Lettres de non-motivation

Festival Actoral du 29 septembre au 10 octobre à la Friche de la Belle de mai à Marseille:

 Lettres de non-motivation, texte de Julien Prévieux, conception de Vincent Thomasset

   lettres de non motivationVoilà des années qu’on les savait ciselées pour la scène, ces lettres patiemment rédigées par Julien Prévieux. Durant sept ans, l’artiste protéiforme s’est échenillé à ne pas répondre aux attentes du monde du travail et à refuser par courrier des postes qui ne lui plaisaient guère.
Avec une fourberie élégante… Le théâtre est le lieu de l’agôn, de la confrontation, et ces lettres en constituent parfaits pré-textes. Ce recueil, que Julien Prévieux a publié en 2007 aux éditions Zones-La Découverte est un ovni éditorial, un pavé lancé dans le marécage de l’A.N.P.E. (on ne disait pas encore Pôle Emploi).
 C’est aussi une source prodigieuse de micro tragi-comédies qui se jouent en trois actes. Tout commence par une véritable annonce d’offre d’emploi, en elle-même souvent croquignolesque. Puis, vient la lettre de non-candidature qui cultive l’art du décalage et se conclut inévitablement par une non-motivation revendiquée.
  Arrive enfin, en épilogue, la réponse du recruteur, soit personnalisée (rarissime), soit standardisée (le courrier type: « votre candidature a retenu notre attention, blablabla, toutefois nous ne pouvons donner suite, etc. ». A moins qu’il n’ait pas pris la peine de répondre.
L’ensemble constitue un ingénieux catalogue de jeux de réécritures qui détourne à la fois les codes de l’entreprise et ceux de la rhétorique. Façon Exercices de style de Raymond Queneau,  Julien Prévieux se ballade parmi les niveaux de langue, les genres et les registres littéraires, maniant avec la même aisance l’argot, le langage technique et la poésie bucolique.
Quelle belle matière ! Au-delà de l’inventive variation de style, on admire la persévérance avec laquelle l’auteur extrait le suc absurde de chaque annonce: la démarche gaguesque fait sens. Ce performeur et plasticien qui s’intéresse à la résistance (lire sa collaboration à Stat-activisme, comment lutter avec les nombres ?) sait parfaitement démonter les rouages d’une photo, d’une formule, souligner un paradoxe dans la rédaction de l’annonce. Il raille une entreprise qui ne dévoile pas son nom, ou une autre qui valorise «l’envie de réussir » en proposant seulement 65% du smic…
Et sur un plateau, cela donne quoi ? Trois espaces : un bureau peu exploité, un damier-théâtre central où le corps et l’adresse directe se déploient, et un micro, lieu de la lecture intimiste. Sur un écran, sont projetées les petites annonces, et plus rarement les courriers de Julien Prévieux, parfois mis en voix.

  Les cinq comédiens, recrutés via de petites annonces, sont impeccables dans leur partition. Un travail de haute voltige. En quête de leur personnage, d’une place, d’un lieu, d’une façon de dire, ils explorent… Même ce barbu, moins professionnel, tire son épingle du jeu. Il est l’égaré, le candidat candide, vêtu d’a-théâtralité et de sincérité. Il cherche son chemin Au départ, cela ressemble à une simple et sympathique mise en voix. Mais très vite, le clown est convoqué : vocabulaire et gestes décalés.
L’univers de Vincent Thomasset, ce «topographe des forces en présence», spatialise l’absurdité d’un dialogue de sourds. Entre ces êtres en quête de liberté et un monde du travail formaté, quelle incommunicabilité ! Aussi y a-t-il du En attendant Godot dans cette succession de communications inopérantes, dans ce vide répétitif et déshumanisant que creuse trop souvent la mention:  «sans réponse».
C’est avec de beaux tableaux où les non-candidats se frottent à la danse contemporaine, à la gymnastique et à la comédie musicale; la mise en scène fait gagner en puissance le pouvoir de l’écrit.
Le contre-emploi trouve son incarnation, impacte durement le corps, requiert contorsions et adaptations. Des saynètes variées, à la limite du sketch, se succèdent comme autant de rôles et de costumes où il faut tant bien que mal se glisser. Un vrai casting !
Choc des registres avec  introspection intimiste, harangue hystérique, grandiloquent vœu d’allégeance : on rit beaucoup, mais jaune. On savoure le plaisir enfantin d’assister à des transformations et on a la jouissance de ce «non», vécu par procuration.
Envie d’approfondir la résistance au prévisible ? Le Centre  Georges Pompidou consacre une exposition à Julien Prévieux où il est aussi question de déplacements et d’espaces à investir. Son approche de la géolocalisation, de l’oculométrie, sa modélisation de la grâce ou des pérégrinations d’une Parisienne produisent des pépites visuelles et conceptuelles qui font judicieusement écho à ce spectacle. 

