastique,  Thierry Collet prend un malin plaisir à nous perdre, à effacer nos repères, à nous faire prendre part à des expériences de groupe pour mieux nous démontrer ensuite quels subterfuges il utilise pour nous amener dans sa direction. En nous dévoilant ces processus, il cherche aussi à nous prouver comment d’autres, dans la vie de tous les jours, les utilisent à nos dépends.

  Devant le succès grandissant de ses créations, il commence à déléguer ces spectacles, comme On ne bouge plus que Rémy Berthier a conçu,  avec l’aide pour la mise en scène, de Jade Duviquet.
Le public prend place dans un gradin semi-circulaire; Rémy Berthier nous souhaite la bienvenue dans son atelier de taxidermie, et nous explique cette passion qui consiste à redonner vie aux animaux qui ont été chassés ou qui ont partagé la vie de leurs propriétaires.
 Il pense que le public est venu avec un animal, bien sûr, décédé depuis moins de  quarante-huit heures, sinon c’est trop tard pour la taxidermie… Il récupère sous un siège une mallette d’où il tire un lapin mort (faux!) qu’il va tenter de naturaliser en nous expliquant les différentes étapes et notamment comment conserver les fameux 21 grammes de l’âme de l’animal.
Bien sûr, cet atelier de travail s’emballe et la magie fait peu à peu son apparition. On y retrouve des tours classiques comme la carte à découvrir, le mot dans un livre pris au hasard par un témoin que Rémy Berthier va aussi trouver, la disparition/réapparition dans une caisse), des tours plus liés au mentalisme (on nous demande de fermer les yeux et d’imaginer une scène précise que la plupart du public visualise de la même façon) et d’autres plus spectaculaires (le couteau dans le bras, le fil sorti de l’œil, le feu sur la peau et la marche sur du verre).
Le thème de  la taxidermie est évidemment une mine pour développer l’écriture de Thierry Collet : l’idée de la mort, l’attachement à un animal, cet inconnu qui est un être vivant, si loin mais si proche de nous…
   Rémy Berthier n’hésite d’ailleurs pas à devenir animal et tente aussi de se naturaliser lui-même. Il est accompagné d’un assistant, Yann Struillou, qui ne manque pas une occasion de le mettre en difficulté, allant même jusqu’à tenter de lui faire boire du white-spirit, ou de le laisser enfermé dans la caisse… On sent un vieux contentieux entre les deux personnages !
Ceux qui connaissent déjà le travail de Thierry Collet ne seront pas étonnés par ce spectacle, même s’il n’est qu’ «accompagnateur au développement du projet» dont  Rémy Berthier est le concepteur et l’interprète, mais on sent bien ici la patte du créateur de Qui Vive ou d’Influences.
  L’agrégat de techniques de magies déjà connues et expérimentées dans ses autres spectacles ne prend pas toujours, et tient parfois d’un enchaînement de tours qu’il doit  placer dans le temps du spectacle. Il y a aussi l’abondance du propos, philosophique et aux frontières avec le réel : on ne sait plus alors très bien où l’on navigue et on perd  parfois le fil de la pensée du personnage malgré une interactivité très soutenue.
Ceux qui découvriront cet univers seront peut être un peu perdus mais aussi surpris par l’abondance de tours, sur ce créneau, encore assez original qu’occupe Thierry Collet et sa compagnie Le Phalène.
Même si  On ne bouge plus n’est peut-être pas son meilleur spectacle, il reste un artiste magicien en constante recherche, et occupe une place à part sur la scène actuelle.

Julien Barsan

Spectacle vu à la Ferme du Buisson. 

http://www.lephalene.com/

 


Archive pour octobre, 2015

Home de David Storey

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Home  de David Storey, traduction d’Hazel Karr, adaptation et mise en scène de Gérard Desarthe   

 On se  trouve aussitôt face à l’unique décor : un intérieur indéfini et gris qui pourrait se situer aussi sur un terrain vague; deux chaises, une table, quelques accessoires et des fleurs… Où sommes-nous ? Cette interrogation, tout comme ces deux brèves répliques: «Ah oui! », «Vraiment» qui reviennent en leitmotiv dans la bouche de Harry et Jack, paradoxalement en dit long sur cette pièce d’une grande densité où le metteur en scène met en lumière des espaces inarticulés et fugaces, enfouis dans le texte.
Le public, petit à petit, se laisse prendre au jeu et aux discours de ces cinq individus. Dans cette dramaturgie, ce sont des glissements de paroles ordinaires, fragiles et décalées sur  l’amour, la solitude,  la mort, la souffrance, et la folie …

Le spectacle commence avec un bruit d’hélicoptère, et ce n’est pas l’entrée remarquable de Harry (Gérard Desarthe) puis de Jack (Pierre Palmade), qui va éclaircir la conscience du spectateur! Suit en effet une  conversation anodine en apparence entre ces deux hommes, à la quarantaine bien avancée, mais qui nous installe progressivement dans un univers de dérision au rythme décalé, où résonne l’écriture de David Storey….
Ce choix dramaturgique du  metteur en scène,  intelligent et fidèle à l’univers de l’écrivain anglais, est bien mis en valeur par la scénographie pertinente et les costumes de Delphine Brouard, et les maquillages  très réussis de Suzanne Pisteur.

  Avec subtilité, cette création nous entraine dans un univers à la fois loufoque et glacé. Harry (Gérard Desarthe), Jack (Pierre Palmade), puis Kathleen (Carole Bouquet), Marjorie (Valérie Karsenti), Alfred (Vincent Deniard), une bande de mélancoliques désespérés, sont drôles et touchants.
Inadaptés ou trop lucides, entre clowns tristes et/ou beckettiens, comme venus de nul part, ils sont bien enfermés dans un asile psychiatrique. A eux seuls, comme pour résister à l’enfermement, à la solitude et à l’angoisse, ils vont créer leur monde, à l’intérieur même de ce monde hostile.
Gérard Desarthe qui a adapté cette pièce écrite en 1970, nous parle de ce milieu qui effraye toujours et encore, avec une humanité et un humour très british. Il l’a mis en scène de façon sensible et poétique, et le public sourit plus qu’il ne rit vraiment: ici, quelque chose de bouleversant  prend forme, de manière indicible…

 Elisabeth Naud

Spectacle créé au Théâtre Montansier de Versailles le 9 octobre ; actuellement au Théâtre de l’Oeuvre 55 rue de de Clichy 75009 Paris. T: 01 44 53 88 88  jusqu’au 20 décembre.

