De l’autre côté de la route

De l’autre côté de la route de Clément Koch, mise en scène de Didier Caron

 

de l'autre côtéClément Koch avait été révélé au théâtre par Sunderland, dont un film, sorti en 2015, a été tiré.  De l’autre côté de la route est la deuxième pièce de cet auteur.
Après Moins deux de  Samuel Benchetrit, (voir Le Théâtre du Blog) où on a droit à une aventure en  fin de vie de deux pépés, il y a des semaines où le théâtre parisien n’a rien de folichon… Ici en effet,  rebelote: tout se passe dans une chambre de maison médicalisée quelque part en Suisse, très propre et sans doute un peu plus coquette que les autres, mais qui est quand même une maison de retraite, avec son lot habituel de gens âgés, voire très âgés, en proie à la plus grande solitude  et qui s’ennuient, mangent des pâtes de fruits comme dit l’auteur, et à qui pas grand monde ne vient rendre visite.  
  Ils sont encore en vie, mais pas très loin de l’autre côté de la route, selon le titre de la pièce…, là où est le cimetière! “C’est pratique”, comme dit cyniquement Eva Makoski, une grande physicienne, pensionnaire de cette maison depuis un moment qui a longtemps travaillé pour Lexo, une grande boîte de médicaments et  qui a raté le Nobel de peu.. Encore verte mais souvent dépressive, elle a une manie, celle de mourir étendue sur son lit plusieurs fois la semaine, comme pour exorciser sa prochaine disparition.
Elle a eu une fille qui est décédée à cause de médicaments, et dont elle garde la photo près de son lit: on comprendra plus tard que cette fille est aussi celle, illégitime comme on dit, de son ex-patron… Seule, une de ses voisines de chambre gentille vieille dame un peu collante, passe souvent la voir.

 Il y aussi une jeune employée africaine de la maison, tout à fait charmante mais pas commode et qui appelle un chat un chat. Elle rappelle à Eva qu’Hortense, une jeune journaliste a rendez-vous avec elle et l’attend à la réception depuis déjà deux heures! Elle consent enfin à ce qu’on fasse enfin monter cette Hortense  à l’allure très stricte (lunettes et chignon). Elle se présente comme journaliste d’une chaîne de télé numérique, chargée de réaliser un entretien filmé  sur son exceptionnelle carrière de chercheuse.
 En fait, comme elle le lui avouera plus tard, elle se sert de cette fausse identité, pour essayer d’en savoir plus sur les pratiques de  ce Lexo, un laboratoire pharmaceutique dont un des médicaments, qui a de forts effets secondaires, l’a rendue stérile. Il y a de la tension dans l’air, les deux femmes se montrent souvent très agressives, en particulier Eva Makowski qui n’a pas de mots assez durs envers les jeunes journalistes.
Pourtant, elles sympathisent malgré la supercherie d’Hortense dont Eva reconnait la personnalité et la force de caractère. Elle lui propose même de l’aider à dévoiler le scandale des pratiques plus que douteuses de son ancien employeur qui n’hésitait pas sur le choix des moyens  pour faire gagner de l’argent à ses actionnaires chéris… Cela tombe bien, puisque justement, Pierre, l’ex-directeur et amant d’Eva, va passer la voir.
Une implacable machine de guerre est aussitôt mise en place par Eva qui a sûrement des comptes à régler et qui remet d’abord à Hortense un document accablant concernant les pratiques de Lexo; elles installent la caméra, bien cachée entre deux livres sur un rayonnage qui permettra d’avoir un enregistrement des manœuvres du directeur.
 Entre temps, Hortense revient en séductrice: bien maquillée, cheveux longs, mini-jupe de cuir noir, talons hauts, et corsage très ouvert… Eva et Hortense offrent à boire à Pierre un cocktail alcool fort/Viagra pour faire monter la pression. Tout se passe comme prévu par les deux femmes: séduit, il essayera, mais en vain, de l’acheter contre un paquet d’argent mais, impitoyable, Hortense fera monter les enchères jusqu’à plus de vingt millions d’euros, au bénéfice d’une association de victimes…
  Pierre, assez estomaqué par l’audace d’Hortense, refuse à nouveau mais est bien obligé de s’incliner, à cause du très habile chantage de la vieille voisine et amie d’Eva, qui menace alors de révéler à l’épouse de Pierre l’existence de cette fille qu’il a eu avec Eva et qu’il lui a soigneusement cachée…
  Et cela donne quoi? Au début, l’intrigue patine avec cette histoire d’euthanasie qui tente Eva, et la pièce a vraiment du mal à démarrer, d’autant que Clément Koch n’hésite pas à truffer ses dialogues, trop bavards, de mots d’auteur faciles. Puis les choses se mettent en place.
  Les ficelles sont parfois un peu grosses  (chez Eugène Labiche et Georges Feydeau aussi!) mais l’intrigue est solidement construite. Didier Caron dirige très bien Maiike Jansen, Laurence Pierre (méconnaissable quand elle revient en séductrice), Dany Laurent, que l’on a vue souvent chez Jacques Mauclair, et qui incarne de façon magistrale cette incroyable petite taupe à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession!), Mamouna Guey et Gérard Maro, le seul homme de cette distribution  féminine (ce qui est des plus rares dans les théâtres classique et contemporain, et fait toujours du bien).
Ils sont tous les cinq très justes, et donnent de leurs personnages une version  crédible, sans criailleries et sans en faire des tonnes, si bien qu’on entre volontiers dans cette habile histoire de chantage qui nous surprend agréablement. Le chantage, sous différentes formes, est un vieux ressort du théâtre français, et même s’il y a quelques longueurs au début, on se laisse volontiers prendre, à condition de ne pas trop en demander, à cette histoire tragi-comique…
 Comme nous le disait finement Robert Abirached qui fut longtemps aux côtés de Jack Lang quand il était ministre de la Culture, le théâtre privé, malgré de sérieux ennuis financiers, et  qui reste cher donc peu accessible aux jeunes gens absents de cette salle, est en train de récupérer des parts de marché aux dépens du théâtre public… En redonnant, par exemple, leur place à des auteurs des années cinquante un peu oubliés comme Barillet et Grédy (toujours vivants) avec Fleur de cactus au Théâtre Antoine…

