La Belle au bois dormant
La Belle au bois dormant, musique de Piotr Illich Tchaikovski, chorégraphie de Marius Petipa, mise en scène et corrections chorégraphiques d’Alexei Ratmansky
Il fut un temps où tout ce qui ressemblait à la tradition, devait être balayé, oublié ; il fallait du neuf, de l’inédit! Mais aujourd’hui, la mémoire outragée prend sa revanche : on ne compte plus les opérations archéologiques dans le domaine artistique, à commencer par la musique et la danse baroques.
L’ancien directeur artistique du ballet Bolchoï et aujourd’hui artiste en résidence à l’American Ballet Theatre, a voulu mettre en scène ce joyau du ballet classique, tel qu’il apparut à sa création par Marius Petipa au théâtre Maryinsky en 1890. Chose peu aisée pour un art où la transmission se fait rarement par l’écrit, même si des systèmes de notation existent, comme celui de Stepanov, utilisé à l’époque.
C’est à partir de cette écriture du mouvement, et de la correspondance entre Marius Petipa et Piotr Illich Tchaikovski qu’Alexei Ratmansky a pu se rapprocher au plus près de l’original. Les somptueux décors et costumes sont ceux que Léon Bakst avaient créés pour les Ballets russes de Serguei Diaghilev; il avait, en 1921, ressuscité ce chef d’œuvre mémorable… qui l’avait ruiné pour plusieurs années.
A part quelques coupures (notamment quand la notation chorégraphique manquait), le style du grand ballet académique porté par Marius Petipa (auteur d’une centaine de ballets dont Le Lac des cygnes et Casse-Noisette) semble avoir été restitué, et c’est une belle surprise. Avec de nombreuses découvertes, à commencer par des doubles pirouettes sans soutien du partenaire, des sauts et équilibres sur pointes, un brio et une vivacité dans l’exécution des pas, sans doute inspirés d’étoiles italiennes célèbres à l’époque pour leurs «pointes d’acier». Mais pas question de mettre la jambe à l’oreille, comme cela se fait couramment aujourd’hui : les élongations et l’ouverture n’apparaîtront que beaucoup plus tard, avec George Balanchine en particulier.
Le corps de ballet, les solistes et premiers danseurs de la Scala ont participé avec un grand professionnalisme à cette restitution, et les danseuses, avec leur vigoureuse attaque des pointes, n’ont pas démérité la réputation de leurs devancières. Les sauts moelleux de Nicoletta Manni (la fée Lilas), ceux élastiques d’Angelo Greco (l’Oiseau bleu), le lyrisme de Vittoria Valerio (la princesse Fiorina) et le jeu de Massimo Murru en fée Carabosse ont été particulièrement appréciés.
Et Svetlana Zakharova fut, comme d’habitude, une Belle à la technique impeccable, avec, à ses côtés, un Prince plus que charmant et inattendu: le jeune Jacopo Tissi formé à l’école de la Scala dont il sortit l’an passé, fut aussitôt engagé pour une saison à l’Opéra de Vienne, dirigé par Manuel Legris, ancienne étoile de l’Opéra de Paris, et est revenu à la Scala cet été. Il avait étudié le rôle du Prince mais la défection de la vedette invitée et l’urgente nécessité de son remplacement permirent à Jacopo Tissi de se retrouver aux cotés de la Zakharova !
Malgré les difficultés du rôle –un travail de batterie particulièrement rapide- qu’il a traversées comme il pouvait, sa prestation fut saluée avec enthousiasme. D’un lyrisme délicat, dénué de toute sentimentalité excessive, et doté d’un corps longiligne à la José Martinez, Jacopo Tissi est déjà considéré par certains comme le successeur de Roberto Bolle, considéré comme la vedette absolue par les balletomanes italiens … et autres.
Sonia Schoonejans
Teatro Alla Scala de Milan les 20, 22 et 23 octobre.