 

 

 

La Cerisaie d’Anton Tchekhov

La Cerisaie d’Anton Tchekhov, traduction de André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Gilles Bouillon

 

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© Guillaume Perret-Lundi13

À la manière d’un manifeste esthétique et humaniste,  Anton Tchekhov, parle dans se dernière pièce  d’un ordre ancien qui bascule dans le vertige d’un autre jamais connu.  Un monde  tiraillé entre passé et avenir, mais aussi un paysage mental impressionniste que révèle avec raffinement la création chorale de Gilles Bouillon. La pièce délivre, par bribes, les aveux  d’un auteur lucide et visionnaire quant au sens de l’Histoire:des Russes bien nés, sont restés longtemps aveugles aux bouleversements économiques en cours  qui laissent présager une mutation libérale à laquelle mettra fin la Révolution bolchevique.  

Ces russes cultivés sont pourtant incapables d’ouvrir les yeux sur l’iniquité d’une société figée de maîtres et de valets, même ces  anciens serfs ont gagné, il y a peu, une liberté dont ils avaient toujours été privés.L’étudiant Trofimov (Antonin Fadinard) parle de ses contemporains, dépassés par leur époque : «Ils disent qu’ils font partie de l’intelligentsia, et ils tutoient leurs domestiques. Ils traitent les moujiks comme du bétail, ils négligent leurs études, ne lisent rien avec sérieux, restent à se tourner les pouces, ne font de la science qu’en parlotte, n’entendent rien à l’art. Tous sont sérieux, tous ont des visages graves… » Cette génération se refuse à voir une modernité irréversible qu’assume Lopakhine, un entrepreneur, ancien fils de moujik, dont le père était serf du grand-père puis du père de Lioubov, la séduisante et émouvante propriétaire d’un domaine ancestral. Lopakhine ne fait pas table rase du passé mais souhaite plus subtilement négocier avec cette femme dépositaire d’un  trésor symbolique et mémoriel de nostalgie, celui d’une enfance disparue dont la fameuse cerisaie fait partie, et qui pourrait plaire à des estivants qui s’annoncent de plus en plus nombreux. Mais les romans inventent toujours un monde meilleur que les faits ne vérifient pas. Ici, il est question de la survie du domaine pour la sensible Lioubov et pour son frère Gaev (Robert Bouvier) qui revient là pour un séjour estival. Mais la maison de famille est menacée de vente, cerisaie comprise,  à cause de dettes! Avant de se clore par un départ, la pièce débute quand  Lioubov revient de Paris avec ses amis et parasites dans la belle villégiature aux souvenirs enfouis, sur lesquels veille Varia, la fille adoptive de Lioubov,  et les domestiques. Une  partie de campagne se déroule sous un ciel d’été où un bonheur léger est au rendez-vous,  malgré un quotidien tissé à la fois d’amertume et de rêves cocasses. Pour  Anton Tchekhov, l’intimité avec la nature est une nécessité vitale, et il aime comme Lioubov plus que tout les fleurs blanches des pommiers et des cerisiers, un romantisme que combat de son mieux Lopakhine : « … Est riche non pas celui qui a beaucoup d’argent mais celui qui a les moyens de vivre à cette époque de l’année dans le décor somptueux du début du printemps. »   Le jour de la vente, qui va sceller le destin de la cerisaie, les hôtes qui ne peuvent ni ne veulent tourner le dos à leur passé, organisent un bal.

Nathalie Holt a conçu une scénographie très simple: un pan de mur avec  une volée de fenêtres, un parquet rustique, avec autour une coursive attenante où la ronde des acteurs s’accomplit lors du bal; au centre, un rideau blanc et léger que l’on ouvre ou referme discrètement ; à cour, quelques chaises d’enfant, un lit de bois et un cheval à bascule, et un portrait de famille installé dans les hauteurs ; puis, pour les jeux extérieurs, une toile peinte des bouleaux qui descendent vers le lointain.  Les belles comédiennes Nine de Montal, Coline Fassbind, Julie Hamois, Barbara Probst et Emmanuelle Wion, silhouettes juvéniles et gaies, portent les robes délicates de Cidalia da Costa, aux tendres couleurs. Et tous les autres acteurs sont toniques et justes. De l’œuvre tchekhovienne, Gilles Bouillon dégage des enjeux proustiens, maîtrisant les regrets inconsolés du temps perdu, et les paradis d’enfance disparue, à travers la diction mesurée de Lioubov, et la volonté d’aller de l’avant et le désir de vivre de Lopakhine (Thibaut Corrion).

 Véronique Hotte

Théâtre du Passage, Neuchâtel, les  22 et 24 octobre; Théâtre d’Angoulême, Scène nationale, du 3 au 5 novembre. Espace Jean Lurçat, Juvisy-sur-Orge, le 14 novembre. Centre culturel L’Imprévu, Saint-Ouen-l’Aumône, le 17 novembre. Anthéa, Antipolis, Théâtre d’Antibes, les 25 et 27 novembre.
Centre culturel Le Figuier blanc, Argenteuil, les 7 et 8 décembre. L’Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge,  le 12 décembre.
Théâtre de Châtillon, du 7 au 16 janvier. Scène nationale d’Albi, les 20 et 21 janvier. L’Odyssée/Scène conventionnée de Périgueux, les 26 et 27 janvier.
Théâtre/Scène nationale de Narbonne, les 3 et 4 février. L’Opéra-Théâtre, de Metz Métropole, les 11 et 12 février. Centre Dramatique Régional de Tours, du 23 février au 4 mars.
Théâtre Jacques Cœur de Lattes, les 10 et 11 mars.