 Philippe du Vignal

 Théâtre Michel 38 rue des Mathurins Paris 8 ème.


Archive pour 4 octobre, 2015

20.000 lieues sous les mers

20.000 lieues sous les mers,  adaptation et mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort

  Nous avons tous lu, enfants, avec émerveillement,  le célèbre roman de Jules Verne (1828-1905), publié d’abord en feuilleton de 1869 à 70, dans Le Magasin d’éducation et de recréation. Il avait déjà écrit, influencé par Alexandre Dumas père et fils dont il était l’ami, mais aussi par Edgar Allan Poe et Victor Hugo, Cinq semaines en ballon, Voyage au centre de la Terre, et De la Terre à la lune. Ce sont ces Voyages extraordinaires (62 romans et 18 nouvelles!) qui le rendirent célèbre en France, puis à l’étranger, avec des dizaines de traductions. Mais on sait moins que Jules Verne, à ses débuts, avait aussi écrit des tragédies et des livrets d’opérette, et qu’il avait, lui aussi, adapté, avec Adolphe d’Ennery, son roman pour la scène. 20150925182820-64f21125-me  Un monstre marin a été repéré par plusieurs navires à travers le monde, et une expédition est organisée sur l’Abraham Lincoln, une  frégate américaine,  pour l’anéantir. Avec, à son bord, le Français Pierre Aronnax, professeur au Muséum de Paris, et Conseil, son fidèle domestique.  Mais d’immenses trombes d’eau s’abattent sur la frégate, et Aronnax, Conseil et Ned Land, un harponneur canadien de baleines, se retrouvent  sur le dos d’un sous-marin, le Nautilus… C’est alors que  Némo, son capitaine les recueille mais les retient prisonniers (avec beaucoup d’égards!), puis les entraîne dans un véritable tour du monde sous l’eau: des îles Marquises aux terres australes… Les trois hommes essayent de s’enfuir quand il aborde la terre de « sauvages » dont l’un parvient à pénétrer dans le sous-marin. Le Nautilus, après un long périple s’échouera mais c’est la lune qui que l’on voit dans le ciel avec ses cratères qui, en changeant les marées, lui permettra de continuer sa route. Il repartira jusqu’au naufrage final… Christian Hecq et Valérie Lesort le recréent et le mettent en scène avec Christian Gonon ( Ned Land), Christian Hecq (Nemo), Nicolas Lormeau, (le professeur Aronnax),  Jérémy Lopez (Conseil), Louis Arène ( Filippos, le second de Nemo) et Elliot Jenicot (le Sauvage) qui animent aussi  les marionnettes. Tous absolument impeccables, et très crédibles dans les personnages de cette incroyable épopée: le récit (juste quelques phrases) est assuré avec une certaine distance et beaucoup d’humour par Cécile Brune. “ C’est Eric Ruf, (le nouvel administrateur de la Comédie-Française) qui a proposé, dit Christian Hecq,  que les comédiens soient aussi manipulateurs,  et je suis heureux de leur transmettre ma passion pour l’art de la marionnette. J’y retrouve le plaisir d’une forme expérimentale, dit celui qui  a longtemps travaillé avec Philippe Genty (voir Le Théâtre du Blog). On retrouve ici l’intérieur du célèbre Nautilus, ce luxueux sous-marin commandé par le capitaine Némo, tel que l’imagine Eric Ruf: salon avec boiseries, rayons de livres, gros canapé de cuir, nombreux tuyaux et robinets, élévateur  avec un fauteuil d’où Némo donne des ordres au porte-voix)et surtout un très grand hublot ovale qui permet de voir de belles et effrayantes méduses, des poissons qui viennent buter, tout étonnés, contre le verre du hublot, ou se  livrent à une danse nuptiale; l’un passe agressif, armé d’une gueule aux dents acérées.   