Andreas
Andreas, texte et mise en scène de Jonathan Châtel, d’après la première partie du Chemin de Damas d’August Strindberg
Il faudrait raconter avec précision la vie d’August Strindberg, au moment où il écrit Le Chemin de Damas, son «autobiographie dramatique», ce qui déborderait largement le calibre d’une critique. Essayons quand même : l’auteur sort d’une crise terrible qu’il raconte dans Inferno, et se sent capable de revenir à son travail de dramaturge. Il imagine une grande fresque pleine de fantaisie, au sens d’imagination, d’échappées dans le rêve, la légende, l’inconscient… Il pense à son Voyage de Pierre L’Heureux, dont le succès public l’avait heureusement surpris, il pense aussi à Faust et à son voyage mystique, dont la première partie du Chemin de Damas est peut-être plus proche…
Celui qui part sur ce chemin, donc, Strindberg l’appelle l’Inconnu et Jonathan Châtel l’a baptisé Andreas, l’homme par excellence, d’après andréa en grec ancien, et les trois hommes qu’il rencontre en route, figures nées, sans doute, de l’imagination, de l’âme de cet inconnu.
Sa quête, son chemin ? Une nouvelle foi, une renaissance. Et les figures qui lui apparaissent sont celles que projette son rêve. La femme et la mère sont des visions, consolatrices, accusatrices aussi, qui doivent le prendre par la main et le mener plus haut. On reconnaît là les rapports compliqués d’August Strindberg avec les femmes : il a besoin d’elle, les adore et le redoute, voit en elle de terribles prédatrices et de précieuses compagnes, en une éternelle guerre des cerveaux et des sexes.
Avec ce matériau complexe, Jonathan Châtel crée un spectacle d’une pureté exemplaire, abstrait et physique. Pierre Baux, successivement mendiant, docteur et vieillard, donne des moments de théâtre exceptionnels. Nathalie Richard et Pauline Acquart sont justes et touchantes, d’une sobriété parfaite. Thierry Raynaud a sans doute une tâche plus lourde : il est le fou, l’ivrogne insupportable qui s’adresse au public en lui demandant quelque chose, quoi ? D’un autre August Strindberg, une spectatrice avait dit : «je ne supporte pas, c’est trop comme dans la vie». Avec son corps christique, cet inconnu, cet Andreas, est à la fois «trop comme dans la vie», et trop loin de la vie.
Malgré tous ces atouts et la belle scénographie de Gaspard Pinta, quelque chose du propos ne passe pas. Il était sans doute juste de gommer toute anecdote et d’aller à l’essentiel, mais le chemin manque de repères, de balises, si minimes soit-elles. On reste respectueux, on admire, on est touché par moments, mais l’ensemble reste opaque.
Christine Friedel
Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, jusqu’au 15 octobre,
Et la sonorisation ça ne passe pas du tout mais alors pas du tout!