 

 

 

Livres et revues

Livres et revues:

Peines d’amour perdues  de William Shakespeare, traduction de Jean-Michel Déprats, édition bilingue présentée par Gisèle Venet

9782070463671_1_m Ferdinand, le jeune roi de Navarre, convainc trois aristocrates de ses amis, Longueville, Dumaine et Berowne, de conquérir la gloire en constituant une petite académie,  avec comme projet l’étude de la philosophie,  et le refus des plaisirs de ce monde.
Tous s’y engagent par serment pour trois ans, non sans quelques réserves de Berowne, et prennent  la décision  de bannir toute présence féminine de la cour. Après bien des péripéties, Navarre et ses trois amis se présentent, déguisés en moscovites ,pour faire leur cour à la reine de France et à ses suivantes  qui , informées par leur ambassadeur Boyet, ont échangé les  cadeaux donnés par les amoureux,  qui, chacun, vont croire courtiser celle qu’ils aiment, en se déclarant à une autre. Humiliation totale, quand ils s’en aperçoivent!
  La pièce est un divertissement,  même si la première partie du titre semble s’en tenir à une douleur d’aimer quelque peu gravée dans l’échec. Avec malice, l’œuvre est intitulée « comédie plaisante et spirituelle ». Mais pour Gisèle Venet, auteure de la préface de l’ouvrage b-lingue, la pièce ne dessine ni véritable intrigue, ni dénouement.
  Les quatre jeunes aristocrates, dont le roi de Navarre, s’engagent solennellement à consacrer les trois années à venir aux seules études, sans approcher de femmes.Mais à peine ont-ils  signé ce contrat rigoureux,  que quatre jeunes et jolies demoiselles  dont la princesse de France se présentent au palais, pour le grand embarras du roi; comment en effet recevoir les princesses chez lui, tout en les obligeant à se  loger dans les champs.
 Bien entendu, les quatre jeunes gens oublient  leurs études pour  écrire les sonnets  avec lesquels ils déclareront leur flamme, et multiplient preuves et témoignages d’une passion annoncée… comme sans lendemain. On imagine les quiproquos obligés, selon un calcul facétieux de probabilités :  imbroglios et situations de commedia dell’arte n’empêcheront pas l’accomplissement patient du vœu unanime féminin.
« L’ironie vengeresse des quatre jeunes dames, blessées peut-être d’avoir été éconduites avant  d’être aimées, veille à ce que toute peine d’amour soit d’avance perdue ». Elles vont s’arranger pour que nulle intrigue ne puisse se nouer entre eux, tenant en bride le désir masculin.
Mais la mort brutale du roi de France provoque la fin de la comédie, et une mise à l’épreuve des promesses amoureuses diffère le dénouement de cette comédie.

N’est pas pris qui croyait prendre si aisément, et hors de choix féminins raisonnés.

 Véronique Hotte

 Le texte est publié aux éditions Gallimard, collection Folio Théâtre N° 164, 432 pages. Prix: 5,20 €.

Pronomade(s) ou la petite fabrique d’humanité de Daniel Conrod

indexDaniel Conrod, journaliste culturel et critique de danse, et ancien rédacteur en chef adjoint à Téléram, revient sur vingt-quatre années et se propose ici d’analyser l’évolution du projet culturel sur un territoire rural, celui de la Haute-Garonne, soit le Comminges et le Volvestre. Avec la création d’un des douze Centre nationaux des arts de la rue, et celle de la fête de la Saint-Gaudingue.   » Le théâtre de rue, dit un habitant, on ne savait pas du tout ce que c’était. Il y vait une loufoquerie dans l’air qui a complètement dipsaru. On est tous un peu nostalgiques de cette époque, tout le monde vivait la m^me chose pedannt quelques jours, la ville était donnée à çà, n’était que pour çà ».
En fait ce que veut démontrer Daniel  Conrod, c’est que les relations entre artistes et habitants, que ce soit dans cette région ou dans  le Lot comme par exemple,à Capdenac, le théâtre de rue est un moyen de retisser du lien social avec le commerce, la culture des jardins, des immigrés et de la cuisine locale. soit le réel,  et une bonne dose de bricolage comme à Aurignac avec Des Rives, la nuit  de 2014.
En fait tout se passe comme si le théâtre de rue a réussi dans des territoires ignorés de la « grande culture » à  créer  » une pensée du politique qui serait adossés à la culture, une pensée de gouvernement dont la culture et les arts et l’éducation et les techniques formeraient le socle, alors même que le camp progressiste semble en avoir abandonné jusqu’à l’idée, jusqu’au principe, cette pensée-là est elle encore désirée, attendue et/ou attendue par la population ».
Daniel Conrod a sans soute raison quand il dit que cela ne se mesure pas au nombre de constructions dans le monde culturel mais au partage avec les habitants de petites expériences, pour le meilleur et parfois aussi, soyons honnêtes pour le pas très intéressant, où tout se joue sur l’imagerie comment témoignent les nombreuses et excellentes photos.
Le  livre est complété par une chronologie précise qui va de mai 92 avec la première résidence arts de la rue à Saint-Gaudens  puis en 95 la réhabilitation des Haras de Saint-Gaudens devenues un lieu de fabrique des arts de la rue, jusqu’à la création à Encausse d’un lieu de résidences et tentatives des arts de la rue.
On regrette que ce livre si riche en informations soit si mal maquetté, (mauvais interlignage, caractères souvent en gras, manque de paragraphes pendant plusieurs pages!) , ce qui en rend  la lecture souvent peu agréable. Alors que ce voyage ethnologique dans un monde de la culture le plus souvent ignoré par les politiques d droite comme de gauche apporte un très utile éclairage sur l’évolution de la société française en un quart de siècle, à l’écart des mondanités parisiennes.