Il y  aura plus tard aussi des scaphandriers qui ramassent des lingots d’or provenant d’un naufrage et qui les placent dans des coffres. Avec un léger mais remarquable bruitage de bruits de mer et de machines  du Nautilus.  Il y a aussi les bras d’un gigantesque poulpe qui, par des échelles, pénètrent dans le salon du capitaine Némo et un gros œil de baleine qui nous regarde par le hublot, quand le Nautilus a fait naufrage…  Et, à l’extrême fin, des bouts de planche flottent sur la mer : c’est un autre moment de la plus grande poésie que l’on ne vous le dévoilera pas. 20150925183019-cdb2182e-me Mais,  absolument magique, et qui a suscité une véritable ovation du public, c’est le cauchemar du professeur attaqué par un poulpe et par une araignée géante qui s’abat sur le canapé. Très menaçante, elle a la tête du capitaine Nemo. Normal, puisque c’est Christian Hecq qui la manipule! Il y a là comme la quintessence de l’art de la marionnette et du jeu d’acteur. Pas de vidéo facile, ni d’images racoleuses; ce qui fascine ici,  c’est la synthèse parfaitement réussie entre un artisanat porté à son plus haut niveau,  mis au service du poétique et de l’imaginaire, et une interprétation  des plus intelligentes du célèbre roman.   Cette exceptionnelle merveille de création plastique (due à Valérie Lesort) d’animation, de scénographie (Eric Ruf), et de mise en scène (Christian  Hecq et Valérie Lesort) est, bien entendu, le résultat d’un gros travail en amont avec une dizaine de collaborateurs. Les trois complices auront réussi un beau coup, avec une synthèse parfaite, sans aucun à-coup, entre une double interprétation des plus solides (jeu d’acteurs qui donnent aussi corps aux  marionnettes, ce qui suppose une maîtrise absolue du plateau et une excellent entraînement pour passer de l’un à l’autre), et la  recréation picturale et sonore de l’univers marin  imaginé par Jules Verne. Avec une idée géniale: l’univers solide, en bois et en fer, confiné, très étroit de la cabine/salon de Némo (celui des humains) enfermé dans ce Nautilus donnant, en fond de scène, sur un univers aqueux, immense et très profond (celui des poissons et autres habitants de la mer). Ici, rien de superflu (aucune longueur  ou bavardage oral ou visuel (cela dure juste quatre vingts-dix minutes) et rien de racoleur. Il suffit au spectateur d’avoir gardé son âme d’enfant pour se laisser embarquer dans ce voyage hors-normes… C’est un moment de splendide théâtre avec un texte étonnant, où Jules Verne , en grand précurseur qu’il était, parle d’écologie, défend l’identité  et l’intelligence des “sauvages”, s’en prend à la chasse à la baleine mais respecte la pêche, etc… Il y a longtemps que l’on n’avait pas vu un spectacle d’une telle beauté et d’une telle force à la Comédie-Française; il faut remercier Eric Ruf  d’avoir aidé à la naissance de ce travail d’équipe. Un seul bémol: la salle du Vieux-Colombier n’est pas très grande et mieux vaut donc très vite réserver vos places!  

