Soulèvements
Soulèvements, création collective des Comédiens Voyageurs, texte de Marcel Bozonnet et Judith Ertel, avec la collaboration de Sophie Wahnich
Comment et pourquoi un peuple se soulève-t-il ? Le causes ne sont jamais tout à fait les mêmes mais se conjuguent très souvent et se répètent à travers les siècles. A la base: des injustices sociales et politiques de plus en plus violentes, et, en particulier, une surcharge fiscale aux méthodes de perception douteuses, qui donnent vite naissance à un mouvement collectif populaire, avec, dans un premier temps, des cortèges dans la rue, et ensuite et toujours, une résistance des classes dominantes comme en 1789, quand avait été décrétée la loi martiale.
Le répertoire est vaste! Emeutes du sucre à Paris en 1792, insurrection à Saint-Domingue de 1791, sacrifice de Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant à Tunis dont le suicide par le feu en 2010 fut à l’origine de la révolution qui écarta le président Ben Ali du pouvoir, et fit naître dans les autres pays ce qu‘on appela le Printemps arabe, etc…
Marcel Bozonnet, Valérie Dréville et Richard Dubelski ont donc voulu mettre en scène cette parole collective qui surgit de textes d’orateurs, d’écrivains ou de journalistes: extraits de discours de Robespierre et Mirabeau, relation du supplice atroce de Damiens, remarquablement dite par Valérie Dréville. Le jeune homme avait essayé de tuer Louis XV avec un canif et malgré le pardon du roi, il fut «tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlée au feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et soufre fondus et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux », devant… une foule immense. Cela se passait à Paris, il y a un peu plus de deux siècles seulement.
Les comédiens disent aussi des textes de Bossuet, Victor Hugo, Aimé Césaire, Alejo Carpentier, et des articles sur les soulèvements récents à Tunis, à Alep et au Caire. Sur le plateau nu, une sorte de sculpture en tubes fluo blanc, et au sol, des bandes noires et blanches, et tout autour une ligne de sable en rond qui se termine par trois tas coniques du même sable à l’avant-scène, scénographie assez prétentieuse dont on voit mal la nécessité.
Mais les trois excellents comédiens ont une maîtrise absolue des textes, et l’émotion nait souvent, malgré une mise en scène souvent maladroite : pourquoi ces balayages de sable, pourquoi ces interventions depuis le balcon de la salle…?
Ce montage de textes est à l’évidence trop long, et, à la fin, devient lassant. La faute sans doute aussi à une dramaturgie dont le fil rouge n’est pas évident et dont le dénominateur commun, un peu facile, est le soulèvement. Ce qui ne fait pas théâtre à coup sûr! Même et surtout quand les voix sont soutenues par de la musique: tambour, clarinette ou guitare électrique.
La bande de lycéens de terminale devant nous n’accrochait guère, ce qui est toujours mauvais signe, et manifestait son mécontentement en bavardant… Le spectacle a cependant le mérite de nous faire (re)découvrir des textes qui nous disent toute la faculté des hommes à se révolter, quelque soit le régime en place, et cela depuis l’antiquité. Bon avertissement déjà finement analysé par Nicolas Machiavel: “Les soulèvements d’un peuple libre, écrivait-il, sont rarement pernicieux à sa liberté”.
Philippe du Vignal
Maison des Métallos 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 11 ème, jusqu’au 25 octobre.
L’Apostrophe-Scène nationale de Cergy-Pontoise, les 27 et 28 novembre. Maison de la Culture d’Amiens du 1 au 3 décembre. Centre culturel Jean Gagnant à Limoges du 16 au 18 décembre.