Philippe du Vignal

Antoine Vitez, homme de théâtre et photographe, sous la direction de Brigitte Joinnault, en compagnonnage avec Marie Vitez

antoine-vitez-homme-de-theatre-et-photographeC’est un livre-album  avec les photos de celui qui fut un des plus remarquables metteurs en scène français mais qui comme le dit Brigitte Joinnault, apprit la photographie avec son père qui était photographe. plus tard le théâtre devint son activité principale mais dans les coulisse de sa vie publique, il ne cessait d’écrire et de photographier ». Effectivement, et ce sera sans doute l’objet d’un travail universitaire, les mise en scène d’Antoine Vitez ont subi pour le meilleur,  l’influence de la photo. Que l’on repense, par exemple, à cette magistrale prise en direct de la vie quotidienne avec ses gros plans, ses cadrages dans Electre de Sophocle, dans Catherine d’après Les cloches de Bâle d’Aragon, ou encore dans Ubu-Roi d’Alfred Jarry. Mais à la mesure d’une réalité qui ne s’encombre pas de réalisme, et en laissant au fictionnele toute possibilité de se développer.
Le livre réunit cinq texte et portraits, avec, en ouverture, de nombreuses photos d’Antoine Vitez, très jeune et plus loin un très beau portrait de Paul Vitez, à Bièvres en 1960. D’abord deux beaux textes très émouvants celui de  Marie Vitez, sa fille sur son père jamais connu le sien, et son grand-père qui n’avait jamais connu le sien. Et aussi un remarquable article où Jeanne Vitez avec une grande lucidité, retrace la quête de son père quand il fait de la photo, comme une sorte d’antidote au théâtre cet art éphémère entre tous. « Le rideau du théâtre dévoile. la photo se révèle en apparaissant, révèle un instant fugace ».
Il y a aussi des textes brefs écrits par des proches comme celui très beau de Pierre Vial où pour lui, toutes ces photos constituent un hommage à son père ». Et des portraits faits par Antoine Vitez, comme celui de sa feme, de ses filles et petites filles, ou de ses acteurs: Gilbert Vilhon, Madeleine Marion, Jany Gastaldi, Ludmila Mikaël, Jean-Marie Winling.
Citons enfin un entretien avec Antoine Vitez de Chantal Meyer-Platureux, où le metteur en scène fait remarquer que la photographie de théâtre a toujours été liée à un mouvement théâtral, comme celle d’Agnès Varda avec l’aventure du T.N.P.. Il souhaitait à l’époque où il en était l’administrateur que l’activité de la Comédie-Française suscite des vocations de photographe mais sa mort brutale l’empêche de mener à bien ce projet!
C’est un très beau livre; que l’on ait connu Antoine Vitez et/ou ses mises en scène, il donne à réfléchir sur les rapports entre exercice  de la  photo et celui du théâtre…

Le livre est publié aux Solitaires Intempestifs

Ph. du V.

La Culture chorégraphique au cœur de l’enseignement de la danse de Sarah Nouveau

  Danseuse et chorégraphe, l’auteur après des études de philosophie, a suivi notamment l’enseignement au Cefedem-Sud d’Aubagne, de Laurence Louppe, critique et historienne de la danse, qui l’a beaucoup influencée, notamment quand elle a voulu développer une véritable réflexion et un discours sur la culture chorégraphique, à travers différentes disciplines comme, entre autres,  l’ethnologie, la philosophie,  et l’analyse esthétique, dès lors qu’il s’est agi pour elle d’articuler pratique et théorie dans son travail personnel  comme dans les conférences qu’elle donne régulièrement. Ce qui l’amène à dire comme Dominique Bagouet que la danse est aussi une façon de penser.
Ce livre contient plusieurs interviews de chorégraphes/formateurs comme Anne-Tnia Iziquierdo qui parle avec beaucoup de pertinence de la difficulté actuelle quand on veut étudier le processus de création et de composition de la danse jazz.  ou Jean Rochereau cofondateur de la compagnie Bagouet et enseignant qui retrace les modes de transmission à partir des traces que les interprètes ont pu conserver de spectacles comme ceux d’Odile Duboc ou Dominique Bagouet.
Il y a aussi dans ce petit livre, un essai fort utile de grille de lecture d’une chorégraphie lors de sa présentation au public, ainsi qu’une grille d’analyse d’œuvres; deux éléments  sur lesquelles Laurence Louppe insistait  souvent si l’on voulait avoir une bonne autonomie de réflexion sur la danse, qu’elle soit baroque, classique, moderne ou contemporaine.

Ph. du V.

Editions de l’Harmattan. 26 €

Revue Incise n°2


Editée par le Studio-Théâtre de Vitry et dont la rédactrice en chef est Diane Scott, c’est,  comme elle le dit « une revue de théâtre tout en l’étant pas, qui part d’un constat sévère: il est devenu difficile de travailler dans le théâtre et notamment pour y réfléchir librement, il faut faire un pas hors de lui.
Donc pas vraiment de rubriques mais plutôt un certain nombre de thèmes et une commande de textes. Avec au sommaire de ce numéro 2, un article de Françoise Morvan, fouillé et documenté sur la culture bretonne et les bases des constructions identitaires. Elle y analyse très bien les rapports difficiles et compliqués  qu’entretiennent la Bretagne en tant que région et l’Etat français,  quand il s’agit de culture et de politique comme l’a encore révélé la récente et triste affaire de l’écotaxe.
Il y a aussi une lettre de soutien de Diane Scott à Marie-José Malis à propos du spectacle Hypérion, à partir du roman d’Hölderlin, que la metteuse en scène avait créé l’an passé au Festival d’Avignon, et qui avait été plus que fraîchement accueilli (voir Le Théâtre du Blog). Même s’il n’a pas eu d’hostilité épidermique ni indigence ni agressivité de la critique, comme elle le dit. Pas non plus de scandale, n’exagérons rien…
En fait, Diane Scott  semble avoir du mal à admettre qu’un spectacle est créé pour être vu et entendu, et qu’il n’est pas là pour servir de  base à une réflexion a posteriori. Mais désolé, au neuvième rang, on voyait mal les acteurs à cause d’un éclairage indigent, on entendait à peine les acteurs  et cela durait plus de quatre heures!
Non, je ne me suis appuyé sur Claude Régy pour condamner Marie-José Malis, c’est faire un peu vite; d’autant plus que les autres spectacles que j’ai vus d’elle étaient vraiment intéressants. Mais honnêtement, j’ai aussi avoué et écrit  que, passées les vingt premières minutes après l’entracte, je me suis sauvé en compagnie d’un confrère qui était lui, encore beaucoup plus impatient de quitter la salle…
Il ne s’agit pas de savoir si un spectacle est populaire ou s’il ne l’est pas. on peut tout montrer, tout dire  et nous n’avons jamais été au Théâtre du Blog les vandales d’un théâtre populaire. Il est toujours bon de savoir si c’est un spectacle qui se situe dans une recherche théâtrale, dont Marie-José Malis peut avoir eu l’idée, ou s’il s’adresse à un large public comme au festival d’Avignon. Mais bon cette mise en scène où les acteurs sont presque immobiles face public en débitant leur texte d’une voix lasse et à peine audible: on veut bien que cela se situe dans une recherche mais en tout cas, pas un des critiques présents ce soir-là n’y a été sensible et quand ils avouent leur ennui et leur impossibilité à aimer ce spectacle et à le conseiller à ses lecteurs, on peut AUSSI en tenir compte.
Et nombre de ces lecteurs nous ont remercié de les avoir invité à ne pas y aller… et on attend encore l’avis de ceux qui l’ont vraiment aimé et qui étaient prêts à le soutenir.
Non, encore une fois, Diane Scott, il ne s’agit pas de le considérer Hypérion comme « nul et non avenu », mais nous avons le droit de ne pas l’aimer! Et de là à penser avec elle, que c’est « la tentative la plus conséquente de produire un théâtre politique au sens fort », on peut rêver… Nous avons aussi donné un point de vue différent du mien celui de Véronique Hotte qui malgré des réserves, l’avait, elle, apprécié. Que demande le peuple?
Il y a aussi dans ce numéro un bon article de Diedrich Diederichsen sur Art et non art où le critique  allemand, spécialiste de la communication visuelle, prône une critique de la culture de communication et de publicité, ainsi qu’une attaque en règle du marché de l’art actuel sur lequel règnent les classes dominantes comme on a pu le voir encore à la dernière F.I.A.C. à Paris.

