Les créations théâtrales aux Francophonies en Limousin 2015, suite et fin:
L’Acte inconnu de Valère Novarina, mise en scène de Valère Novarina et Céline Schaeffer
La rencontre de l’auteur français avec Haïti, à l’invitation de Guy-Régis Junior, pour travailler avec sa compagnie NOUS Théâtre, a été décisive. « Ce sont les acteurs qui ont choisi L’Acte inconnu, dit-il, et pour Limoges, j’en ai créé une réduction pour six comédiens (…) C’est une petite équipe de «combat» qui s’est mobilisée, pour ce travail extrêmement audacieux, car on a deux semaines en Haïti, une semaine à Limoges.»
L’Acte inconnu (éditions P.O.L- 2007), créé au Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur en 2007, trouve, avec les acteurs haïtiens, et malgré des conditions précaires, un souffle neuf.
«Ils allaient tout de suite chercher la vie dans notre langue commune», dit l’auteur, à propos des répétitions. Ils se sont approprié le texte, ont refait les chansons à leur façon, et Finder Dorisca, à l’accordéon, a composé une nouvelle musique. »
Le verbe de Valère Novarina sonne, comme s’il était dit dans une nouvelle langue, illustrant bien la formule : «L’homme est un alphabet capturé vivant.» Les corps, les voix, les gestes, tout est différent: on se sent à la fois dépaysé et dans une plus grande proximité avec son univers . La simplicité de la scénographie, avec des panneaux mobiles peints par lui, et des accessoires de fortune, contribue à l’épure, comme cette distribution réduite.
On retrouve cependant le joyeux ballet de mouvements perpétuels qui constituent le déploiement de la parole dans l’espace. Une parole à rebondissements.
Selon Valère Novarina, «la parole est un geste». Entrent et tournent: Le Bonhomme Nihil, Le Coureur de Hop, Jean qui corde, Raymond de la matière, L’Ouvrier du Drame, La Machine à dire beaucoup, Le Chantre, La Dame de pique, l’Homme nu, La Femme spirale, Le Déséquilibriste, L’Esprit, Autrui…
Le mélange d’accidents de cirque, devinettes, maximes, marionnettes, proférations, prend ici toute son ampleur. Le clown devient griot (le virevoltant Edouard Baptiste). Et le vide, anagramme approximatif de dieu, résonne à la recherche du sens. Car c’est bien dans l’espace vide que le verbe peut circuler, s’exprimer…
Et, quand l’un des protagonistes demande : «Depuis combien de temps sommes-nous ensemble dans cette boîte humaine ? », on s’aperçoit qu’on n’a pas vu passer le temps.
Le spectacle sera repris au festival des Quatre Chemins de Port-au-Prince, en novembre prochain.
Pulvérisés d’Alexandra Badea, mise en scène de Frédéric Fisbach
«Tu ouvres les yeux, agression de l’environnement. Rien ne t’appartient ici, tu es pulvérisé dans l’espace », dit l’un des quatre personnages qui s’adressent à eux-mêmes à la deuxième personne, mais ce « tu » est à la fois individuel et collectif.
Quatre salariés travaillant à l’étranger pour les sous-traitants d’une entreprise multinationale française qui vend des «box multimédia» : une ouvrière chinoise vit l’humiliation quotidienne à l’usine ; un superviseur sénégalais de plateau d’appels dénonce la cruauté du système; un responsable français assurance-qualité voit sa vie gâchée par son travail; à Bucarest, une ingénieure d’études et développement craque…
A tous les niveaux de la hiérarchie et de la production, la pression de l’entreprise est aliénante, broie les êtres jusqu’au plus intime de leur existence. Les façonne et les détruit.
Pulvérisés a obtenu le Grand Prix de littérature dramatique 2012, saluant l’habileté de sa construction, l’acuité de son propos, traduit par une forte écriture.
Plutôt que d’attribuer le texte à quatre comédiens, Frédéric Fisbach l’a distribué à un français, un acteur et une actrice roumains); ce qui accentue l’effet choral et la dépersonnalisation des personnages. Ils sont, dit-il, «des soldats inconnus pris dans les dommages collatéraux d’une guerre économique mondiale».
Un chœur d’amateurs démultiplie la portée collective du vécu des protagonistes, et crée un lien entre plateau et spectateurs. L’alternance de voix en direct, et enregistrées, de présence des corps sur le plateau nu et d’images vidéo, produit un effet de présence-absence, de déréalisation et d’incarnation de paroles, plus que d’individualités.
Le public est totalement pulvérisé lui aussi, et doit rassembler les morceaux du puzzle pour pouvoir reconstituer le moi de chaque personnage ainsi plongé dans l’anonymat. Mais on peut se demander ce qu’apportent au projet les interventions des amateurs! Approximatives et peu claires, elles dénaturent le côté clinique du spectacle, et si la mise en scène, à trop vouloir émietter une dramaturgie déjà éclatée, n’égare pas le public.
La pièce sera reprise dans une version roumaine, au festival Temps d’image à Cluj (voir Théâtre du Blog, Bucarest sur scène)
Après la peur, road-trip théâtral, conception de Sarah Berthiaume, Gilles Poulain Denis, Armel Roussel, direction artistique d’Armel Roussel
Douze auteurs francophones (belges, français, suisses, québécois ou congolais…) ont eu pour mission d’écrire une partition de trente minutes proposant des trajets dans la ville, en minibus ou à pied. A partir de là, un dispositif impressionnant a été mis en place, afin d’offrir à chaque spectateur, trois ou quatre de ces voyages…
A l’entrée, on est invité à choisir sa «chambre» parmi les douze proposées. Puis, munis de leurs tickets numérotés, guidés par un comédien, les spectateurs s’éparpillent par petits groupes, qui, à pied, qui, à bord d’un minibus, qui, dans les coulisses, loges, et cuisine du théâtre…, pour un petit spectacle ambulant ou in-situ. Dehors, c’est un ballet permanent de mini-bus emportant ou déversant leur cargaison de passagers.
A chaque fin de parcours, on choisit un nouveau numéro, et l’on embarque pour de nouvelles aventures. Il y en a de tous les genres, et pour tous les goûts : intrigue policière, récit de vie, fantasmagories… et des surprises nous attendent au tournant.
On ne peut pas voir chacun de ces spectacles, mais, de groupe en groupe, on se raconte, on se conseille sur les parcours à choisir. On entend dire que Comme je descendais des fleuves impassibles de Dany Boudreault vaut le coup. Les places s’arrachent pour Queen Kong de Selma Alaoui, Démocratie de Joël Maillard ou Caméra cachée de Jean-Baptiste Calame.
Cette homme, de Sarah Berthiaume, déambulation au clair de lune dans le quartier pavillonnaire ravit les marcheurs… Et, au terme de deux heures de pérégrinations, chacun sort, plus ou moins satisfait de ses choix, mais est entré en dialogue avec ces compagnons de voyage et les comédiens. Car la plupart des propositions sont interactives, conçues pour faire participer le public.
Un voyage ludique, où les textes apparaissent comme des prétextes à ces échanges…
Mireille Davidovici
Les Francophonies en Limousin T. 05 44 23 93 51 ; www.lesfrancophonies.fr jusqu’au 3 octobre