Le Chat, d’après Simenon

Le Chat, d’après le roman de Georges Simenon, adaptation de Blandine Stintzy et Christian Lyon, mise en scène de Didier Long.

le chat 065Il faut de l’audace pour porter au théâtre ce roman (1967), qui fut, en 1971, adapté au cinéma par Pierre Granier-Deferre, avec Simone Signoret et Jean Gabin, pour incarner des monstres de la réalité quotidienne. On garde des images fortes de ce vieux couple qui, ne pouvant plus s’aimer, se déteste, s’empoisonne la vie, au sens propre du terme. Il la soupçonne d’avoir empoisonné son chat, le seul être qui lui permettait de penser qu’il valait quelque chose… Mais Blandine Stintzy et Christian Lyon, eux, ont choisi de s’en tenir fidèlement au texte : un huis clos entre une femme et un homme vieillissants qui décident, par intérêt, d’unir leurs solitudes.  Lui, Émile, ouvrier, veuf depuis peu, aime encore la rigolade, voire la gaudriole ; il vit avec son chat, Joseph, auquel il porte une tendresse incommensurable. Elle, Marguerite, veuve depuis longtemps, issue de la petite bourgeoisie cul-béni, a rêvé d’une vie où il y aurait eu un peu d’amour, de l’argent, de la musique… Isolée dans le quartier où elle est née, qui est voué aujourd’hui à la démolition, elle refuse de vendre sa maison au promoteur. Elle se sent menacée et trouve en Émile, toujours prêt à rendre service, une bouée de sauvetage. Comme la dame a des principes (on ne peut vivre ensemble sans être mariés), ils s’épousent, pour le pire plus que pour le meilleur. La pièce décrit cette descente aux enfers dans le huis-clos d’une cuisine en formica et d’un bout de salon. On a bousculé la chronologie du roman de Georges Simenon, si bien que ce récit de la haine ordinaire devient plus chaotique et que les moyens utilisés par le couple pour se détruire surprennent, à chaque fois, le public. Le metteur en scène s’est montré discret, faisant visiblement confiance à ses comédiens et à su trouver le bon rythme, avec des scènes courtes, qui s’enchaînent. Myriam Boyer incarne une Marguerite mesquine, calculatrice à souhait et qui laisse  apparaître, subtilement, les petites manies qui rythment la vie si creuse de cette femme…. Mais pourquoi s’est-elle, à ce point, identifiée à Simone Signoret, en reprenant sa coiffure, sa démarche, jusqu’à certaines de ses intonations ? C’est décevant! Jean Benguigui fait d’Émile un personnage attachant, très humain, plein de contradictions, avec, encore, des envies. Il sait émouvoir dans ses moments de désespoir mais peut aussi être violent et cruel. Quel plaisir d’assister à ce duel, même si le pessimisme de Georges Simenon est terrible !

Elyane Gérôme

Théâtre Tête d’Or, 60 avenue de Saxe, 69003 Lyon T. 04 78 62 96 73, jusqu’au 14 novembre. Puis en tournée,  jusqu’au 31 décembre


Archive pour 5 octobre, 2015

Suite n°2, Encyclopédie de la parole

 Suite n°2, conception Encyclopédie de la parole, composition et mise en scène Joris Lacoste – Festival d’Automne

 

joris_lacoste_suite2_7090_photo_florian_leducL’Encyclopédie de la parole, que nourrit un groupe de compositeurs, performeurs, chanteurs, poètes et metteurs en scène, explore l’oralité dans tous ses états, oralité dont  Joris Lacoste crée une nouvelle suite chorale.
C‘est un spectacle de théâtre vivant, pleinement verbal, sonore, musical et gestuel, un concert de paroles ordonnancées, actives et performantes, dont la partition repose sur un quintette qui travaille  sur des situations contrastées, sur l’articulation des mots composant un texte-patchwork, et enfin sur l’aspect sonore et musical de la langue «qui se confond avec les plan des affects et des intensités ».