Ph. du V.

Revue Incise n° 2: Pris : 10 euros.

 

L’Homme qui plantait des arbres

L’homme qui plantait des arbres, d’après Jean Giono, mise en scène de Roger des Prés

 

 affiche Cela fait vingt-trois ans que Roger des Prés (son nom choisi…) met en scène quelques terrains vagues des Hauts-de-Seine, à côté de l’université de Nanterre. Il y a arrêté ses roulottes, construit des écuries et une « favela théâtre » de récupération : un mur en dur, avec une grande cheminée qui flambe dès l’automne, des piliers en poteaux de téléphone et un toit en tôles de chantier (les solides, à section rectangulaire). Plus, un jour, un parquet de bal, plus des allées, des arbres, des jardins, des tas de ferrailles, toujours sous le signe de la récup, et des odeurs de bêtes.
 Plus encore, le Champ de la Garde, un “squat“ agricole, un endroit secret connu de centaines de personnes qui y ont mis la main, bu un coup ou regardé pousser les légumes, qui feront la soupe du soir à la Ferme du Bonheur. Du coup, il y a aussi des chapiteaux accueillants, à côté. Tout cela a même donné lieu à un très sérieux colloque (voir le site de la Ferme du Bonheur) d’agro-poésie et d’urbanisme.
C’est une affaire très sérieuse, en effet, de préserver des espaces naturels et (très) cultivés, dans un département où le terrain, le foncier, est si rare, si cher, si convoité et si bétonné. Sans s’occuper de la COP 21, Roger des Prés continue son grand et têtu bonhomme de chemin, avec tout ce qui lui tombe sous la main. Qui tombe bien : L’Homme qui plantait des arbres date des années cinquante et passe par dessus les deux guerres mondiales.

Elzéar Bouffier, un solitaire taciturne,  plante des glands choisis sur les plateaux désolés de ce qu’on appelait encore les Basses-Alpes. Un homme seul, c’est vrai et démontré, peut planter, un par un, près de cent mille chênes dont dix mille viendront à grandir. Plus quelques hêtres et même des bouleaux dans les creux : cela retient l’eau et fait rejaillir les fontaines.
  Un miracle à portée de main, pourvu qu’on mette celle-ci à la pâte, qu’on arrête de charbonner le bois des forêts, et que l’administration ne s’en mêle pas.  Cette histoire, Roger des Prés la raconte en marchant, au pied des bien nommées barres (assez contraires à la liberté de mouvement, en effet), dans la désolation du bâti.
Il fait passer la petite escouade des randonneurs-spectateurs, entre deux murs, sur une herbe non réglementée, pour nous faire découvrir un troupeau de moutons, un vrai, qui guidera la suite du parcours. Le chien, encore jeune, a failli laisser partir un mouton sur la route, mais bon, il n’y a pas eu de casse…
Qu’apprend-t-on avec cette randonnée ?  D’abord à voir ce qu’on ne voit jamais, les zones, les interstices, les terrains vagues (heureusement, il y en a encore !), les “non-lieux“. C’est aussi la vitalité du végétal, glorieux à l’automne, avec les dizaines d’espèces qui ont su se faire une sauvagerie entre les constructions, les ponts, les routes. Au printemps, ça doit friser le paradis.

Pour autant, ce n’est pas un pays de rêve : au pied des buissons, plastiques et verre cassé, débris divers… Et jamais le ciel n’est libre de bâtiments. Mais on apprend ici à laisser se bouleverser le temps et l’espace, à accepter, justement, le moche et le beau de la vie, à comprendre petit à petit que chacun d’entre nous pourrait être responsable du beau côté de la vie.
Planter, nettoyer, fleurir et aimer les gens, ça doit être possible, à condition de mettre des bonnes chaussures, des vieux gants pour ne pas se couper et de savoir qu’il y a plus de plaisir à faire les choses qu’à pleurer que personne ne les fasse. À condition d’avoir les bons sentiments actifs et coriaces.
Au fait, L’homme qui plantait des arbres reviendra au printemps. Rendez-vous sur le site de la Ferme du bonheur.

 

Christine Friedel

Spectacle vu à la Ferme du bonheur.à Nanterre (Hauts-de Seine).

 

La fin de l’homme rouge

La fin de l’homme rouge, ou le temps du désenchantement, de Svetlana Alexievitch, adaptation et mise en scène Stéphanie Loïk

 

La-Fin-de-lHomme-Rouge-ou-Le-Temps-du-désenchantement-Anis-Gras-ciup-704x350Svetlana Alexievitch vient de recevoir le prix Nobel de littérature  et ce prix en dit beaucoup sur ce qu’on attend de la littérature aujourd’hui, qu’on a peut-être toujours attendu et quelquefois trouvé sous les dehors de la fiction et de l’éternelle nature humaine : un témoignage, un travail d’historien du présent ou du passé tout proche. 