Stéphanie Ruffier

Théâtre de la Bastille du 10 au 21 novembre à 20h. Relâche le dimanche.
Centre Georges Pompidou, exposition: Des corps schématiques de Julien Prévieux, Prix Marcel Duchamp 2014, jusqu’au 1er février

 


Archive pour 19 octobre, 2015

Portrait Foucault, à partir de Vingt ans et après

Portrait Foucault, à partir de Vingt ans et après de Thierry Voeltzel, mise en scène de  Pierre Maillet

Pièce jointe Mail« Je venais d’avoir vingt ans. A la porte de Saint-Cloud, je marchai vers l’autoroute (…) et levai mon pouce au-dessus d’une pancarte où j’avais écrit en grosses lettres : CAEN. » Été 1975.
Le conducteur qui s’arrête pour prendre l’auto-stoppeur, a une allure inhabituelle, chauve, avec des lunettes cerclées d’acier, il a une élégance décontractée et une curiosité constante pour les propos du garçon. Ils se lieront d’amitié.

Trois ans plus tard, paraît un livre d’entretiens entre le jeune Thierry Voeltzel et Michel Foucault. A l’époque, le philosophe avait tenu à garder l’anonymat. Quarante ans après, l’ouvrage ressort, dévoilant cette fois le nom du mystérieux auteur de cet entretien.
Pour cette première étape d’une future création intitulée Letzlov, Pierre Maillet garde la formule questions/réponses de Vingt ans et après et tient le rôle de Michel Foucault. Tapi dans la pénombre, au fond de la salle, il interroge Maurin Olles,  assis comme un élève bien sage et qui a presque l’âge du rôle, puisqu’il sort tout juste de l’Ecole de Saint-Etienne. Aux problématiques soulevées par le maître : homosexualité, politique, conflits familiaux, militance, travail, le jeune homme réplique avec aplomb, développe une pensée sans retenue, avec une franchise désarmante qui sidère l’homme muû qu’il a en face de lui.
 Le maître est fasciné par la liberté de ton et de pensée de son interlocuteur. A travers ses propos, les années soixante-dix apparaissent comme celles d’une sexualité débridée, d’utopies encore vivaces, comme la croyance en la révolution. A travers «le garçon de vingt ans par excellence», c’est toute la mouvance gay et militante de cette folle période qui se révèle.
Le théâtre, en faisant revivre ce dialogue, nous fait entrer dans l’intimité de la relation, et nous partageons la sensibilité de chacun. Pierre Maillet campe un Michel Foucault sûr de lui, mais chaleureux envers son ami et il sait aussi faire ressortir l’humour du grand intellectuel, même si les questionnements auxquels il expose le jeune homme rejoignent le sérieux de ses travaux.

Sur la sellette, parce qu’il est seul au milieu du plateau, face à son lointain interlocuteur, Maurin Ollies paraît tendu, puis on le sent de plus en plus  à l’aise et une certaine légèreté habite l’ensemble du spectacle, surtout lorsque les protagonistes se retrouvent côte à côte sur la scène. On est étonné de la vigueur que le théâtre peut donner à ces entretiens, et de l’effet de réel qu’il engendre, comme s’il avait la capacité de ressusciter les personnages et de les rendre présents quarante ans après. Le caractère oral du livre contribue à la vitalité de ces portraits croisés : celui en plein de Thierry Voeltzel et celui en creux de Michel Foucault. Et, au-delà, la peinture d’une époque.
Ce spectacle appartient à un cycle de portraits dessinés tout au long de la saison par des artistes associés à la Comédie de Caen. Formes légères, ils pourront, comme Portrait Foucault,  être diffusés hors-les-murs.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu à  Comédie de Caen le 13 octobre. Et en février 2016, près de Caen, à l’IMEC, Abbaye d’Ardenne 14280 Saint-Germain la Blanche-Herbe, Festival Écritures Partagées. T : : 02 31 29 37 37. Version complète lors de la saison 2015-2016.
Vingt ans et après est publié aux éditions Verticales.

