Sérénades
Sérénades, théâtre musical, livret d’Arnaud Cathrine, avec la collaboration de Ninon Brétécher et Anna Mouglalis, musique de Vincent Artaud, mise en scène de Ninon Brétécher
Dans sa forme la plus ancienne qui survit aujourd’hui, la sérénade est une composition jouée sous les fenêtres d’une dame pour l’honorer, la divertir et la séduire. Le spectacle confidentiel se donne en soirée, selon l’origine de son nom, avec la forme réduite d’un concert donné la nuit en extérieur. L’instrumentarium de la sérénade comprend des vents auxquels se joignent contrebasse et alto qui permettent de «peser » dans le jeu, surtout en plein air.
À travers le livret d’Arnaud Cathrine, le compositeur et musicien Vincent Artaud joue de la basse électrique; ici, la situation classique est inversée puisque c’est la dame-objet de séduction, en général-qui s’oblige, en toute humilité et impudeur, à débiter ses Sérénades sous la fenêtre éclairée ou bien voilée, à un homme qu’elle dit avoir croisé dans l’escalier.
Pour Arnaud Cathrine, la forme musicale et poétique de la sérénade reste une déclaration d’amour : « l’un prend le risque de se déclarer à l’autre. S’en suit, dans le meilleur des cas, une histoire d’amour. » Ninon Brétécher saisit l’occasion d’une performance amoureuse pour accorder toute sa dimension morale et physique à la peine d’amour, la rupture de cœur, l’abandon sentimental et le chagrin, un instant existentiel qui détruit l’être.
En Colombie, l’éconduit(e) peut, après le temps du despecho (la maladie d’amour) reconquérir l’aimé(e) en recourant aux musiciens, aux paroles et chansons, à la mélodie, seuls capables de toucher les bourreaux de cœur indifférents. Comment séduire, exercer un charme ou un attrait puissant ?
Anna Mouglalis interprète le rôle prémédité d’une séductrice active et vindicative, incarne la femme rêvée, audacieuse et battante, d’où s’exhale un charme puissant, «une de ces créatures qui entraînent, qui enivrent, qui ensorcellent, et qui ne vous disent ni pourquoi, ni comment, écrivait Gobineau.
Au fond du plateau, un bel arbre de la création trône, les branches dessinées depuis le tronc, et porte les fleurs blanches et vives des arbres fruitiers au printemps.
Anna Mouglalis, erre sur le plateau dans l’ombre des fumigènes, répète avec les mêmes pas arpentés une danse de quémandeuse obstinée, se jette à terre, bras en croix, façon Georges Bernanos. Comment attirer, captiver et fasciner l’être aimé qui refuse de se montrer à la fenêtre et que l’on geint en bas ?
Gaston Bachelard, dans L’Eau et les Rêves, disait «Le visage humain est avant tout l’instrument qui sert à séduire. En se mirant, l’homme prépare, aiguise, fourbit ce visage, ce regard, tous les outils de la séduction. » L’actrice déclame et lance sa sérénade au micro H F, égrainant reproches et supplications d’amoureuse ardente. Avec une voix posée, profonde et gouailleuse, elle assure le goujat qu’elle ne se donnera pas la mort, éloignée du dépit et des images à la Roméo et Juliette.
Anne Mouglalis scrute excessivement la même fenêtre éclairée dans les hauteurs, soumettant ses beaux yeux bleus, à une douche lumineuse cruelle. Tendue, elle ne se risque pas à jeter le moindre coup d’œil alentour ni à voyager d’un regard libre dans l’espace scénique. Elle ne retrouvera son naturel qu’au moment des saluts, et on respire avec elle…
Véronique Hotte
Le Monfort Théâtre, du 6 au 10 octobre.