Cette histoire encore brûlante, on ne peut pas l’écrire seulement avec des chiffres, avec de l’abstraction, vue de haut. Svetlana Alexievitch la raconte au niveau du corps, des émotions : froid, nourriture insuffisante, discussions à n’en plus finir dans les cuisines, téléphones qui ne sonnent pas, odeurs, sentiment d’être suivi dans la rue, obligation de faire deux boulots -si on peut-pour vivre…
Et mille autres détails qui font l’homo sovieticus, déterminé, forgé par une société qui prétendait faire le bonheur du peuple envers et contre lui-même, avec des magnifiques embellies dans la terreur : la littérature, la poésie, la musique…
On sait comment une démocratie sans principes (mais que reste-t-il des nôtres ?) est tombée sur le dos de ce peuple, comment le patriotisme, trempé dans les millions de morts de la seconde guerre mondiale, a retrouvé un terrain dérisoire, avec l’actuel chef de la Russie. Nostalgiques de l’URSS, déçus de la perestroïka, rouges qui n’ont plus leur place, ultra-riches et ceux qui fouillent les poubelles pour se nourrir (mais chez nous ?) : Svetlana Alexievitch les connaît mieux que nous et les raconte mieux que personne.
Depuis plusieurs années, Stéphanie Loïk travaille, le plus souvent avec de jeunes comédiennes, ce théâtre-documentaire que lui offrent les textes de  cette écrivaine dont elle a déjà adapté pour la scène La guerre n’a pas un visage de femme, Les Cercueils de zinc sur les mensonges de la guerre en Afghanistan,  La Supplication Tchernobyl, chronique du monde d’après l’apocalypse, sur les abandonnés de la centrale explosée.
Elle cherche, (c’est son style, son talent), le corps collectif de ceux qu’elle fait parler. Pour les élèves issus des grandes écoles de théâtre, une expérience unique… Chacun est lui-même, mais dans une chorégraphie presque militaire, sans cesse renouvelée mais toujours présente, et très douce.
 On entend le thrène des espoirs déçus. On voit la marque d’un pays enrégimenté, dont nous reste l’image des 1ers mais avec leurs défilés de masse. Le pays n’est pas que cela, comme nous le font entendre, la langue, la musique, et les chants russes. Beaucoup d’amour passe tous ces désenchantements.
Il faut lire La Fin de l’homme rouge et aussi aller voir comment, avec rigueur et tendresse, un groupe de jeunes comédiens se l’incorpore, fait couler cette histoire, ces êtres qu’il ne faut pas oublier, dans ses veines, dans ses muscles.
Stéphanie Loïk est arrivée ici au sommet de sa tétralogie Svletana Alexievitch.

 

Christine Friedel

 Spectacle vu à l’Anis Gras; Théâtre de l’Atalante, du 4 novembre au 7 décembre. T : 01 46 06 11 90 ou latalante.resa@gmail.com

 


 

 

 

Les cinquante ans du Théâtre de l’Aquarium

 

Le Théâtre de l’Aquarium a cinquante ans

 aquarium Un anniversaire avec des concerts, un bal, des rencontres et un spectacle qui va retracer l’histoire du théâtre depuis sa création* à partir d’archives, d’essais, de témoignages, mise en scène par François Rancillac et les apprentis comédiens de l’ESAD. C’est un lieu emblématique du théâtre contemporain, avec des directeurs comme Jacques Nichet qui dirigea par la suite le Centre Dramatique national de Toulouse, et Didier Bezace qui fut le dynamique directeur du Théâtre de la Commune à Aubervilliers, Et Jean-Louis Benoit , celui de la Criée à Marseille….
Ici, est né un pan important de la création d’aujourd’hui avec ce que l’on appelle:  théâtre documentaire, création collective, théâtre politique qui, depuis peu, reviennent au galop…
Oui, mais voilà: même si François Rancillac, le directeur du Théâtre  de l’Aquarium n’a pas tout réussi, son bilan est loin d’être négatif, mais son  activité a été d’un coup remise en question, juste avant l’été, par la Direction Générale de la Création Artistique du Ministère de la Culture, spécialiste, comme on sait, des coups bas.
François Rancillac a été prié de quitter les lieux en juin prochain. En l’occurrence, cela dépasse même le problème de sa personne et, c’est une fois de plus, le protocole de ce genre de décision qui est déplorable!
Fleur Pellerin, bien entendu, n’a guère apprécié, dit-on, que la pétition ** pour défendre François Rancillac  ait recueilli des milliers de signatures mais elle s’est bien mal défendue lors de sa conférence de presse cet été à Avignon. En prétendant, pas du tout à l’aise dans un domaine qu’elle connaît mal, et à partir de notes rapides qu’on lui avait préparées, que l’affaire avait été inutilement montée en épingle, que François était un homme très bien, qu’on allait trouver une solution, que tout allait s’arranger, etc. Vous avez dit: surtout pas de vagues et temporisation?
Bref, il n’y avait rien à voir, et le bon peuple du public et des théâtreux était prié de circuler! Depuis on a appris (tout se sait vite dans la douce France artistique!) que les choses avaient commencé à se régler en coulisses, et qu’au Ministère, le principal initiateur de cette brillante affaire serait prié d’aller, d’ici peu, voir ailleurs si l’herbe était plus tendre. Prudente, Fleur Pellerin? Sans doute mais, pour le moment, on ne sait rien de précis. Et elle  se gardera sans doute bien d’aller à cet anniversaire…
Le Ministère aurait lui des idées bien précises quant à l’avenir de la Cartoucherie de Vincennes et verrait bien, après le règne d’Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil, et celui de Philippe Adrien au Théâtre de la Tempête, une reconversion de ces immenses lieux en centre d’accueil et de répétitions pour les jeunes compagnies. C’est donc, on l’aura deviné, une affaire à suivre avec la plus grande vigilance dont nous vous tiendrons au courant, même si le Ministère reste bien avare d’informations…

Philippe du Vignal

Rancillac (suite, et non fin)

    La mode est aux «fabriques de théâtre» : on donnerait à une jeune et brillante compagnie un lieu de travail. Pour les représentations, trois ou quatre grands théâtres nationaux suffiraient, puisque la compagnie en question serait «incontournable». Et voilà le budget public, national, régional et pourquoi pas municipal, sauvé. Et voilà tués les trois quarts de la création théâtrale.
Chacun sait que le budget de la culture, en particulier du théâtre, est toujours le premier visé : artistes, créez un peu moins et diffusez mieux (vendez mieux) vos «produits». Mais on le rappelle, chaque représentation théâtrale, chaque concert, est un prototype unique, qui ne peut obéir aux règles du marché de masse. Il faut être de son temps ? Il se peut bien que le temps ne soit pas seulement l’instant de la mode ; ce qu’elle oublie, cette mode, c’est la durée, et la fidélité.

