Récits des événements futurs, mise en scène d’Adrien Béal
Cela parle à la fois de l’invention de la bombe atomique, arme absolue, mais aussi d’écologie et de la fin de l’humanité sur la planète, comme si c’était finalement son désir le plus profond. Cela parle aussi en parallèle de conflits personnels chez toute une série de personnages. La pollution, atomique ou non, est un des thèmes récurrents du théâtre contemporain : on pense bien sûr, entre autres, au récent et remarquable monologue de Nicolas Lambert avec La Pompe Afrique mais aussi aux Pièces de guerre d’Edward Bond, au Soleil des eaux de René Char, ou à l’Apocalypse différée du grand Dario Fô…
Ici, comme le dit Adrien Béal, il y a «une recherche et un travail d’improvisation. Nous tenterons, par le théâtre, de mettre en jeu les conflits intimes et politiques générés par notre rapport si particulier à la catastrophe. ». Sous l’influence du livre du brillant essayiste autrichien Günther Anders (1902-1992): Sur la bombe et les causes de notre aveuglement face à l’apocalypse. Cousin de Walter Benjamin, un temps mari d’Hannah Arendt, ami de Bertolt Brecht, Stefan Zweig et Alfred Döblin, il ne cessa de mette en garde ses concitoyens contre le danger des industries nucléaires…
Sur le plateau, finement scénographiée par Kim Lan Nguyen Thi, une sorte de curieuse salle d’attente aux murs vert pâle comme dans un cauchemar, toute en oblique avec deux fenêtres: l’une carrée et l’autre l’autre rectangulaire, avec deux tables et chaises en bois et vinyl noir, design des années cinquante, et accrochées au mur deux banquettes hautes avec repose-pieds où vont s’asseoir les acteurs qui ne jouent pas. Au fond de ce lieu clos, une seule porte. Le tout, éclairé par trois plafonniers de tubes fluo, ce qui semble actuellement très tendance chez les jeunes scénographes…
Vont se dérouler dans cet univers assez glauque une série de séquences de la vie quotidienne où on va parfois retrouver, si on a bien compris, comme dans une sorte de tricotage, des personnages qui portent les prénoms des comédiens : Benoit Carré, Bénédicte Cerutti, Charlotte Corman, Lionel Gonzalez et Zoumana Meïté.
Ainsi Zoumana, un mage africain reçoit Benoît, un homme d’affaires costume/cravate. M. Zoumana aquelque chose de grave à lui dire : «Sous le soleil qui brille, éclate la mort». Dans la séquence suivante, la femme de Benoît lui annonce qu’elle a pris deux billets pour un voyage en amoureux dans les Seychelles. Il lui dit qu’il ne peut pas et qu’il faut reporter à plus tard ce voyage mais elle lui répond qu’à ce moment-là, ils devront y aller à trois avec le bébé qu’elle attend. Il lui avouera finalement ce que le mage lui a dit.
Il y a aussi l’histoire bien ficelée (celle d’Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, une pièce ensuite adaptée par Arthur Miller) de deux frères, dont l’un est médecin dans une centre thermal et l’autre maire de la petite ville. Conflit cornélien : l’eau des thermes est gravement polluée, révèle le médecin à son frère. Soucieux du bien-être des curistes, il le met en garde ; il a d’ailleurs annoncé la nouvelle à la presse locale. Fureur de son frère qui veut étouffer l’affaire pour garder les voix de ses électeurs! « Si tu publies ton rapport, tu ruines ta ville natale ». Et il lui rappelle, petit chantage à l’appui, qu’il l’a sorti il y a quelques années de la misère ou presque ! Il faudrait de toute façon 15 millions d’euros pour faire les indispensables travaux d’assainissement, somme que ce maire ne possède pas.
Une autre séquence raconte la visite d’un couple dont le frère du mari, on va vite le comprendre, est hospitalisé dans un établissement psychiatrique mais qui veut en sortir. Il dit qu’il fait toujours le même cauchemar : il a tué 200.000 personnes en lâchant une bombe atomique depuis son avion. Il dit aussi qu’il est en train d’écrire son autobiographie…
Il y a aussi l’histoire d’un homme qui raconte la chute d’une grue, et sur la photo qui a été prise de cet accident, on voit clairement sa silhouette. Comme on la voit également sur les photos d’autres catastrophes, comme ce téléscopage entre deux gros bateaux. Hasard ou fatalité de sa présence inexplicable ?
On revient ensuite, semble-t-il, à l’histoire des deux frères: -Mesure les conséquences de tes actes, dit le maire à son frère qui lui réplique: » Tu veux que l’on dise à mes enfants que leur père n’a rien dit, alors qu’il y avait des morts tous les ans ? »
Ces dialogues, à deux ou trois personnages sont joués très sobrement par les cinq jeunes comédiens, tous très crédibles, bien dirigés par Adrien Béal qui n’en est pas à son coup d’essai mais qui réussit là un beau travail dont les dialogues sont souvent de grande qualité. Plus que les quelques monologues, eux plus laborieux .
Sans doute, le spectacle est-il encore brut de décoffrage: il y a souvent des à-coups dans le rythme, la vidéo de nuages qui passent derrière les fenêtres n’est pas des plus utiles, et on ne voit pas toujours très bien où Adrien Béal veut nous emmener… Bref, il y encore du travail- c’était la première- mais, parmi les nombreuses mises en scène dont le texte est le résultat d’improvisations, c’est une des plus réussies que l’on ait pu voir récemment. Donc à suivre de près…
Philippe du Vignal
Le spectacle a été créé au Studio-Théâtre de Vitry du 9 au 12 octobre.
Théâtre de l’Echangeur à Bagnolet, du 30 octobre au 7 novembre, du lundi au samedi à 20h30 et le dimanche à 17h (relâche le mercredi 4 novembre).
Théâtre du Garde-Chasse aux Lilas le 21 novembre. Au Tandem Douai-Arras, les 24 et 25 novembre, et au Théâtre de Vanves, les 27 et 28 novembre.