Electre, adaptation de Jean-Pierre Siméon
Electre de Sophocle, adaptation de Jean-Pierre Siméon, mise en scène de Christian Schiaretti.
En 2009, Christian Schiaretti mettait en scène Philoctète de Sophocle et en confiait l’adaptation à Jean-Pierre Siméon. Avec Electre (414 av. J.-C.), il s’agit d’une «libre appropriation du texte», en fait «une variation» avec sa propre poésie, son propre rythme.
La pièce où entre le public ressemble à une salle de classe aux tables bien alignées. Un peu désarçonnés, nous ne comprenons pas qu’il faut occuper les bureaux ! En fond de scène, devant le rideau métallique baissé, trois autres tables avec des chaises, comme pour une banale réunion où s’installent les acteurs, habillés comme les spectateurs… Les plafonniers de tubes fluo restent éclairés. Le T.N.P. n’aurait-il plus d’argent pour monter un spectacle!
Puis, les comédiens quittent tables et manuscrits, et dans cet espace où nous sommes assis comme de sages élèves, il n’y a plus que le texte et le jeu, l’essence même du théâtre ! La plainte d’Electre monte, rauque, et devient imprécation. Le chœur de trois femmes, tente en vain de la calmer…
Dans cette mise en place austère, on a rarement vu une Electre incarner à ce point la quintessence de l’héroïne tragique. Elisabeth Macoco joue Electre, une femme vieillie par la misère où on l’a obligée à vivre ; usée par le deuil, rongée par le désir de vengeance, torturée par l’attente d’Oreste, son frère, le seul qui puisse accomplir le meurtre et rendre justice.
Car elle se doit de venger son père, assassiné par son épouse, en tuant, elle, sa propre mère ! Elisabeth Macoco, avec un jeu subtil, parvient à faire sortir de ce personnage tragique et obsessionnel, une humanité qui appelle la compassion.
Chrysotémis, la sœur d’Electre, plus faible, mais aussi terriblement humaine, essaie en vain de la raisonner. Electre fait face à sa mère: la tension est forte, et la haine palpable. Juliette Rizoud qui joue les deux personnages, donne une habile démonstration théâtrale. Impressionnant : il lui suffit de changer quelques accessoires de son costume, pour incarner la sensible jeune fille qui voudrait sauver sa sœur, mais aussi sa mère Clytemnestre, ulcérée pour avoir laissé Agamemnon, son époux, sacrifier leur fille aux dieux, afin qu’ils fassent souffler des vents favorables à la flotte grecque en partance pour Troie.
Les personnages masculins autour d’Oreste sont moins développés. Deus ex machina, Oreste arrive pour accomplir le crime, sacrifice sanglant qui doit rendre justice au père tué, et qui clôt la pièce, au moment où, paradoxalement, Electre va enfin pouvoir renaître.
Cette mise à nu de la tragédie souligne la démesure des personnages; on on pense à certains de nos contemporains qui choisissent la mort pour obéir à un dieu, ou qui veulent se substituer à la justice… Le parti pris, audacieux, du metteur en scène fonctionne ici à la perfection !
Elyane Gérôme
Théâtre National Populaire. 8 place Lazare Goujon, Villeurbanne. T: 04 78 03 30 00, jusqu’au 17 octobre, et du 12 au 16 janvier, puis du 10 au 21 mai.
Électre (Variation à partir de Sophocle) est publié aux Solitaires Intempestifs.