L’Aquarium a cinquante ans : faut-il le pousser dehors, comme un cadre dit senior ? Et puisqu’on parle d’emploi, les emplois artistiques et professionnels du théâtre comptent-ils pour rien ? Il se trouve que les compagnies ont besoin non seulement d’avoir un parapluie sur la tête, mais de partager un lieu de création théâtrale avec d’autres, des musiciens, des plasticiens.
Sur le terrain d’utopie de la Cartoucherie, ce sont les rencontres qui fabriquent la création. Cet enclos extra-territorial, qui abrite des théâtres divers, pas forcément solidaires entre eux, n’est pas un territoire comme les autres. Il s’est développé, enrichi, embelli grâce à tous ses théâtres, dont l’Aquarium. En perdre un  (il y a déjà eu le Chaudron), ce serait les appauvrir tous.
Faut-il que les écoles de théâtre ne se produisent que dans leurs propres murs ? Elles aussi, qui viennent chaque année rencontrer le public à l’Aquarium (qui a associé à cette invitation les autres théâtres de la Cartoucherie), ont besoin de ce lieu pour jouer en vraie grandeur, et bien accompagnés. Les calculateurs semblent oublier (entre mile autres oublis!),  l’importance de la transmission dans ce travail artistique collectif qu’est le théâtre.
Transmission? N’en faut plus, à l’ère de la paillette et du jetable. Une génération chasse l’autre. Eh! Bien, non! Nous avons besoin de François Rancillac, de sa sensibilité généreuse aux autres arts, à côté du sien, de son respect du public.
Le public, ce n’est pas du chiffre : ce sont autant d’individus rendus plus heureux parce que plus intelligents, et réciproquement. C’est peut-être cela qui gêne… Les metteurs en scène qui, comme lui, donnent autant de soin, d’enthousiasme, au travail avec les amateurs, à l’action culturelle en profondeur qu’à leurs créations plus publiques méritent d’avoir le temps de leur travail. Le public le sait, dans sa fidélité, il a même lancé un comité de soutien ; les décideurs devraient l’apprendre.

 Christine Friedel

* Théâtre de l’Aquarium du lundi 2 au (relâche le 5) samedi 8 novembre à 20h30, et le dimanche 9  à 17h.

** Texte de la pétition sur : http://www.theatredelaquarium.com ; sur Change.org : http://chn.ge/1eOv6H1 et via Facebook : https://www.facebook.com/soutientheatreaquarium

Adieu Marc Dachy

 

Papa-et-Kikuko-1   Bien triste nouvelle : Marc Dachy vient de mourir à 62 ans d’un cancer du foie. Spécialiste incontesté du mouvement Dada, ce Belge à l’humour acéré, était historien de l’art mais aussi  écrivain et ami entre autres de Philippe Sollers, Guy Debord,  Christian Dotremont, peintre et écrivain du mouvement CoBra, Frédéric Baal  créateur avec son frère Frédéric Flamand, du Théâtre-Laboratoire Vicinal de Bruxelles en 1970, qui se souvient : «La première fois que je l’ai rencontré en 1974, nous avions parlé toute une nuit d’art et de spectacles, il avait vingt-et-un ans et déjà une personnalité exceptionnelle.
Grand lecteur, il connaissait aussi bien l’œuvre de James Joyce que celle de Samuel Beckett qu’il rencontra souvent par la suite. Il voyageait partout dans le monde, notamment au Japon, toujours à l’affût  des nouvelles tendances artistiques.
Mais il était beaucoup plus que le grand spécialiste de Dada. Nous avions souvent avec lui de longues conversations sur le théâtre et sur nos spectacles de recherche, comme Chaman Hooligan ou I qu’il avait vus plusieurs fois mais aussi sur l’art contemporain qu’il connaissait remarquablement».  
Marc Dachy avait  beaucoup écrit, en particulier sur Francis Picabia, Marcel Duchamp… Il fonda la revue Luna Park qui parut de 1975 à 1982, puis  de 2003 à 2009. Pour lui, «s’il doit y avoir un art jeune au vingtième siècle, il lui fallait en connaître les avant-gardes, comme autrefois la coupure cézanienne engendra ce que nous aimons. » Le deuxième numéro de la revue avait  suscité l’exposition Écritures, graphies notations typographies en 1980, à la Fondation nationale des Arts Graphiques et Plastiques, rue Berryer à Paris, lieu qui avait préfiguré le Centre Georges Pompidou.

Il fit paraître dans Luna Park  des textes inédits de Samuel Beckett, Antonin Artaud, John Cage, Gertrude Stein, Raoul Haussmann, Kurt Schwitters, etc. , et dans un numéro spécial qui lui était consacré, des textes et dessins de Sophie Podolski, (poétesse et graphiste belge née  en 1954, auteure de  Le pays où tout est permis, son seul livre, publié en 1972, et qui se suicida deux ans plus tard) ainsi qu’une graphie de Roland Barthes et des logogrammes de Christian Dotremont.
Il avait aussi, en 1993, dirigé la Biennale de Lyon consacrée aux avant-gardes du XX ème siècle. Marc Dachy obtint avec Son Journal du mouvement le Grand Prix du livre d’art en 1990. Et il est aussi  l’auteur   des Archives Dada. Chronique  paru en 2005…
 En Belgique comme en France, Infatigable découvreur et toujours plein d’enthousiasme, Marc Dachy aura incontestablement marqué son époque. Adieu, Marc et merci.