Philippe du Vignal

 Théâtre du Vieux-Colombier, Paris.

 

Le Pont d’Ismail Kadaré

Diapositive1Le Pont d’ Ismail Kadaré, traduction de Jusuf Vrioni, adaptation et mise en espace de Simon Pitaqaj

Ismaïl Kadaré, né en 1936, poète et romancier albanais,  a toujours eu une attitude subversive instinctive,  envers son grand frère soviétique  mais envers aussi le dictateur de son pays, Enver Hosha. Kadaré et il a créé une littérature d’opposition, évoquant ainsi, dans Le Pont aux trois arches, un étrange Empire ottoman sur le point de s’accaparer la région.
L’œuvre de l’écrivain est la garante de la
mémoire du peuple albanais – ses racines, son histoire, ses croyances, sa culture. Dans Le Pont, librement adapté par Simon Pitaqaj, né au Kosovo, le Moine, un double emblématique et empathique du narrateur, évoque la construction d’un pont de pierre sur la maudite rivière Ouyane, en remplacement de l’ancien bac.
Or, le chantier menacé par de mystérieux étrangers, esprits des eaux, selon la croyance populaire, ou agent de la société des Bacs et Radeaux, et subit des sabotages. Les rumeurs naissent, tandis que le puissant voisin ottoman se rapproche. Apparaît, en même temps que les bâtisseurs, un mystérieux personnage, le Glaneur, un envoyé de l’Empire voisin qui détourne les légendes à son profit.
Le traître qui ne dit pas son nom interroge le Moine sur les anciennes légendes du pays, les vieilles ballades balkaniques qui éclairent à la fois l’identité profonde du pays, son culte de la parole donnée – la bessa-, et la situation profondément instable, mouvante et changeante de la région.
Ce pont, facilitant à terme les invasions ultérieures, signifie symboliquement un passage entre le monde des vivants et celui des morts, telle l’histoire du château construit par les trois frères, dont l’épouse du dernier, enfermée dans les fondations, est la victime sacrificielle. Quant à la construction du pont, un homme ordinaire, Murrash Zenebische a été emmuré sous la première arche, après avoir accepté les termes du contrat du sacrifice, préservant les siens du besoin : «Les terrestres avaient découvert que les aquatiques payaient quelqu’un pour démolir la nuit une partie du pont… Partout les rhapsodes chantaient sa mort…Nous étions tous éclaboussés par le sang qui en avait jailli, et les cris d’horreur qu’il aurait dû susciter étaient déjà consumés. » Le moine, poète et visionnaire, a l’impression de voir sous un bain de lune «des plaines entières inondées de sang et des montagnes réduites en cendres… les hordes turques qui rabotaient le monde pour y étendre l’espace islamique… les feux et leurs cendres, et les restes calcinés des hommes et des chroniques».
Main basse est définitivement faite sur une musique, des danses, des costumes,  mais pas sur une langue insaisissable. Le pont est une métaphore du chemin vers le salut, le symbole d’une initiation, une transition entre deux moments intérieurs, du côté où l’on est, jusqu’au lieu de l’interdit ou du mystère à découvrir,  puisqu’il est destiné au passage, à l’ouverture, à l’autre, et au monde dans une digne circulation existentielle.
Pour interpréter les deux camps ennemis qui s’opposent, dans un premier temps, et pour lesquels il faudra bien, avec le temps encore, passer outre les différences, s’affrontent d’un bout du pont à l’autre, deux belles figures de la scène. Arben Bajraktaraj, visage de guerrier expressif et taillé dans le roc, verbe heurté, incarne le Glaneur de légendes et d’épopées, le collecteur d’images culturelles populaires. De l’autre coté de la rive, se tient le Moine sage et éloquent, Redjep Mitrovitsa,  qui dit le texte avec un beau rythme ample, prêt à l’envol, limpide comme un cours d’eau.
Une lecture entêtante dont les images poétiques gagnent l’attention et les cœurs.

Véronique Hotte

Maison des Métallos, lecture du samedi 3 octobre.

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