Vladimir Kudryavtsev, Emmanuelle Lafon, Nuno Lucas, Barbara Matijevic et Olivier Normand  sont de talentueux instrumentistes du verbe, et forment un orchestre de paroles en seize langues différentes, dont l’accomplissement est une action en soi. Ainsi vogue-t-on de déclarations de guerre à celles d’amour (mais tout aussi violentes), d’ agressions verbales à des mots-baumes qui font du bien. Tout cela entre promesses, prières et supplications, ou intimidations, admonestations, menaces et rejets.
Ces paroles qui ont été effectivement prononcées quelque part dans le monde,  sont  recomposées par Joris Lacoste et harmonisées par le compositeur Pierre-Yves Macé. Ce sont des interviews de témoins ou d’acteurs d’événements, des paroles quotidiennes enregistrées,  des extraits de téléréalité comme Big Brother 8 à Los Angeles en 2007. Mais aussi des bribes d’émissions diffusées sur les radios, écrans, les I-phones et tablettes, rencontres politiques ou sportives bruyantes, des manifestations d’étudiants, ou des rassemblements, comme celui de la foule, à Noël dans une grande ville chinoise, jugulée par les invectives répétées des agents de sécurité : « Reculez !» 
  On peut entendre aussi des appels téléphoniques sentimentaux qui tombent sur le silence indifférent d’un répondeur,ou bien d’autres appels tout aussi significatifs, comme cette requête d’une Colombienne  auprès du service clientèle d’une société de téléphonie défaillante. Son collaborateur impuissant tente de calmer cette interlocutrice en colère.
Mais aussi des discours solennels radiotélévisés comme celui, infini et ennuyeux du ministre de l’Économie portugais, ou celui d’un apparatchik russe qui déroule le compte-rendu indigeste d’un procès, ou bien encore celui du président américain George Bush appelant en 2003 à la guerre en Irak. Citons aussi l’appel à la guerre sainte d’un jeune djihadiste australien en 2014, ou bien encore le message vindicatif d’un citoyen syrien irrité à Bachar Al-assad à Homs en 2012.
On recense encore une séance d’hypnose collective, le chant entêtant d’un mantra indien, une séance de prêche dans le stade d’une grande ville sud-africaine, les bribes décousues mais pleines de sens d’une femme discourant dans le métro parisien, les coups secs des balles de tennis entre joueuses d’un grand match, puis le dernier échange d’un pilote avec une tour de contrôle, avant le silence tragique de son avion qui va s’abîmer dans l’Atlantique. De toutes ces paroles reconstituées et réappropriées, ne surgissent que la douleur et des cris de colère dues au stress subi ou à la tension qu’on s’inflige, envahissantes et tenaces, individuelles et collectives.
Ces sensations de soumission et de contrainte viennent de forces qui broient l’être jusqu’à la confusion. La vie semble être une succession d’obstacles à éviter, de barrières à faire voler, sans ralentir jamais sa course effrénée. Ce souffle, déclamatoire et politique, nous invite à pénétrer nos consciences existentielles qui se révèlent comme égarées dans un monde violent et de grande solitude.

 Véronique Hotte

 T2G – Théâtre de Gennevilliers – Festival d’Automne, jusqu’au 11 octobre. Tél : 01 41 32 26 26.

Journal d’une apparition

 Journal d’une apparition, d’après Robert Desnos, adaptation et mise en scène de Gabriel Dufay

 

Journal d'une apparition 04@Vladimir VatsevLa nuit enveloppante, les insomnies agacées, l’impossibilité de trouver le repos ou le sommeil, la fameuse et redoutable angoisse existentielle, tels sont les chemins préparatoires à la réception de visions, de fantômes et de « surprises » pour le veilleur Robert Desnos, rédacteur du Journal d’une apparition, en 1926 et 1927.
L’œuvre entre en résonance avec deux recueils contemporains de poèmes, À la mystérieuse et Les Ténèbres, une époque où le poète découvre Méliès, Louis Feuillade, Musidora, Nosferatu, Fantômas et les fantômes de l’orée du cinéma.
La mise en scène de Gabriel Dufay du spectacle inspiré par Desnos en 2015, qui multiplie, en jouant du théâtre d’ombres, les allusions aux spectres, aux « rêves de la nuit transposés sur l’écran », à la figure populaire et enfantine avant l’heure de Fantômette, correspond au soixante-dixième anniversaire de la mort du poète dans les camps de Terezin.
Yvonne George est l’inaccessible sur laquelle le poète a jeté son dévolu, l’aimant sans retour des années durant jusqu’à la mort de la chanteuse de cabaret, en 1930. La disparue est remplacée plus tard par Youki Foujita, reine du Montparnasse des années 30, qui devient sa compagne. L’amour semble payé de retour, enfin. Pour l’acteur et metteur en scène Gabriel Dufay, admirateur du poète et veilleur auquel il s’identifie sur le plateau, « Yvonne et Youki sont les deux branches d’une même étoile ou les deux bras d’une même sirène, entre amour idéalisé et amour accompli. » Du Journal d’une apparition en passant par À la mystérieuse et Les Ténèbres, se poursuit de Yvonne à Youki la même correspondance à l’aimée.
Les ombres, les réminiscences de ces deux belles mystérieuses filent la matière poétique des déclarations, envolées lyriques et incantations oratoires de l’amoureux.
La belle désigne aussi la figure emblématique de l’amour, celui de la révolte contre les haines et la tyrannie, de l’engagement pour « la vérité » et la passion d’écrire.
Le public est invité à pénétrer dans la chambre de l’insomniaque où celui-ci repose sur un lit de fer que recouvrent des draps blancs tandis que d’autres draps blancs dessinent les murs sur l’un desquels une fenêtre autorise la contemplation lunaire.
Derrière les tentures immaculées – le jeu de l’ombre et la lumière-, une silhouette féminine dessine sa présence sur les parois de l’imaginaire – une même apparition mouvante en combinaison tandis que le faux dormeur enfile le masque de Fantômas.
La balance penche franchement du côté de l’onirisme, du rêve enchanteur et du songe charmant plutôt que du réalisme, du raisonnement et du contrôle de soi.
Gabriel Dufay est Robert Desnos, dégaine et bagout d’une époque, panache et esbroufe désuets, interprétant la folie créatrice d’images fidèles au mythe de l’amour.
Le comédien habité parle la poésie, comme il irait acheter le journal ; le spectateur le suit et l’entend, attiré par cet idéalisme naïf et heureux accordé au pouvoir du verbe. La parole poétique décline sur la scène ses merveilles, au gré de l’espoir et du désir, sous les notes de piano du musicien Antoine Bataille et à travers la danse de la comédienne Pauline Masson, qui chante joliment à l’occasion, si l’on fait abstraction d’une représentation quelque peu dépréciative et banale de femme-objet glamour.

 

Véronique Hotte

 

Théâtre National de Chaillot, du 2 au 17 octobre. Tél : 01 53 65 30 00

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