Reality

Reality, de et avec Daria Deflorian, Antonio Tagliarini, à partir du reportage de Mariusz Szczygieł, spectacle en italien, surtitré en français 

 

_mg_1600Daria Deflorian et Antonio Tagliarini improvisent devant nous, tout en les commentant, diverses façons de mourir au théâtre.
Une vieille dame est  foudroyée en pleine rue par une crise cardiaque… Cette scène burlesque est déjà un clin d’œil au public, qui montre comment le théâtre se fabrique.
Jugeant l’idée trop compliquée et inadéquate, ils abandonnent cette tentative réaliste, pour entrer dans vif du sujet : représenter la vie de cette femme, à partir des 748 carnets qu’elle a laissés à la postérité.
Pendant cinquante-sept ans, Janina Turek, habitante de Cracovie, y a noté tous ses faits et gestes. En cachette. Qu’est-ce qui se cache derrière ce qu’elle écrit ? Qui est-elle ? Est-ce là le propos du spectacle ?
A partir du jour où son mari a été arrêté en 1943, par la Gestapo, (elle avait alors 22 ans) elle consigne les moindres événements du quotidien, y compris la composition de ses repas. Elle les classent par catégories : visites annoncées, visites non annoncées, événements spéciaux, lectures, sorties au cinéma, etc., en les numérotant. Ainsi, elle a reçu, dans son existence, 39. 196 coups de téléphone, croisé et salué 23. 397 personnes, lu 3.700 livres, joué 1.500 fois au bridge, été 110 fois au théâtre…
Cette étrange histoire a été rendue publique par un journaliste polonais Mariusz Szczygieł : il en a fait le sujet d’un reportage intitulé Réalité, publié dans une anthologie : De Minsk à Manhattan, Reportages polonais. Le texte, traduit en allemand a ensuite passé les frontières.
Janina Turek traverse un demi-siècle d’une histoire polonaise mouvementée (invasion allemande, nazisme, occupation russe, état d’urgence décrété par Jaruzelski et arrivée des chars de l’armée polonaise,  puis Solidarnosc, et avènement de la démocratie). Mais elle n’exprime aucun point de vue. Elle livre des faits bruts, sans commentaires. Elle se contente de les enregistrer, par dates, sans affect.
Pas plus qu’elle ne s’épanche sur l’arrestation de son mari, le chagrin de son divorce et enfin la solitude de la vieillesse. Quelle est la réalité de sa vie derrière ces listes ? Peut être faut-il la déduire des 3.000 cartes postales qu’elle s’est envoyées, avec, au dos, des petits mots griffonnés où elle se dit «je».
Les comédiens tentent de combler le vide laissé entre les lignes. Ils inventent aussi des anecdotes à l’aide d’accessoires : une tasse à café brisée contre le mur, un matin de tristesse où on ne peut rien avaler au petit déjeuner ; un crayon trouvé dans un pot de fleurs pendant la visite de Fidel Castro, qui l’aurait empêchée de voir le héros du défilé. Un fauteuil défoncé, une télécommande et on visualise la vieille dame devant son poste de télévision.
En jouant et en dialoguant, ils évoquent ce vécu ordinaire, imaginent ses réactions ; ils la montrent vieille et esseulée, comme le laissent supposer la diminution des appels téléphoniques, des visites, des cadeaux qu’elle reçoit, des gens qu’elle croise et salue…
Ces notes sèches et abondantes déclenchent une investigation quasi-archéologique dans des tranches de vie brutes, et fournissent aux acteurs une riche matière à jouer et à broder. Parcourir avec eux ce journal si peu intime nous conduit à deviner une autre réalité, au-delà des faits. Cette quête, conduite avec malice et vivacité par les deux complices, nous entraîne par effraction dans la vie secrète d’une Polonaise ordinaire, et nous offre un spectacle réjouissant.

 Mireille Davidovici

 Théâtre de la Colline, jusqu’au 27 septembre. T. 01 44 62 52 52 ; www.colline.fr

 

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