Belle d’hier

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Belle d’hier, dramaturgie et mise en scène de Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault, sur une idée originale de Phia Ménard

 

On gardera longtemps en mémoire l’image de ces vingt immenses mannequins, en longs manteaux à capuchon, figés dans leurs atours et leurs gestes éloquents. Ils sont portés précautionneusement en scène par des agents anonymes, en combinaison grise de cosmonautes : ils les tirent un à un de trois chambres froides d’où s’échappent de  grandes nappes de vapeur d’eau.
Tels les soldats d’une armée morte, la horde fantomatique envahit la scène et demeure immobile dans le vrombissement lancinant d’un lointain moteur, puis, petit à petit, parcourus par d’imperceptibles frémissements, les grandes poupées rétrécissent et s’écroulent lentement, les unes après les autres, sur elles-mêmes.
Ces princesses de chiffons, maintenues en forme par la magie de la glace, fondent en eau. Après cet lent dégel, haro sur les mannequins ! Ils seront lavés, dépecés, épluchés, mis en pièces par nos cinq cosmonautes, changés en ballerines énergiques qui, telles des lavandières d’antan, vont leur faire subir un traitement de choc… Avec des gestes machinaux, formant une chaîne ininterrompue, elles déplient, aplatissent, rincent et suspendent les tissus sur de longues perches descendues des cintres.
Pataugeant dans l’eau qui ruisselle, elles s’acharnent à leurs taches répétitives, dans un tempo infernal… Avant de se débarrasser, elles aussi, leurs propres oripeaux. Phia Ménard, après ses pièces de glace, entame ici un nouveau cycle : les pièces de l’eau et de la vapeur. Dans Belle d’hier, ce sont les trois états de l’eau qui interviennent. Elle a imaginé une chorégraphie rythmée, alternant mouvements lents et gestes saccadés, réglée comme une mécanique, et placée sous le signe de métamorphoses successives : les poupées deviennent chiffons, les porteurs de combinaisons asexués se muent en fringantes jeunes filles, la glace se fait eau avant de se sublimer dans un ardent nuage de vapeur, enfer où les cinq femmes s’évanouissent en beauté.
Un spectacle d’un grande force poétique qui réveille des souvenirs littéraires et évoque des mythologies anciennes et modernes. A découvrir, voir et revoir.

 Mireille Davidovici

 

 Théâtre de la Ville, Paris, jusqu’au 9 octobre. Et  du 3 au 6 novembre, Le Lieu Unique scène nationale de Nantes ; les 18 et 19 novembre, le Théâtre/Scène nationale de Saint-Nazaire ; les 24 et 25 novembre, Espace Malraux scène nationale de Chambéry ; les 3 et 4 décembre, Le Cratère scène nationale d’Alès ; les 13 et 14 janvier  Le Carré/Scène nationale de Château-Gontier; les 21 et 22 janvier, Théâtre de Cornouailles/Scène nationale de Quimper.

 


Archive pour 9 octobre, 2015

I mean heaven (On peut dire paradis)

I mean heaven (On peut dire paradis), installation conçue par Skappa & associés. 04-skappa1

Ah ! Le septième ciel… Pour qui rêve d’y accéder, le Théâtre de la Criée offre actuellement une ascension qui mêle les rouages du rêve à ceux d’un patient pèlerinage.
Emerveillement ! La compagnie dirigée par Isabelle Hervouët et Paolo Cardona est devenue experte en organisation de voyages aussi sensoriels qu’intellectuels.
Pratiquant depuis quinze ans un travail délicat de  fildefériste, elle a conçu ce parcours in situ comme une ingénieuse déambulation plastique et théâtrale.