Philippe du Vignal

  Marc et moi, étions amis. Par devers tout-petites trahisons et grands silence-nous étions amis… Sa fidélité, quand il aimait, était d’airain. Tous les prétextes étaient bons pour que nous filions dans la nuit noire, divaguant au gré du vent, libres et joyeux, vers le Rosebud, un pub qu’il affectionnait, avant de sortir, repus et gris, de gargantuesques dîners arrosés de Vouvray pétillant à la Coupole ou à la Rotonde…Nous en avons passés des années à arpenter Montparnasse, où Marc et son imposante silhouette étaient connus, parfois redoutés de tous, pour ses facéties les plus invraisemblables comme pour ses coups d’éclats tonitruants. Car, si Marc avait du miel dans la voix, ses mots, toujours précis, pouvaient aussi cingler comme une claque, et il était de ceux dont il vaut mieux être l’ami. Une nuit, alors que nous errions à notre habitude aux abords du jardin du Luxembourg, nous y entrâmes par effraction en déchirant nos vêtements sur les piques des grilles d’enceinte. Nous passâmes ainsi des heures à fumer clandestinement dans la rosée, frissonnants, à chuchoter des poèmes, pouffant comme des enfants sous un énorme massif qui nous cachait de la lumière lunaire et des lampes des gardiens…   Mais nous nous fîmes surprendre et mener vers la sortie. Je me souviendrai longtemps de cette délicieuse parenthèse. Marc était imprévisible. A force, j’avais repéré qu’il se ramassait à la manière d’un fauve prêt à bondir lorsqu’il allait faire une blague, comme arracher du sol un petit chien et faire mine de s’enfuir à toutes jambes, faisant hurler de désespoir la maîtresse du dit petit chien, ou profiter d’un moment d’inattention de  voisins de table  au restaurant pour échanger leurs plats à une vitesse fulgurante!
Ses derniers mots: « Je vous écris ». Belle épitaphe et si juste. Il n’en eut pas le temps, hélas!

 Laura Antonietto

 

 

 

*/20 danseurs pour le XXème siècle

*/20 danseurs pour le XX ème siècle, conception de Boris Charmatz et du Musée de la danse

image Belle initiative que de permettre au public de voir, au Palais Garnier, de beaux solos, emblématiques de la création chorégraphique du siècle passé. La théâtralité de chaque recoin du lieu sert merveilleusement d’écrin à la découverte de ces extraits d’œuvres.
  De la rotonde des abonnés au grand Foyer, en passant par les Salons du Glacier et de la Lune, les vingt danseurs se succèdent dans d’intenses solos, proches des spectateurs. Ce qui donne une autre perception de ces chorégraphies, au plus près de la respiration des corps. Sentir l’engagement physique de ces «athlètes de haut niveau»  comme le dit Benjamin Millepied, est un réel privilège.
  Cette déambulation libre d’une heure trente, partout, à l’exception de la salle elle-même, ne permet pas de voir toutes les chorégraphies proposées, mais nous avons pu redécouvrir celles de Pina Baush, Georges Balanchine, Rudolf Noureev,  et certaines, venant du septième art, comme la danse sensuelle de Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme
  La pièce de Boris Charmatz qui vient observer l’enchaînement des performances, est un bonheur simple, et l’occasion de retrouver des partitions connues ou moins, mais une autre perception de l’espace. Cela permet aussi aux néophytes de «goûter» à la danse,  ce qui les amènera peut-être à découvrir d’autres œuvres, dans le futur, et c’est tant mieux.

Jean Couturier

 Spectacle joué à l’Opéra Garnier du 25 septembre au 11 octobre.      

Le Monstre du couloir

Le Monstre du couloir de David Greig

 4-300x200Pauline Sales et Vincent Garanger  dirigent Le Préau/Centre Dramatique Régional de Vire, et, depuis 2009,  en ont vite fait un lieu de culture dynamique avec des créations qui dépassent les frontières normandes. Cet été à Avignon, on a beaucoup parlé de Sur la page Wikipedia de Michel Drucker , et Quand j’étais Charles faisait le plein.  Quelques années plus tôt, En travaux avait ravi le monde du théâtre.
    Le Préau a aussi depuis sept ans son festival pour ados, un temps fort, fait pour et par  eux  (voir dans Le Théâtre du Blog la chronique de l’édition 2014), et c’est assez rare pour être signalé. Le Monstre du couloir y a été créé, et vient d’être repris sur la scène du Théâtre de l’Opprimé à Paris, bien  plus petite que celle de Vire.
   C’est l’histoire de Duck, élevée seule par un père que la sclérose en plaques commence à rendre aveugle. Duck, est le diminutif de Ducati, marque de la moto qui passionna ses parents mais avec laquelle sa mère se tuera contre un arbre, en voulant faire la course. C’est plutôt Duck qui s’occupe de son père mais il va leur falloir faire l’inverse puisqu’une assistante sociale est venue les contrôler. Tous deux craignent qu’à cause de l’incapacité grandissante du père, Duck ne soit placée  dans un foyer.
  Tout cela paraît bien triste mais  la dramaturgie de David Greig est remarquable et  la mise en scène de Philippe Baronnet, artiste permanent du Préau, intelligente et rythmée.  Une assistante sociale et l’amoureuse du père qui joue avec lui à des jeux vidéo en ligne font une apparition remarquée (toutes deux interprétées par Aurélie Edeline).
  Dans la scène où elles se rencontrent, l’actrice change juste de perruque, passant de l’un à l’autre personnage. Olivia Chatain (la jeune fille) est très crédible, et les chansons et bruitages d’un guitariste rythment bien la pièce.  Avec une mise en scène pleine de trouvailles, Philippe Baronnet évite de filer les métaphores et d’étirer les anecdotes ; derrière le récit, se cachent des thématiques fortes pour des adolescents : amour, homosexualité, séparation avec les parents….
  Un bel exemple de pièce pour les jeunes qui ravira aussi un public plus âgé ; on en sort avec une belle énergie !

Julien Barsan

Théâtre de l’Opprimé à Paris .

 

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