D’autres le giflèrent

 

D’autres le giflèrent d’après Les Passions de Johann Sebastian Bach, adaptation d’Alexandra Lacroix et François Rougier, mise en scène d’Alexandra Lacroix, direction musicale de Christophe Grapperon

  

©Pascal Gely

©Pascal Gely

C’est un lieu qui pourrait être un musée en réfection, avec, sur le sol, des piles de catalogues. Un clavecin, une contrebasse, un violoncelle, un orgue, un violon attendent leurs interprètes. Un ruban rouge et blanc de chantier délimite le bord de scène, la salle reste éclairée, et un groupe de gens, emmenés par une femme à la silhouette stricte, découvre ce lieu, mi-amusé, mi-fasciné et feuillette des magazines. Ils portent tous des sweat à capuche: on doit avoir affaire à des jeunes… Ce qui frappe, c’est leur silence: pas un mot, pas un bruit, comme s’il s’agissait d’une pantomime.
  Une guide de musée, la seule à prendre la parole, décrit les tableaux de la Passion, en nous désignant, nous le public. La grammaire est posée: le spectacle alternera partition chantée en allemand, et traduction lue ou dite dans un un contexte décalé selon les tableaux.
D’autres le giflèrent, deuxième épisode d’une trilogie initiée l’an dernier avec Et le coq chanta, est une exploration scénique des Passions de Johann Sebastian Bach, où chanteurs et instrumentistes sont rejoints par des acteurs. La qualité de l’orchestration et la direction de Christophe Grapperon, collaborateur de Laurence Equilbey, directrice d’Accentus, font la force de ce « théâtre musical ».
En un prologue, trois épisodes et un épilogue, c’est une transposition du Chemin de croix, avec ses quatorze stations, à travers des tableaux contemporains chaque fois différents dans trois espaces: une salle de musée en réfection, un lieu hybride mêlant  couloir de prison et lieu de cocktail, et une salle de réunion où les employés y sont en séance de marketing.

 On y voit se jouer humiliations, chutes, lapidations (de papiers), sacrifices, lâchetés, endossés par les uns ou les autres. Spectacle bon enfant, jamais vraiment inquiétant, avec des situations claires qui se succèdent sans heurter; un cri, un bruit, la violence s’arrête et on repart sur autre chose.
  On notera la récurrence des agressions faites aux femmes, avec toujours une orientation sexuelle (il y a plusieurs tentatives de viol !), exception faite du deuxième tableau avec le martyr de Simon, dont on ne sait s’il s’agit d’un émigré qui  tente de s’intégrer dans le nouveau monde de l’entreprise, et avec sa femme (une Madone en tailleur noir et fichu ?) qui lui apporte son repas dans un baluchon devant tout le staff en réunion,  comme une mère ridiculisant son enfant devant ses camarades de classe.
Certaines scènes de groupe, comme les ombres du troisième tableau, sont réussies mais la metteuse en scène a peur du vide et veut toujours avoir une idée à ajouter. Il manque un dramaturge pour épurer les choses! Mais les chanteurs dans leurs arias et solos, souvent a cappella, sont  parfaits; passionnés, ils savent faire groupe pour suivre les contraintes de la mise en scène,  et leurs voix, de toute beauté, transmettent finement l’émotion de ces Passions.
Mais l’interprétation musicale a des fragilités, et il y a de trop longs changements de tableaux, les acteurs manipulent avec peine des piles de catalogues encombrant le plateau, et les chorégraphies qui lestent le spectacle plus qu’elles ne l’éclairent.
Mais allez-y, c’est un beau moment de musique donné encore ce soir au Carreau du Temple, (malgré la soufflerie de la climatisation  qui est insupportable et entame la délicatesse des arias !) .

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Gérard Cherqui

Carreau du Temple à Paris, jusqu’au 20 octobre. Espace Robert Doisneau à Meudon, les 4 et 6 novembre.
Les deux Scènes, scène nationale de Besançon, le 10 novembre. Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, le 6 décembre.

 

 

 

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