Première création du projet  Les Paradis  qui s’étendra jusqu’en 2018, cette visite est une gourmandise hors du temps, dont les saveurs se dégustent deux par deux, en cheminant. Jouant avec la sonorité du célèbre refrain de Chick to chick,  le titre: I’m in heaven  souligne malicieusement la subjectivité de la notion de paradis.
Aussi, dès le début du chemin, balisé par des lampes de type « servantes » et des potelets, entend-on diverses voix nous murmurer leur conception du bonheur: « Retrouver son chemin après s’être perdu», «Boire le soleil», «Se donner le temps», «Un repas préparé pour moi», «La chapelle Sixtine»… Chacun a sa définition du moment d’éternité.
A moins que ça ne soit les conditions et les plaisirs de la création artistique elle-même qui soient ainsi implicitement décrites.
Les premières étapes du voyage pourraient ressembler à un enfer moderne avec sa file d’attente labyrinthique dotée de haut-parleurs, sa salle d’attente immaculée où l’on remplit un formulaire administratif, son étrange ascenseur …
Mais le ton est si cotonneux, si intimiste, si bienveillant (on vous demande si vous avez croqué récemment la pomme, on prend soin que de vous faire patienter derrière la ligne :« ne pas trépasser », on vous appelle par votre prénom…) qu’on se laisse transporter.
Que découvre le visiteur ? Le paradis des artistes, bien sûr.
Et ça tombe à point car le Théâtre National de Marseille a été fraîchement rénové. Mille petites idées ingénieuses nous invitent à déambuler dans cet étonnant labyrinthe de couloirs et de passages dérobés. La terrasse est l’occasion de mirer le ciel, sous un parapluie translucide doté d’un casque audio.
Une plasticienne songeuse cherche à reproduire ses teintes mouvantes sur une bâche. Plus loin, les loges apparaissent comme un milieu brumeux et muséal, figé sous le plastique. Le ciel de chaussons bleus et blancs d’hôpital est-il là pour nous rappeler les inquiétudes du monde du spectacle, les risques d’aseptisation et de fossilisation qui le guettent ?
Ne dévoilons pas toutes les surprises méta-théâtrales de cette délicate déambulation qui joue sur la visite de lieux cachés ou interdits. Car c’est bien là que se niche le plaisir, derrière la porte: Privé.
Acrobates, sculpteurs, poètes, les passeurs vêtus aux couleurs de la maison, avec costume sombre et petite cravate de cuir, rendent hommage à la transdisciplinarité. Sont-ils toujours comédiens ?
Certains, un peu fonctionnaires, comme cette chanteuse distraite, ne dégagent pas le mystère et la présence puissante et insolite attendus dans de tels lieux. Chaque seuil à franchir, chaque jardin à visiter devrait offrir une halte bienheureuse. On se sent parfois un peu pressé mais certains personnages sont heureusement très convaincants et impliqués comme  la guide d’un subtil et féérique cabinet de curiosités botaniques, le technicien qui nous incite à plonger dans le grand bain et le concierge qui nous rend nos âmes.
Que de micro-surprises fantaisistes, que de bricolages de génie, que de clins d’œil! On entraperçoit, par exemple, le plateau du spectacle d’Angélica Liddell. Autant de ricochets dans le cœur du visiteur. Est privilégiée une poésie simple tant tactile (plongée d’une main dans un bocal de pépins de pomme) que visuelle (observation d’une parade nuptiale de lampes articulées). Atmosphère à la Amélie Poulain.
Les cartels qui décrivent de petites sculptures surréalistes sous loupe sont sonores et oniriques à souhait : «Globulaire, tragopogon…» (du moment qu’on ne se retourne pas sur la triste réalité d’un méchant panneau «amiante sous la peinture grise résinée»). Le monde souterrain du technicien est aussi (en)chanté. Tel Alexandre le Bienheureux dans le film d’Yves Robert, il apparaît comme un flegmatique tireur de ficelles. Une allégorie de Dieu lui-même.
Et le paradis, alors ? (c’est aussi l’autre nom du poulailler).
On pourrait s’attendre à un final sur le gril au-dessus de la scène. C’est ailleurs qu’on connaîtra une extase glorieuse, quasi mystique. Un vrai moment de joie. Pour peu que le visiteur s’implique… Mais chut !
C’est sous un rideau de pluie fine que s’achèvera le retour au réel.
Peu importe, Fred Astaire et Ginger Rogers guident encore nos pas. Et puis les portes du paradis ne resteront pas closes longtemps. Skappa &Associés proposera bientôt au jeune public, à partir de trois ans, de répondre à la question: Comment prendre racine ? en compagnie d’un comédien seul en scène.
Quant à la troisième et dernière forme du cycle Paradis, elle mêlera trois adultes et deux enfants pour exaucer nos rêves de réconciliation humaniste. Au terme de résidences au Liban, en Égypte et en Chine, tel Candide, elle nous révélera comment cultiver ensemble notre jardin.

