Le Pont d’Ismail Kadaré

Diapositive1Le Pont d’ Ismail Kadaré, traduction de Jusuf Vrioni, adaptation et mise en espace de Simon Pitaqaj

Ismaïl Kadaré, né en 1936, poète et romancier albanais,  a toujours eu une attitude subversive instinctive,  envers son grand frère soviétique  mais envers aussi le dictateur de son pays, Enver Hosha. Kadaré et il a créé une littérature d’opposition, évoquant ainsi, dans Le Pont aux trois arches, un étrange Empire ottoman sur le point de s’accaparer la région.
L’œuvre de l’écrivain est la garante de la
mémoire du peuple albanais – ses racines, son histoire, ses croyances, sa culture. Dans Le Pont, librement adapté par Simon Pitaqaj, né au Kosovo, le Moine, un double emblématique et empathique du narrateur, évoque la construction d’un pont de pierre sur la maudite rivière Ouyane, en remplacement de l’ancien bac.
Or, le chantier menacé par de mystérieux étrangers, esprits des eaux, selon la croyance populaire, ou agent de la société des Bacs et Radeaux, et subit des sabotages. Les rumeurs naissent, tandis que le puissant voisin ottoman se rapproche. Apparaît, en même temps que les bâtisseurs, un mystérieux personnage, le Glaneur, un envoyé de l’Empire voisin qui détourne les légendes à son profit.
Le traître qui ne dit pas son nom interroge le Moine sur les anciennes légendes du pays, les vieilles ballades balkaniques qui éclairent à la fois l’identité profonde du pays, son culte de la parole donnée – la bessa-, et la situation profondément instable, mouvante et changeante de la région.
Ce pont, facilitant à terme les invasions ultérieures, signifie symboliquement un passage entre le monde des vivants et celui des morts, telle l’histoire du château construit par les trois frères, dont l’épouse du dernier, enfermée dans les fondations, est la victime sacrificielle. Quant à la construction du pont, un homme ordinaire, Murrash Zenebische a été emmuré sous la première arche, après avoir accepté les termes du contrat du sacrifice, préservant les siens du besoin : «Les terrestres avaient découvert que les aquatiques payaient quelqu’un pour démolir la nuit une partie du pont… Partout les rhapsodes chantaient sa mort…Nous étions tous éclaboussés par le sang qui en avait jailli, et les cris d’horreur qu’il aurait dû susciter étaient déjà consumés. » Le moine, poète et visionnaire, a l’impression de voir sous un bain de lune «des plaines entières inondées de sang et des montagnes réduites en cendres… les hordes turques qui rabotaient le monde pour y étendre l’espace islamique… les feux et leurs cendres, et les restes calcinés des hommes et des chroniques».
Main basse est définitivement faite sur une musique, des danses, des costumes,  mais pas sur une langue insaisissable. Le pont est une métaphore du chemin vers le salut, le symbole d’une initiation, une transition entre deux moments intérieurs, du côté où l’on est, jusqu’au lieu de l’interdit ou du mystère à découvrir,  puisqu’il est destiné au passage, à l’ouverture, à l’autre, et au monde dans une digne circulation existentielle.
Pour interpréter les deux camps ennemis qui s’opposent, dans un premier temps, et pour lesquels il faudra bien, avec le temps encore, passer outre les différences, s’affrontent d’un bout du pont à l’autre, deux belles figures de la scène. Arben Bajraktaraj, visage de guerrier expressif et taillé dans le roc, verbe heurté, incarne le Glaneur de légendes et d’épopées, le collecteur d’images culturelles populaires. De l’autre coté de la rive, se tient le Moine sage et éloquent, Redjep Mitrovitsa,  qui dit le texte avec un beau rythme ample, prêt à l’envol, limpide comme un cours d’eau.
Une lecture entêtante dont les images poétiques gagnent l’attention et les cœurs.

Véronique Hotte

Maison des Métallos, lecture du samedi 3 octobre.

 

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