Suite n°2, Encyclopédie de la parole
Suite n°2, conception Encyclopédie de la parole, composition et mise en scène Joris Lacoste – Festival d’Automne
L’Encyclopédie de la parole, que nourrit un groupe de compositeurs, performeurs, chanteurs, poètes et metteurs en scène, explore l’oralité dans tous ses états, oralité dont Joris Lacoste crée une nouvelle suite chorale.
C‘est un spectacle de théâtre vivant, pleinement verbal, sonore, musical et gestuel, un concert de paroles ordonnancées, actives et performantes, dont la partition repose sur un quintette qui travaille sur des situations contrastées, sur l’articulation des mots composant un texte-patchwork, et enfin sur l’aspect sonore et musical de la langue «qui se confond avec les plan des affects et des intensités ».
Vladimir Kudryavtsev, Emmanuelle Lafon, Nuno Lucas, Barbara Matijevic et Olivier Normand sont de talentueux instrumentistes du verbe, et forment un orchestre de paroles en seize langues différentes, dont l’accomplissement est une action en soi. Ainsi vogue-t-on de déclarations de guerre à celles d’amour (mais tout aussi violentes), d’ agressions verbales à des mots-baumes qui font du bien. Tout cela entre promesses, prières et supplications, ou intimidations, admonestations, menaces et rejets.
Ces paroles qui ont été effectivement prononcées quelque part dans le monde, sont recomposées par Joris Lacoste et harmonisées par le compositeur Pierre-Yves Macé. Ce sont des interviews de témoins ou d’acteurs d’événements, des paroles quotidiennes enregistrées, des extraits de téléréalité comme Big Brother 8 à Los Angeles en 2007. Mais aussi des bribes d’émissions diffusées sur les radios, écrans, les I-phones et tablettes, rencontres politiques ou sportives bruyantes, des manifestations d’étudiants, ou des rassemblements, comme celui de la foule, à Noël dans une grande ville chinoise, jugulée par les invectives répétées des agents de sécurité : « Reculez !»
On peut entendre aussi des appels téléphoniques sentimentaux qui tombent sur le silence indifférent d’un répondeur,ou bien d’autres appels tout aussi significatifs, comme cette requête d’une Colombienne auprès du service clientèle d’une société de téléphonie défaillante. Son collaborateur impuissant tente de calmer cette interlocutrice en colère.
Mais aussi des discours solennels radiotélévisés comme celui, infini et ennuyeux du ministre de l’Économie portugais, ou celui d’un apparatchik russe qui déroule le compte-rendu indigeste d’un procès, ou bien encore celui du président américain George Bush appelant en 2003 à la guerre en Irak. Citons aussi l’appel à la guerre sainte d’un jeune djihadiste australien en 2014, ou bien encore le message vindicatif d’un citoyen syrien irrité à Bachar Al-assad à Homs en 2012.
On recense encore une séance d’hypnose collective, le chant entêtant d’un mantra indien, une séance de prêche dans le stade d’une grande ville sud-africaine, les bribes décousues mais pleines de sens d’une femme discourant dans le métro parisien, les coups secs des balles de tennis entre joueuses d’un grand match, puis le dernier échange d’un pilote avec une tour de contrôle, avant le silence tragique de son avion qui va s’abîmer dans l’Atlantique. De toutes ces paroles reconstituées et réappropriées, ne surgissent que la douleur et des cris de colère dues au stress subi ou à la tension qu’on s’inflige, envahissantes et tenaces, individuelles et collectives.
Ces sensations de soumission et de contrainte viennent de forces qui broient l’être jusqu’à la confusion. La vie semble être une succession d’obstacles à éviter, de barrières à faire voler, sans ralentir jamais sa course effrénée. Ce souffle, déclamatoire et politique, nous invite à pénétrer nos consciences existentielles qui se révèlent comme égarées dans un monde violent et de grande solitude.
Véronique Hotte
T2G – Théâtre de Gennevilliers – Festival d’Automne, jusqu’au 11 octobre. Tél : 01 41 32 26 26.