Stéphanie Ruffier

Tout public, à partir de 5 ans. Jusqu’au 10 octobre, Théâtre de la Criée de Marseille. T: 04-96-17-80-34

Merlin, Cycle I- Table ronde

Merlin, Cycle I-Table Ronde d’après Merlin ou la Terre dévastée de Tankred Dorst

 merlinTankred Dorst, (89 ans) s’était d’abord et surtout fait connaître en Allemagne, comme dramaturge du metteur en scène Peter Zadek (1926-2009) dans les années soixante/soixante-dix. Tous deux ont traversé la deuxième guerre mondiale et ses tragédies (l’exil en Angleterre pour  Peter Zadek quand Hitler prend le pouvoir en 1933, la Wermacht et la prison pour Tankred Dorst). Ils ont ensuite mené au théâtre, une réflexion et un travail où se mêlent la fable et la question des utopies et du politique.
La jeune compagnie En Eaux Troubles réunit un metteur en scène, douze comédiens, deux éclairagistes, un compositeur, un décorateur, une costumière, un créateur sonore, tous issus d’écoles comme l’E S A D à Paris , l’E R A C, les cours Florent et Claude Mathieu, et le C F P T S… Il se sont lancés dans un théâtre jubilatoire et brut, à l’esthétique épurée.

  Avant le début du spectacle, un homme est déjà présent, assis  en fond de scène, en habit noir,comme sa chevelure et son bouc. Il ne fait aucun cas de notre arrivée et tapote fiévreusement sur son téléphone mobile. Juste au-dessus, un écran de surtitrage affiche l’obligation d’éteindre son portable. On comprend déjà que les règles ne seront pas toujours respectées.
  Les spectateurs sont apostrophés par un jeune homme en haillons qui demande l’aumône en hurlant et en s’excusant, puis qui nous présente sa sœur excessivement enceinte ! On la croirait sortie du Père Noël est une ordure.
Ne sachant pas qui est le père de son enfant, ils se mettent à le chercher dans le public. Un acteur complice s’insurge et joue son rôle de grincheux : tout cela est aussi bon enfant qu’un peu agaçant… Soudain, au milieu des cris, la fille accouche devant nous. Tous les autres comédiens envahissent alors  le plateau.
C’est le chaos de la création, celle de la nature cette fois. Toute la troupe bouge, vit, se transforme; on voit le minéral, les eaux, les forêts… Enfin, un homme naît, seul, nu, et devant nous, son évolution vers l’âge adulte en accéléré. Le père se déclare enfin, il s’agit du sombre personnage du début qui se dévoile : il est Satan, le Diable…
Puis nous entrons dans la Légende de la Table ronde, revue par Tankred Dorst . Avec le roi Arthur, Guenièvre, Lancelot, Perceval… «L’Histoire s’écrit,  dit-il, elle s’invente en se racontant». Alternance du jeu des corps et de la pensée: l’écriture scénique est fluide, énergique et  judicieuse.
  Le spectacle dure près de quatre heures. Avec une première partie, claire et linéaire dans sa narration mais aussi dans ses effets. Avec huit héros, elle raconte la genèse de La Table Ronde et pose sa philosophie. La deuxième partie, plus complexe et plus sombre, montre la chute des idoles, et révèle l’échec d’un idéal rêvé par les hommes et détruit par ces mêmes hommes.
Fautes et failles se révèlent : c’est le temps de la terre brûlée, et celui de nouvelles générations qui veulent s’affranchir du poids de l’Histoire et de leurs aînés. Le scénario bascule: effets de fumigènes: la lumière s’écrit autrement, plus ciselée, et  l’ombre et les ténèbres s’invitent.  
 Mais il y a quelques faiblesses dans la distribution. La deuxième partie demanderait plus de maturité. Conscients, les acteurs se justifient de leurs choix: le texte de Tankred Dorst, disent-ils, est composé d’une centaine de tableaux, et il faudrait une douzaine d’heures pour le jouer dans sa totalité… Leurs aînés justement s’y sont frottés ! Ici, on a l’impression  d’une mosaïque un peu hétéroclite, aux  morceaux obligés (la Fée Morgane, le bâtard d’Arthur, la quête de Perceval…). Mais personne ne démérite et l’engagement de tous ne faiblit pas.
Cette jeune compagnie abrite bien des talents: et ce travail est foisonnant de recherches, avec une occupation de l’espace, des effets, un son et une musique remarquables. Et l’acteur choisi pour  jouer Merlin, n’est pas blanc !

 Gérard Cherqui

Cinq représentations ont eu lieu fin septembre 2015, accueillies par le Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes.

 

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